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Collection « Les auteur(e)s classiques »

l'Internationale Communiste, Manifestes, thèses et résolutions
des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste 1919-1923
.
Notice historique


Une édition électronique réalisée à partir du texte de l'Internationale Communiste, Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste 1919-1923. Textes complets. Bibliothèque communiste, Librairie du Travail, juin 1934. Réimpression en fac-similé, François Maspero, 1971, 216 pp. Une édition numérique réalisée par Claude Ovtcharenko, bénévole, journaliste à la retraite, France.

Notice historique

_______

La 3e Internationale communiste
Le premier congrès, mars 1919
Le deuxième congrès, juillet 1920
Le troisième congrès, juin 1921
Le Front unique
La conférence préliminaire des trois Internationales
Le quatrième congrès, novembre 1922.


Afin de donner un aperçu général sur les premiers développements de l’Internationale Communiste, nous reproduisons ici la notice rédigée par le camarade Mathias Rakosi, aujourd’hui menacé de mort par le bourreau Horthy,) la veille du IVe Congrès, pour l’Annuaire du Travail, publié par l’I.C., en 1923.


LA 3e INTERNATIONALE COMMUNISTE

La 2e Internationale devait faire ses preuves au moment de la guerre impérialiste, Elle y était intellectuellement préparée. On avait à l’avance très exactement analysé le caractère de la guerre. À différentes reprises, les Congrès internationaux avaient décidé de mener la lutte la plus énergique et même d’employer contre la guerre la grève générale internationale.

Lorsqu’éclata la guerre, ce fut le contraire qui arriva. La 2e Internationale ne fut même pas capable d’une protestation. Au lieu de déclarer la grève générale ou la lutte contre la guerre impérialiste les leaders social-démocrates s’empressèrent de soutenir leur propre bourgeoisie, sous prétexte de défense nationale. Tous étaient dévorés d’opportunisme et de chauvinisme, attachés par mille liens à la bourgeoisie. Naturellement, la 2e Internationale ne pouvait pas être autrement que les partis qui la composaient. Les phrases révolutionnaires ne pouvaient arriver à masquer la réalité qu’aussi longtemps que le temps n’était pas venu, où l’on exigerait l’adaptation des actes aux paroles. C’est pourquoi le début de la guerre mondiale marque l’écroulement de la 2e Internationale.

C’est ce qui fit que le mouvement ouvrier international fut privé de sa direction précisément à l’heure de plus grand trouble intellectuel et moral. Les rares hommes qui, même au milieu de la vague d’opportunisme et de chauvinisme qui parut, en août 1914, s’être emparé de tous les cerveaux, ne perdirent par la tête, essayèrent immédiatement de faire comprendre ce fait aux ouvriers. Ce furent tout particulièrement les bolcheviks russes qui, au cours de leur lutte impitoyable contre le tsarisme, particulièrement pendant les années 1905-1906, avaient déjà appris à distinguer entre les paroles et les actes révolutionnaires et qui avaient constitué une aile gauche au sein de la 2e Internationale, dont ils critiquaient l’action. Dans le premier numéro de leur organe central qui parut le 1er novembre 1914, le camarade Lénine écrivait :

« La 2e Internationale est morte, vaincue par l’opportunisme. A bas l’opportunisme et vive la 3e Internationale, débarrassée des renégats et aussi de l’opportunisme ! »

« La 2e Internationale a fait un travail utile d’organisation des masses prolétariennes pendant la longue « période pacifique » du pire esclavage capitaliste au cours du dernier tiers du xixe siècle et au début du xxe siècle. La tâche de la 3e Internationale sera de préparer le prolétariat à la lutte révolutionnaire contre les gouvernements capitalistes, à la guerre civile contre la bourgeoisie de tous les pays, en vue de la prise des pouvoirs publics et de la victoire du socialisme. »

Quelques semaines plus tard, le camarade Zinoviev écrivait sur « le mot d’ordre de la social-démocratie révolutionnaire » :

« Nous devons lever l’étendard de la guerre civile. L’Internationale adoptera ce mot d’ordre et elle sera digne de son nom, ou elle végétera misérablement. Notre devoir est de nous préparer aux batailles qui viennent et de nous habituer nous-mêmes et le mouvement ouvrier tout entier à cette idée ; ou nous mourrons ou nous vaincrons sous la bannière de la guerre civile. »

La propagation de pareilles idées se heurtait à d’immenses difficultés. La bourgeoisie de tous les pays, aidée en cela par ses social-patriotes, employait tous les moyens pour empêcher ces idées de pénétrer parmi les masses.

