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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Un compagnon de Socrate. Dialogues sur l'expérience libératrice. (1956)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Roger Godel, Un compagnon de Socrate. Dialogues sur l'expérience libératrice. Paris: Les Éditions Flammarion, 1956, 188 pp. Collection “Homo Sapiens”. Une édition numérique réalisée par un bénévole qui souhaite conserver l'anonymat sous le pseudonyme “Antisthène”, un ingénieur à la retraite de Villeneuve sur Cher, en France.

[7]

Un compagnon de Socrate.
Dialogues sur l’expérience libératrice

Préface

Dans un essai sur l’Expérience Libératrice, le rédacteur du présent recueil de dialogues souhaitait qu’un homme de science entreprît en expérimentateur l’étude du domaine métaphysique — ce monde de la profonde intériorité [1].

L’expérimentateur établi à la pointe extrême de son être se prend lui-même pour champ d’expérience, instrument et itinéraire de recherche tout à la fois. L’exploration n’emprunte pas les voies de l’auto-analyse, ni celles de la spéculation dialectique ordinaire. Une appréhension directe, immédiate, lui fait saisir par éclairs, dans une séquence discontinue d’instantanéités, l’unité indécomposable des paysages intérieurs.

La pensée scientifique, opérant avec les seules ressources dont elle dispose, serait bien incapable de mener jusqu’à son achèvement — au « territoire inconnu » — une si rare entreprise. Son pouvoir de pénétration s’éteint sur cette mystérieuse frontière où le sentiment de la durée périt dans la plénitude intemporelle de l’expérience pure.

La raison, si elle vise un but inaccessible à ses modes limités d’approche et prétend toutefois y conduire, doit fatalement [8] égarer l’explorateur. Dès les premières démarches elle conçoit une « idée directrice » et la pose à une lointaine distance devant elle. Ce sera là son objectif : un édifice mental, un phare aux feux tournants, perdu dans la brume et qu’elle-même a bâti.

Après avoir parcouru de longs détours, battu des sentiers innombrables, la pensée investigatrice sera restée captive de son illusion première. Dupe de ses artifices, elle aura manqué d’atteindre le but réel dont la nature ne peut être qu’inattendue, irréductiblement étrangère aux plus subtiles approches mentales.

Que la pensée rationnelle soit impuissante à aborder sur les rives de la plus haute région, les métaphysiciens tels que Socrate, Platon ou Plotin le savaient par expérience ; sur le point de parvenir à la dernière étape de la pérégrination, ils avaient dû abandonner leur équipement intellectuel.

Toute recherche expérimentale orientée vers l’arrière-plan métaphysique serait vouée à un échec certain si un principe épistémologique — principe supérieur d’intelligibilité — ne lui servait de pilote [2]. Les philosophes hellènes le désignaient du nom de Noesis, Epistémé, Nous, Aléthéia ; l’Inde et la Chine le reconnaissaient aussi, de temps immémorial, sous diverses appellations : Vidyà, Jnàna, Tao.

La tentation est grande de vouloir appliquer les méthodes rigoureuses de l’examen scientifique à ce principe-pilote au pouvoir éclairant.

Mais aussitôt surgit une objection sérieuse.

Pour soumettre à l’étude le principe d’intelligibilité, on devrait prendre l’attitude d’un observateur en face de lui et [9] le traiter comme un objet d’examen. Procédure insoutenable. L’ultime connaisseur et témoin, au lieu d’occuper la position première [3] et de dominer les hiérarchies intellectuelles serait ainsi mis au rang des fonctions mentales ; la contradiction est flagrante. Ce foyer établi au delà de tous les niveaux subjectifs et des relations de sujets à objets éclaire d’en haut les démarches dialectiques. Il serait absurde de vouloir outrepasser la suprême référence et de prétendre analyser l’indivisible source ontologique du réel. Sa réalité — indifférente au temps comme à la dissolution de la durée — éveille dans les pénombres de la condition humaine la conscience intérieure du réel. Aucun homme ne met en doute la réalité de sa propre existence : « Je suis conscient d’exister. » C’est pour lui une vérité absolue, anhypothétique [4]. L’évidence immédiate d’un tel principe existentiel l’enracine, par le cœur de sa nature, dans un roc de permanence. Par contraste aussi, elle déploie l’éphémère devant son regard au passage du temps.

Un ferme ancrage préalable dans le socle du réel s’impose à l’homme de science s’il veut entreprendre sous d’heureux auspices l’exploration aventureuse de sa propre structure jusqu’à l’ultime profondeur. Il est souhaitable qu’une amarre indestructible, guidant sa progression dans la descente aux abîmes, lui assure une stabilité à l’épreuve des courants de dérive. Car c’est d’abord dans un monde de fluidité aux formes incertaines qu’il doit passer ; au delà du territoire où s’élèvent encore les fugitives constructions mentales qui lui sont familières, aucun indice sensible n’apparaît. Un univers sans dimensions d’espace ni de temps se laisse découvrir [10] — paysage de figures significatives que seule une conscience en éveil peut déchiffrer.

Aucun pionnier de cette expédition ne saurait procéder avec l’aide des seules ressources dont dispose l’investigation mentale au delà des frontières extrêmes de la psyché ; et dès les premiers pas il risque de s’égarer par défaut d’épistémologie. L’achèvement de l’itinéraire exige que soit éveillée la connaissance — à la fois transcendante et immanente — de l’intemporel.

