LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES :
une bibliothèque virtuelle en voie de réalisation
Marc-Adélard Tremblay
Professeur émérite, Université Laval
Chicoutimi, Ville de Saguenay : 73e congrès de l’ACFAS
9 et 10 mai 2005
Je suis honoré qu’on m’ait demandé de vous entretenir brièvement de la bibliothèque virtuelle : «Les Classiques des sciences sociales». Je le fais, en tant qu’auteur qui a accepté que l’ensemble de son œuvre écrite soit numérisée et mise en ligne, par l’entremise du Professeur Jean-Marie Tremblay du CÉGEP de Chicoutimi et de son équipe, afin qu’elle devienne accessible aux cybernautes de la planète. À la période où je donnais mon consentement à la numérisation, d’autres chercheurs du Québec, reconnus pour leur compétence dans le champ des sciences sociales, ont eux et elles aussi accepté que leurs écrits contribuent à l’enrichissement du savoir mondial dans ces champs d’étude, d’observation, d’analyse et d’expérimentation sociale. En plus de l’appui de son CÉGEP, Monsieur Tremblay a reçu celui de l’Université du Québec à Chicoutimi ainsi que celle de la ville de Saguenay.
Avec l’expertise et le soutien de l’une de mes filles, j’ai créé en 2003 un site web familial. Son but était double : y faire paraître, à des périodes irrégulières, dans un feuillet numérique intitulé « Feuille de Tremble » des nouvelles des membres de ma famille élargie mais aussi, par ailleurs, d’y inscrire des informations d’intérêt général. À ma grande surprise, notre site attirait un nombre imposant de visiteurs. C’est alors que j’ai pensé l’enrichir en y ajoutant quelques-uns de mes écrits. Dans les mois qui suivirent, le nombre des visites continua de progresser. J’en suis alors venu à rêver qu’il serait intéressant d’y faire paraître non seulement quelques-unes de mes publications les plus importantes, mais l’ensemble de mon œuvre écrite. Mais, en y réfléchissant, je me suis vite rendu compte que ce serait une entreprise colossale qui dépasserait largement mes compétences techniques et qui nécessiterait un engagement qu’une seule personne n’est en mesure d’offrir. Dans mon cas, cela signifierait la numérisation de plus d’une vingtaine d’ouvrages et au-delà de deux cents articles parus dans plusieurs revues savantes et compte-rendus de colloques.
Cette aspiration, en un certain sens, comportait un attrait justifiable. Mais, comment l’actualiser et rendre accessibles plusieurs livres et plus particulièrement des articles parus, en langue anglaise et française, dans des revues publiées au Canada, aux États-Unis, au Mexique et en Europe ? De plus, le fait que le public d’ici ait contribué, par ses impôts et ses taxes, à notre salaire d’universitaires et à nos subventions de recherche était un impératif non négligeable. Nous avions encouru, vis-à-vis de ce public, une responsabilité sociale d’importance, puisqu’il était associé à notre carrière et à nos succès académiques. Toutefois, la façon de remplir cette obligation imposait réflexion.
Au moment où je me souciais de cette responsabilité particulière et que je m’interrogeais sur cette ambition démesurée de numériser mon œuvre, je reçus un courriel du Professeur Jean-MarieTremblay, me demandant l’autorisation de produire une édition numérique de mes œuvres. C’était le 2 mars 2003 : une date mémorable de ma trajectoire intellectuelle. Cette intervention inattendue fût pour moi, je vous l’assure, un moment de véritable enchantement. Les personnes de mon entourage me confient assez souvent que je suis un homme chanceux ; mais cette fois-ci cette chance atteignait un sommet inégalé, à un point tel, que l’autorisation demandée comportait sa réponse.
Tout de même, j’ai pris le temps d’examiner les objectifs de cette bibliothèque virtuelle, d’identifier le personnel engagé dans cette entreprise monumentale, de prendre connaissance des réalisations déjà mises en route, d’observer, à la consultation du site, la méthodologie qui présidait à la numérisation et mise en ligne des œuvres ainsi que d’apprendre les autres modalités de fonctionnement. Tous ces éléments appuyaient une acceptation explicite. D’ailleurs, comment pouvais-je refuser la demande d’un groupe de bénévoles imaginatifs, qui rendraient accessibles à l’ensemble de la population québécoise et à un public beaucoup plus vaste encore, sans frais aucuns, mes écrits et ceux de bien d’autres chercheurs du Québec? Qui plus est, nos œuvres feraient désormais partie d’un patrimoine mondial et deviendraient accessibles gratuitement à tous. Notre modeste contribution acquerrait ainsi une diffusion à l’échelle de la planète et contribuerait à enrichir le savoir universel dans le domaine des sciences sociales et humaines. Cette bibliothèque nouveau genre, devient, de ce fait, un outil capable de multiplier les échanges entre chercheurs appartenant aux mêmes disciplines mais aussi de révéler la diversité ainsi que la qualité du savoir des sciences sociales à des nouvelles cohortes de lecteurs.