La première tentative de reconstitution d’une Internationale révolutionnaire eut lieu, au début de septembre 1915, à Zimmerwald, en Suisse. Sur l’initiative des socialistes italiens y furent invitées « toutes les organisations ouvrières qui sont restées fidèles au principe de la lutte de classes et de la solidarité internationale ». Etaient présents des délégués de l’Allemagne, de France, d’Italie, des Balkans, de la Suède, de la Norvège, de la Pologne, de la Russie, de la Hollande ou de la Suisse. Toutes les tendances y étaient représentées, depuis les réformistes pacifistes jusqu’aux marxistes révolutionnaires. La Conférence adopta un manifeste, flétrissant la guerre impérialiste et recommandant l’exemple de tous ceux qui furent persécutés pour avoir tenté de réveiller l’esprit révolutionnaire au sein de la classe ouvrière. Quoique confus, ce manifeste marqua un grand pas en avant. Le groupe intitulé la gauche de Zimmerwald répandit une résolution beaucoup plus claire et plus nette. Cette résolution contenait le passage suivant :

« Refus des crédits de guerre, sortie des ministres socialistes des gouvernements bourgeois, nécessité de démasquer le caractère impérialiste de la guerre du haut de la tribune parlementaire, dans les colonnes de la presse légale et, au besoin, illégale, organisations de manifestations contre les gouvernements, propagande des tranchées en faveur de la solidarité internationale, protection des grèves économiques tout en essayant de les transformer en grèves politiques, guerre civile et non paix sociale. »

Le rejet de cette résolution par la Conférence caractérise suffisamment l’état d’esprit de ceux qui y participaient. La Conférence nomma une « Commission socialiste internationale ». Malgré la déclaration formelle de la majorité à la Conférence, disant ne pas vouloir créer une 3e Internationale, la Commission devint par son opposition au « Bureau socialiste international » (organe exécutif de la 2e Internationale), le point de ralliement de l’opposition et l’organisatrice de la nouvelle internationale.

La Conférence de Zimmerwald fut suivie de la Conférence de Kienthal, en avril 1916. Ce qui caractérisa cette deuxième conférence fut le fait que l’idée de la lutte révolutionnaire internationale contre la guerre et, par conséquent, da nécessité d’une nouvelle Internationale apparurent de plus en plus au premier plan. L’influence de la « Gauche zimmerwaldienne » augmenta. On travailla avec zèle. On imprima des brochures, des tracts, qu’on envoya dans les différents pays au prix des plus grandes difficultés. De petites entrevues et conférences eurent lieu, qui continuèrent à répandre l’idée de la lutte de classes révolutionnaire.

Lorsque la Révolution éclata en Russie, les éléments les plus actifs de la « Gauche zimmerwaldienne » retournèrent en Russie. C’est ainsi que le centre de la lutte en faveur de la 3e Internationale se transporta en Russie. C’est pourquoi Zinoviev avait raison d’écrire :

« Dès sa naissance, la 3e internationale lia son destin à celui de la Révolution russe. Dans la mesure où celle-ci triompha, le mot d’ordre : « Pour la 3e Internationale » s’imposa. Et dans la même mesure où la Révolution russe se renforça, se renforça aussi la situation de l’Internationale communiste dans le monde entier. »

Au cours des démonstrations du 1er mai 1917, l’un des mots d’ordre principaux des masses prolétariennes fut l’édification de l’Internationale communiste. Ce souhait devint plus ardent encore quand le prolétariat russe eut conquis le pouvoir et que, dans la lutte contre l’impérialisme mondial, la 2e Internationale — tout comme dans la guerre mondiale — se mit du côté de la bourgeoisie.