Cet éveil à la connaissance de soi — une anamnèse de la vérité au sens platonicien — est-ce là ce que pratiquait Socrate par son art maïeutique ? On sera tenté de répondre affirmativement après avoir lu les dialogues d’Alcibiade, ceux de Théétète et de Phèdre. Conduire l’interlocuteur à travers les brumes de l’oubli jusqu’à la connaissance de son identité perdue, c’est la tâche du Sage de tous les temps.

Socrate ayant assumé l’unique fonction d’arracher les hommes à leur sommeil, selon les hasards de la rencontre, les livrait ensuite à leurs propres forces. C’est en hommes libres qu’il les invitait à interroger inlassablement le meilleur de leur être : la vérité cachée, Aléthéia. Au sortir du dialogue qu’en sa présence ils avaient eu avec eux-mêmes, leur regard s’ouvrait à l’émerveillement.

Les « compagnons » ne se connaissaient pas avec Socrate d’autre lien que l’amour, mais à le fréquenter assidûment ils avaient découvert avec lui qu’une vie sans examen ne vaut pas la peine d’être vécue.

D’ailleurs, qu’ils l’aient voulu ou non, un témoin avait pris place au cœur de leur existence.

Quiconque, adulte ou mûr, souhaite acquérir une compétence en mathématique, cherche un instructeur hautement [11] qualifié. L’ayant choisi avec soin, il met d’abord à l’épreuve les capacités et le talent pédagogique de celui dont il compte recevoir l’instruction. Sans doute, il importe que l’enquête soit conduite avec une prudence et une perspicacité extrêmes — et aussi avec tact. Mais dès lors qu’ont été obtenues les garanties requises, l’intérêt bien compris de l’élève est de se mettre à l’étude dans un esprit d’humilité scientifique. S’il doit argumenter avec celui qui a la connaissance, que ce soit en vue d’obtenir des clartés, des commentaires, de plus amples développements, et non pas avec l’humeur de la dispute et de la contestation stérile ou pour exhiber sa personne dans un débat. Une seule chose importe à l’élève : comprendre clairement, assimiler et faire sienne, par expérience, l’instruction reçue, procéder sans délai à sa mise en pratique.

De même auprès du Sage.

Sa présence incite à l’accomplissement pour lequel on est venu ; mais encore faut-il accepter, selon les termes de Platon, « l’épreuve de la joute suprême ».

L’accomplissement majeur, c’est d’atteindre — derrière la brume dont le Sage dissipe la confusion — l’éclairement par quoi toutes opérations mentales acquièrent un sens.

Ce principe — impersonnel autant que la lumière — n’est nullement une fonction de l’homme, ni un état statique ou dynamique. Il est la conscience même à sa source. Autour d’elle, et par référence au pouvoir épistémologique dont elle est le centre, la pensée ordonne le jeu de ses formes.

Un auditeur ouvert à l’enseignement du Sage n’arrête pas son attention sur le sens restreint des mots entendus ; il reconnaît aux phrases, aux images, aux diagrammes, seulement une valeur de signaux ; au delà des paroles se découvre à lui une réalité d’évidence intérieure.

[12]

Ce fut, d’abord, pour demander au Sage d’éclairer le problème posé si dramatiquement par Socrate — qu’est-ce que l’homme ? [5] — que le rédacteur de ce livre se rendit aux Indes avec sa femme, au début de l’an 1949.

Il ne souhaitait rien d’autre qu’une instruction épistémologique applicable à cette science de la nature humaine qu’est la médecine.

Ses espérances furent pleinement réalisées. Tandis qu’il accordait son attention au dialogue d’une Sagesse transmise de génération en génération du fond des âges, il crut entendre parler Socrate.

L’enseignement se développait par interrogations, commentaires, ironie, défis, procédés tactiques, dans la familiarité des propos ; le visiteur aux Indes revécut les heures ensoleillées de ses lectures platoniciennes. Une lumière fraîche afflua dans les dialogues. Les mystérieuses allusions contenues dans le Phèdre, le Banquet, le Phédon, l’Alcibiade, la VIIe lettre, outrepassant la limite des mots, dégageaient une clarté sans ombres.

Depuis l’instant où survint cette découverte, celui qui écrit ces lignes ne fut plus qu’un auditeur aux écoutes ; en présence du Sage, questions et réponses se donnaient la réplique dans un monologue intérieur.

Il parlait. De ses entretiens ne se dégageait rien d’occulte, aucun appel à de douteuses techniques. On ne se sentait jamais enclin à désirer la puissance, ni à acquérir des pouvoirs.

En écho à sa voix, on s’entendait parler à soi-même. Une vie singulière animait la pensée devant la vérité retrouvée.

[13]

Des interlocuteurs sans noms engageaient de longs débats. D’où avaient-ils surgi ? L’auditeur reconnaissait en eux des tendances enracinées dans son passé, des questions restées jusqu’ici en souffrance, une attitude, certaines exigences de vieille logique. Lui-même — absent des temps et des lieux en face du Sage — n’était plus qu’audition attentive à saisir le secret des dialogues.

La masse de l’ancien savoir rompait ses liaisons et s’ordonnait sur de nouveaux arrangements : des personnages prenaient forme dans un décor de signes, de symboles.

Un voyage d’exploration commença, dont ce livre est le journal de bord.

[14]


[1] Cf. Essais sur l’Expérience libératrice, p. 47.

[2]

[3]

[4] Anhypothétique : expression empruntée au lexique de Platon et désignant l’ultime principe établi au delà de toutes hypothèses.

[5] Cf. PLATON, Théétète : « Mais qu’est-ce que l’homme ? Par quoi une telle nature se doit distinguer des autres en son activité et passivité propres, voilà quelle est sa recherche et l’investigation à laquelle il consacre ses peines. » 174 b.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 21 janvier 2020 19:45
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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