Permettez-moi, maintenant, de parler du directeur de l’équipe «Les Classiques des sciences sociales», car il est celui qui a eu l’idée de bâtir cette bibliothèque virtuelle, avec de modestes moyens. Il vient de se mériter le Prix « Mérite scientifique régional 2005 ». Au nom de tous ceux et de toutes celles pour lesquels il travaille en vue de numériser leurs publications et de les rendre disponibles aux internautes de la planète, je tiens à lui offrir mes plus chaleureuses félicitations auxquelles s’ajoutent mes plus sincères remerciements.
Le professeur Jean-Marie Tremblay est un innovateur de grand talent, dans la mesure où il a conçu et mise en œuvre une entreprise unique d’envergure internationale. Il s’agit, comme je l’ai mentionné plus tôt, de numériser et de mettre en ligne l’ensemble des publications en sciences sociales produites au Québec et ailleurs dans le monde francophone pour le but d’en accroître l’accessibilité à de plus larges publics, et cela sans frais aucun. C’est un geste d’une grande générosité, qui a nécessité l’établissement d’une équipe de bénévoles, convaincus comme lui de la valeur inestimable d’une véritable mondialisation de la production scientifique en sciences sociales, en permettant l’accès direct sur un site web, téléchargeable en plusieurs formats (RTF, PDF et WORLD), des œuvres reflétant les perspectives théoriques, les démarches méthodologiques ainsi que l’analyse et les interprétations des résultats de ces disciplines.
M. Tremblay doit d’abord entrer en contact avec chacun des auteurs pour obtenir leur consentement en vue de la numérisation de leurs écrits. Jusqu’à maintenant, à une exception près, tous ceux et celles avec lesquels il est entré en communication ont accepté d’emblée son invitation, étant conscients que cette bibliothèque virtuelle enrichirait l’héritage scientifique et culturel du Québec et agrandirait le nombre de ceux et de celles qui aurait accès aux connaissances cumulatives des sciences sociales, qui ont acquis une si grande pertinence aujourd’hui. Des dizaines de milliers de pages et plus de 1410 ouvrages écrits en français ont déjà été numérisés et mis en ligne et sont d’ores et déjà accessibles au grand public. C’est un exploit tout à fait exceptionnel, et l’équipe en place en promet d’autres tout aussi impressionnants. Comme vous le savez, je suis un de ceux qui bénéficient de ce travail collectif extrêmement méritoire.
Monsieur Tremblay s’est assuré la participation d’une équipe de bénévoles compétents et désireux d’accomplir toutes les tâches techniques avec rigueur pour que les résultats soient impeccables. Lui-même et son équipe sont très engagés et enthousiastes dans la construction de cette banque de publications avec des moyens financiers négligeables. Ces bénévoles estiment qu’ils confèrent à des travaux scientifiques en sciences sociales une valeur inestimable, non seulement aux lecteurs et lectrices d’aujourd’hui, mais aussi à ceux et celles des futures générations. Cela exige de la part du directeur Tremblay un leadership de participation où chacun est un maillon de la chaîne responsable de la qualité des résultats obtenus et des retombées espérées. M. Tremblay est, de plus, un communicateur hors pair car il informe, dans les menus détails, tous ceux et celles dont les travaux sont en voie d’être numérisés, permettant ainsi des échanges par courriel mais aussi par voie téléphonique qui informent chacun et chacune de la marche des travaux en cours, et, à l’occasion, à sa demande, permettent de retracer des travaux difficilement repérables.
Je voudrais, en terminant, dire un mot de la dimension de cette bibliothèque virtuelle. Elle comporte cinq collections : (1) Les classiques des sciences sociales où l’on retrouve des œuvres de Weber, Durkheim, Comte, Keynes, Malinowski, Mauss, Freud, Bergson et plusieurs autres ; (2) Les sciences sociales contemporaines où sont logés les travaux de Ruth Benedict, Wallerstein, Guy Rocher, Jacques Dofny, Jacques Grand’maison, et plusieurs autres ; (3) La désintégration des régions et du Québec ; (4) L’histoire du Saguenay-Lac-Saint Jean ; et (5) La méthodologie en sociologie. Ces différentes collections permettent une grande diversité dans la couverture des publications retenues et confèrent à cette initiative un caractère international de qualité.
En bref, on peut affirmer que nous sommes là en présence d’une contribution exceptionnelle, dans l’avancement du savoir dans les sciences humaines et sociales à l’échelle de la planète, de la part d’un homme et de son équipe qui partagent une vision soucieuse de produire une véritable égalité dans les chances de s’instruire et d’augmenter ses connaissances, peu importe les moyens financiers dont chacun dispose. Les travaux accomplis à date sont vastes et ont été réalisés par le biais d’une planification réaliste à laquelle collaborent un quarantaine d’individus. Monsieur Tremblay a su s’entourer de personnes qui partagent ses idéaux et qui, jusqu’à maintenant, ont démontré une motivation sans faille. Cela permet à tous les auteurs et chercheurs dont les écrits ont été numérisés d’avoir l’assurance que nous sommes en présence d’une entreprise virtuelle durable aux multiples retombées concrètes.
Congrès de l’ACFAS
Chicoutimi, 9 et 10 mai 2005