Quelques mois après la chute des puissances centrales, le parti communiste russe prit l’initiative de la fondation de la 3e Internationale. Les révolutions qui suivirent la guerre démontrèrent la banqueroute de la « défense nationale » et de ses partisans, les social-démocrates. Une puissante vague révolutionnaire passa sur la classe ouvrière de tous les pays. En Europe centrale, des insurrections ouvrières apparurent de tous côtés. Non seulement le terrain était suffisamment mûr pour la constitution de l’Internationale communiste, mais celle-ci était devenue une nécessité pour la préparation et l’organisation des luttes révolutionnaires.


LE PREMIER CONGRÈS — MARS 1919

Le 24 janvier 1919, la Centrale du Parti communiste russe ainsi que les bureaux étrangers des partis communistes polonais, hongrois, allemand, autrichien, letton et les Comités centraux du parti communiste finlandais, de la Fédération socialiste balkanique et du Parti socialiste ouvrier américain lancèrent l’appel suivant :

« Les partis et organisations soussignés considèrent comme une nécessité impérieuse la réunion du premier congrès de la nouvelle Internationale révolutionnaire. Pendant la guerre et la Révolution, se manifesta non seulement la complète banqueroute des vieux partis socialistes et social-démocrates et avec eux la 2e Internationale, mais aussi l’incapacité des éléments centristes de la vieille social-démocratie à l’action révolutionnaire. En même temps, se dessinent clairement les contours d’une véritable Internationale révolutionnaire. »

L’appel décrit en douze points le but, la tactique et la conduite des partis « socialistes ». Considérant que l’époque actuelle signifie la décomposition et l’écroulement du système capitaliste qui est en même temps l’écroulement de la culture européenne, si l’on ne supprime pas le capitalisme. La tâche du prolétariat est dans la conquête immédiate des pouvoirs publics. Cette conquête du pouvoir public consiste dans l’anéantissement de l’appareil d’Etat bourgeois et dans l’organisation de l’appareil de l’Etat prolétarien. Le nouvel appareil doit incarner la dictature de la classe ouvrière et servir d’instrument à l’oppression systématique et à l’expropriation de la classe exploiteuse. Le type de l’Etat prolétarien n’est pas la démocratie bourgeoise, ce masque sous lequel se cache la domination de l’oligarchie financière, mais la démocratie prolétarienne sous la forme des Conseils. Pour assurer l’expropriation du sol et des moyens de production qui devront passer aux mains du peuple tout entier, il faudra désarmer la bourgeoisie et armer la classe ouvrière. La méthode principale de la lutte est l’action des masses révolutionnaires jusqu’à l’insurrection armée contre l’Etat bourgeois.

En ce qui concerne l’attitude des socialistes, trois groupes sont à considérer. Contre les social-patriotes qui combattent aux côtés de la bourgeoisie, il faudra lutter sans merci. Les éléments révolutionnaires du centre devront être scindés ; les chefs, critiqués incessamment et démasqués. A une certaine période du développement, une séparation organique d’avec les centristes s’impose. Un troisième groupe composé des éléments révolutionnaires du mouvement ouvrier devra être constitué. Suivait une énumération de 39 partis et organisations invités au 1er Congrès. La tâche du congrès consiste en la « création d’un organisme de combat chargé de coordonner et de diriger le mouvement de l’Internationale communiste et de réaliser la subordination des intérêts du mouvement des divers pays aux intérêts généraux de la Révolution internationale. »

Le 1er Congrès eut lieu en mars 1919. A cette époque, la Russie des Soviets était complètement bloquée, entourée de tous les côtés de fronts militaires, de sorte qu’un petit nombre seulement de délégués parvint, au prix des plus grandes difficultés, à se rendre au congrès. Au sujet de la constitution de ce congrès, le camarade Zinoviev (dans son rapport au second congrès) écrit ce qui suit :

« Le mouvement communiste, dans les divers pays d’Europe et d’Amérique, à cette époque, n’en était qu’à ses débuts. C’était la tâche du premier Congrès de déployer l’étendard communiste et de proclamer l’idée de l’Internationale communiste. Mais ni la situation générale des partis communistes dans les différents pays, ni le nombre des délégués au premier Congrès ne permirent de discuter à fond les questions pratiques de l’organisation de l’Internationale communiste. »

Le congrès entendit les rapports des délégués sur la situation du mouvement dans leur pays, adopta des résolutions sur les directives de l’Internationale communiste, sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne, sur la position vis-à-vis des courants socialistes, sur la situation internationale : elles étaient toutes rédigées dans l’esprit de l’appel de la fondation. La fondation de l’Internationale communiste fut décidée à l’unanimité moins cinq abstentions. On laissa au 2e Congrès la tâche de la constitution définitive de l’Internationale communiste, dont la direction fut confiée à un Comité exécutif, dans lequel devaient être représentés les partis russe, allemand, hongrois, la Fédération balkanique, les partis suisse et scandinave. Le congrès se termina par un manifeste au prolétariat du monde entier.

Pendant la première année, le Comité exécutif de l’Internationale communiste eut un travail difficile à accomplir. A peu près coupé de l’Europe occidentale, il dut rester des mois entiers sans journaux, privé de la plupart de ses membres qui ne pouvaient venir à cause du blocus. Il n’en prit pas moins position sur toutes les questions importantes, précisément dans la première année qui suivit la guerre, où l’on manquait tant de clarté ; les appels et les écrits du Comité exécutif eurent une valeur extrêmement précieuse.

La création de l’Internationale communiste donna un but et une direction aux masses ouvrières opposées à la politique de la 2e Internationale. Il se produisit un véritable afflux des ouvriers révolutionnaires vers l’Internationale communiste. En mars 1919, le parti socialiste italien envoya son adhésion ; en mai, ce fut le tour du parti ouvrier norvégien et du parti socialiste « étroit » bulgare ; en juin, du parti socialiste de gauche suédois, du parti socialiste communiste hongrois, etc… En même temps, la 2e Internationale se vidait rapidement de ses effectifs. L’un après l’autre, ses partis les plus importants la quittèrent. Si, lors de sa fondation, l’Internationale communiste était plus un drapeau qu’une armée, elle avait, au cours de sa première année d’existence non seulement rassemblé une armée autour de son drapeau, mais infligé de graves défaites à son adversaire.


LE DEUXIÈME CONGRÈS — JUILLET 1920

De nouveaux problèmes apparurent avec les progrès de l’Internationale communiste. Les partis qui venaient d’y adhérer n’étaient pas suffisamment formés. Il n’existait pas encore de clarté suffisante sur le parti, sur le rôle des communistes dans les syndicats et sur leur attitude par rapport à la question du parlementarisme et dans les autres questions. Ce fut la tâche du 2e congrès de fixer les directives.

De tous les pays arrivèrent des délégués. Le congrès s’ouvrit à Pétrograd, le 17 juillet 1920, aux acclamations des ouvriers russes et au milieu de l’attention du monde prolétarien tout entier. On adopta des résolutions de l’Internationale communiste, résolutions où la notion de dictature du prolétariat et de pouvoir des Soviets était éclairée sur la base de l’expérience pratique, ainsi que les conditions d’exécution de ce mot d’ordre dans les différents pays. On envisagea les moyens de renforcer le mouvement communiste. On adopta aussi des résolutions sur le rôle du parti dans la révolution prolétarienne. Le parti communiste doit constituer l’avant-garde, la partie la plus consciente et la plus révolutionnaire de la classe ouvrière. Il doit être constitué sur la base du principe de centralisation et constituer, dans toutes les organisations, des noyaux soumis à la discipline du parti.

En ce qui concerne les syndicats, « les communistes doivent y entrer pour en faire des formations de combat contre le capitalisme et des écoles de communistes ». La sortie des communistes hors des syndicats aurait pour résultat de livrer les masses aux chefs opportunistes qui travaillent avec la bourgeoisie. D’autres résolutions furent adoptées sur la question des conseils ouvriers et des conseils de fabrique, sur le parlementarisme, sur la question agraire et coloniale. Enfin, on adopta les statuts de l’Internationale communiste.

De grands débats eurent lieu sur la question du rôle du parti, sur l’activité des communistes dans les syndicats et la participation aux élections. Les opportunistes attaquèrent avec violence les vingt et une conditions d’adhésion à l’Internationale communiste — Le combat héroïque du prolétariat russe, la banqueroute de la bourgeoisie et de son alliée, la 2e Internationale, les mots d’ordre et les appels révolutionnaires de l’Internationale communiste y conduisait une masse de chefs obligée de céder à la pression des masses ouvrières. Ils étaient dévoués corps et âme à la 2e Internationale et n’entraient à l’Internationale communiste que pour ne pas perdre leur influence sur les masses. Même si l’Internationale communiste avait été une organisation déjà puissante et expérimentée, l’entrée de ces éléments opportunistes aurait eu le danger de faire pénétrer au sein de l’Internationale communiste l’esprit de la 2e Internationale. Or, l’Internationale communiste étant composée de partis encore en voie de formation, il était d’une nécessite impérieuse de tenir à l’écart de tels éléments. C’est ce qui explique les vingt et une conditions d’adhésion.

Ces conditions exigent de chaque parti qui veut adhérer à l’Internationale communiste que toute sa propagande et son agitation aient un caractère communiste. La presse doit être complètement soumise au Comité central du parti. Les réformistes devront être écartés de tous les postes responsables. Le Parti doit posséder un appareil illégal et faire une propagande systématique dans l’armée et dans les campagnes. Il doit mener une lutte énergique contre les réformistes et les centristes. Dans les syndicats, il doit lutter contre l’Internationale syndicale d’Amsterdam. Le Parti doit être sévèrement centralisé et prendre le nom de Parti communiste (section de l’Internationale communiste). Tous les Partis qui appartiennent à l’Internationale communiste ou qui veulent y entrer doivent, au plus tard 4 mois après le 2e Congrès, examiner ces conditions dans un congrès extraordinaire et exclure du Parti tous ceux de leurs membres qui les repoussent.

Le Congrès se termina le 7 août. Au mois de septembre, le Parti social-démocrate de Tchécoslovaquie se scinda : une majorité écrasante adopta les 21 conditions et se constitua, plus tard, en Parti communiste. Au mois d’octobre, au Congrès de Halle, la majorité du Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne se prononça pour l’adhésion à l’Internationale communiste. En décembre eut lieu la fusion de la gauche du Parti indépendant et K.P.D. (groupe spartakiste) et un grand Parti communiste unifié d’Allemagne sortit de cette fusion. Fin décembre, l’immense majorité du Parti Socialiste français adhéra à l’Internationale communiste. Au mois de janvier 1921, une scission se produisit au sein du Parti socialiste italien, qui appartenait cependant à l’Internationale communiste, mais dont la majorité réformiste repoussait les 21 conditions. Dans tous les pays du monde où existaient des organisations ouvrières, le même processus se produisait : les communistes se séparaient des réformistes et se constituaient en section de l’Internationale communiste.

Parallèlement au progrès et au renforcement de l’Internationale communiste, se produisait la décomposition de la 2e Internationale. Toute une série de partis qui sortirent de la 2e Internationale, mais se refusèrent à entrer dans l’Internationale communiste, constituèrent une « Union Internationale des Partis socialistes », communément appelée l’Internationale 2 1/2, parce que, dans toutes les questions, elle oscille entre la 2e et 3e Internationale.


LE TROISIÈME CONGRÈS — JUIN 1921

Le 3e Congrès de l’Internationale communiste, qui se réunit en juin 1921, eut à résoudre de nouvelles tâches. Celles-ci étaient déterminées en partie par le fait que l’Internationale communiste comprenait déjà plus de 50 sections, parmi lesquelles de grands partis de masses des pays européens les plus importants, ce qui faisait surgir des questions de tactique et d’organisation, mais surtout par le fait que le développement de la Révolution et l’écroulement du capitalisme subissaient un certain ralentissement qu’on n’avait pu prévoir à l’époque du 1er et du 2e Congrès.

Après l’écroulement des Puissances centrales, la vague révolutionnaire était monstrueusement forte et l’on avait l’impression que des Révolutions prolétariennes suivraient immédiatement les Révolutions bourgeoises. En Hongrie et en Bavière, le prolétariat réussit pour quelque temps à s’emparer du pouvoir ; même après la défaite des Républiques soviétiques de Hongrie et de Bavière, l’espoir en une victoire rapide de la classe ouvrière n’avait pas disparu. Qu’on se rappelle l’époque où l’Armée Rouge était devant Varsovie et où le prolétariat tout entier se préparait fiévreusement à de nouvelles luttes.

Mais la bourgeoisie se montra plus capable de résistance qu’on ne l’avait cru. Sa force consistait tout d’abord en ce fait que les social-traîtres qui pendant la guerre se battirent si héroïquement contre le prolétariat, se révélèrent, même après la guerre, comme les meilleurs soutiens du capitalisme branlant. Dans tous les pays où la bourgeoisie ne pouvait plus rester maîtresse de la situation, elle remit le pouvoir aux social-démocrates. Ce furent des « gouvernements social-démocrates », avec Noske et Ebert en Allemagne, Renner et Otto Bauer en Autriche, avec Tusar en Tchécoslovaquie, avec Bôhm et Garami en Hongrie, qui firent les affaires de la bourgeoisie pendant la période révolutionnaire, et étouffèrent dans le sang les tentatives de libération du prolétariat.

La prospérité apparente qui suivit immédiatement la guerre, en permettant aux capitalistes d’occuper les soldats démobilisés, constitua également un obstacle à la Révolution. La bourgeoisie réussit à calmer les ouvriers sans travail, en leur fournissant des subventions. A cela vint s’ajouter encore un phénomène psychologique important, à savoir la fatigue des larges masses de la classe ouvrière qui sortaient à peine des souffrances et des privations subies pendant les quatre années de la guerre impérialiste. Enfin les partis communistes à qui incombait la tâche de diriger et de coordonner la lutte du prolétariat, étaient encore en voie de formation et adoptaient souvent de fausses méthodes de combat.

Toutes ces circonstances permirent à la bourgeoisie de rassembler lentement ses forces, de conquérir son assurance et de reprendre une partie des positions perdues. Lorsque la bourgeoisie n’eut plus besoin d’eux, elle chassa les socialistes du gouvernement dans tous les pays où ils y participaient, et les capitalistes reprirent eux-mêmes la direction de leurs affaires. Ils créèrent des organisations militaires illégales, armèrent la partie consciente de la bourgeoisie et passèrent à l’attaque contre la classe ouvrière.

Entre temps, la situation économique avait également subi de profondes transformations. Au printemps 1920, une crise apparut au Japon et en Amérique qui s’étendit de proche en proche à toutes les nations industrielles. La consommation diminua rapidement, la production se réduisit, des centaines de milliers, des millions d’ouvriers furent jetés sur le pavé. Les débouchés diminuèrent rapidement, la production fut restreinte. Les luttes défensives des ouvriers prirent de grandes dimensions, mais se terminèrent par des défaites, ce qui renforça la situation de la bourgeoisie.

Telle était la situation, lorsque s’ouvrit le 3e Congrès de l’Internationale communiste. Le Congrès examina tout d’abord la situation de l’économie mondiale et aborda ensuite la question de la tactique nécessitée par la nouvelle situation. La bourgeoisie se renforçait, ainsi que ses serviteurs, les social-démocrates. L’époque des victoires faciles, remportées par l’Internationale communiste, au cours des années qui suivirent immédiatement la guerre, était passée. En attendant de nouveaux combats révolutionnaires, nous devions reconstruire et renforcer nos organisations et conquérir les positions des réformistes par un travail opiniâtre au sein des organisations ouvrières. Les occupations de fabriques en Italie, la grève de décembre en Tchécoslovaquie, l’insurrection de mars en Allemagne, montraient que les Partis communistes, même lorsqu’ils combattaient manifestement pour les intérêts du prolétariat tout entier, ne pouvaient réussir à vaincre les forces unies de la bourgeoisie et de la social-démocratie, quand non seulement ils n’avaient pas la sympathie des larges masses, mais même quand ils n’embrassaient pas ces masses au sein de leurs organisations en les arrachant aux organisations diverses. C’est pourquoi le Congrès lança le mot d’ordre « Allez aux masses ! »

Dans l’Europe occidentale, les Partis communistes doivent faire tout leur possible afin d’obliger les syndicats et les partis s’appuyant sur la classe ouvrière, à une action commune en faveur des intérêts immédiats de la classe ouvrière, tout en préparant celle-ci à la possibilité d’une trahison de la part des partis non communistes.

Une certaine opposition « gauchiste » se manifesta contre cette tactique. Le K.A.P.D. [1] y vit un abandon de la lutte révolutionnaire et accusa l’Internationale communiste de faire sur le terrain politique la même retraite que le pouvoir des Soviets s’était vu obligé de faire sur le terrain économique. De bons camarades également ne comprirent pas, au début, la nécessité de cette tactique.

A côté des questions de tactique, ce furent les questions d’organisation qui retinrent le plus d’attention. En vue de la conquête des syndicats, le Bureau syndical organisé par le 2e Congrès, en collaboration avec les syndicats ayant adhéré dans l’intervalle des deux congrès, constitua l’Internationale syndicale rouge. On discuta également la question de l’Internationale des Jeunes et du mouvement des femmes, ainsi que celle concernant le travail dans les coopératives et dans les Unions sportives ouvrières.

Le Congrès entendit ensuite un rapport sur la Russie des Soviets et approuva à l’unanimité la tactique employée.

De grands débats eurent lieu sur le rapport concernant l’activité du Comité exécutif. Certains camarades n’approuvaient pas la politique du Comité exécutif dans la question italienne, dans le cas Lévi et dans la question du K.A.P.D. Mais le Congrès approuva dans toutes ces questions l’activité du Comité exécutif. Les événements n’ont fait que confirmer la justesse de ces décisions.

Le Congrès se termina le 12 août, par la discussion de la question orientale.

Les mois qui suivirent furent relativement calmes et donnèrent aux différents partis communistes la possibilité d’exécuter les décisions du 3e Congrès. Les organisations furent soumises à un examen sévère, la liaison entre les différentes sections et le Comité exécutif tut améliorée. Au cours des trois années de son existence, la 3e Internationale. est devenue une organisation véritablement mondiale. La 2e Internationale, par exemple, n’a aucun parti dans des pays comme la France et l’Italie ; par contre, il n’existe presque aucun pays où la fraction la plus consciente du prolétariat, sans distinction de race ou de couleur, ne soit constituée en section de l’Internationale communiste. Celle-ci comprend près de 60 sections avec un effectif total d’environ 3 millions de membres, et possédant 700 journaux quotidiens. La conquête de nouvelles masses et de nouvelles positions se poursuit avec succès. Le Congrès des travailleurs d’Extrême-Orient, qui se tint à Moscou au mois de janvier 1922, établit la liaison de la classe ouvrière chinoise et japonaise avec l’Internationale communiste.


LE FRONT UNIQUE

Le 3e Congrès se réunit à une époque où régnait une grande dépression au sein de la classe ouvrière. Les défaites subies avaient découragé le prolétariat. Cette situation s’aggrava encore après le congrès. En Angleterre, en Amérique, en Italie et dans les pays neutres, les ouvriers souffrent du chômage permanent. La classe ouvrière a perdu ses conquêtes des dernières années. La journée de travail a été prolongée, le niveau d’existence des ouvriers a été ramené à un niveau plus bas qu’avant la guerre. Si, dans les pays à change bas, comme l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, le chômage est moins grand, la misère de la classe ouvrière n’en est que plus dure, vu la diminution constante des salaires réels causée par l’abaissement continuel de la valeur d’achat de l’argent, ce qui met les ouvriers dans l’impossibilité de satisfaire leurs besoins même les plus élémentaires.

Cette situation était intolérable. Sous la pression de la misère croissante, les masses commencèrent à chercher un remède à leur situation. Elles comprirent que les vieilles méthodes étaient impuissantes à obtenir quoi que ce fût. Les grèves échouaient, et, quand elles réussissaient, les avantages obtenus étaient bientôt annulés par la déprécation de l’argent. Les masses virent que la classe ouvrière était scindée en différents partis se combattant mutuellement, alors que la classe capitaliste engageait contre elle une offensive unique. Dans cette situation, la solution qui s’imposait était d’unifier les forces dispersées du prolétariat pour les opposer à l’attaque du capitalisme.

De quelle façon devait se réaliser cette unification des forces du prolétariat ? Là-dessus, les masses ouvrières ne se faisaient aucune idée bien claire. En tout cas, le fait que, partout, un mouvement se produisait dans cette direction, était une preuve de sa profondeur et de sa nécessité. Il prouvait que les masses se détournaient inconsciemment de la politique réformiste de la 2e Internationale et de l’Internationale syndicale d’Amsterdam, et qu’après tant d’erreurs et de défaites, elles étaient enfin décidées à s’engager dans la voie de l’unification des forces du prolétariat.

Cela signifiait en même temps un changement dans l’appréciation du rôle des partis communistes et de l’Internationale communiste. Au cours des années 1918 et 1919, le prolétariat a été battu, parce que son avant-garde, le Parti communiste, représentait bien plus une tendance qu’une organisation capable de prendre la direction de la lutte de classes. L’expérience de la défaite obligea les communistes à créer, par le moyen de scissions et par la création de partis indépendants, les organisations de combat nécessaires. Cette période des scissions coïncida avec celle où la grande vague révolutionnaire était en voie de décroissance et où commençait la contre-offensive du capitalisme. Même si les social-démocrates n’avaient pas su utiliser adroitement cette circonstance, un mécontentement se serait quand même produit contre les « scissionnistes » au sein des masses qui ne pouvaient comprendre la nécessité de cette tactique. Les masses avaient aussi peu compris les tentatives de soulèvement faites par les communistes, lorsque ces derniers, avant toute la classe ouvrière — précisément parce qu’ils en sont la fraction la plus clairvoyante — réclamaient l’emploi de méthodes de combat plus énergiques. La grève de décembre, en Tchécoslovaquie et l’action de mars, en Allemagne, devaient échouer même si elles avaient été mieux conduites, parce que les larges masses ne comprenaient pas alors la nécessité d’une pareille méthode de combat. Mais la pression de la misère leur fit bientôt comprendre la nécessité de ce qu’elles considéraient autrefois comme des putschs. Le travail que les communistes, à l’époque de la dépression, avaient fait seuls, au prix d’immenses sacrifices, commençait à porter ses fruits.

À cela, vient s’ajouter le fait que, dans la lutte, les ouvriers ne tiennent plus compte des frontières de partis au moyen desquelles les social-démocrates essayent de les éloigner des communistes.

Les partisans d’Amsterdam, ceux de la 2e Internationale et de l’Internationale 2 2 1/2, essayèrent d’exploiter le nouveau courant en provoquant un mouvement en faveur de l’unité, contre les communistes. Mais l’époque où de telles manœuvres étaient possibles, parce que les social-démocrates avaient en mains toutes les organisations ouvrières et toute la presse ouvrière, était passée. Le Comité exécutif de l’Internationale communiste démasqua ce plan et engagea une campagne « pour l’unité du prolétariat mondial, contre l’union avec les social-traîtres ». Dans la question du secours aux affamés et du secours aux ouvriers yougoslaves et espagnols, elle s’adressa à l’Internationale d’Amsterdam, au début, sans aucun succès. Mais lorsque les contours de la nouvelle vague devinrent plus clairs et plus visibles, le Comité exécutif, après de longues discussions, pris position sur la question.

Dans des « Résolutions sur le front unique des ouvriers et sur les rapports avec les ouvriers qui appartiennent à la 2e Internationale, à l’Internationale 2 ½, à l’Internationale syndicale d’Amsterdam et aux organisations anarcho-syndicalistes », il analysa la situation et fournit un but clair et précis aux efforts élémentaires en vue du front unique. « Le front unique n’est pas autre chose que l’union de tous les ouvriers décidés à lutter contre le capitalisme. » Les communistes doivent soutenir ce mot d’ordre de la plus grande unité possible de toutes les organisations ouvrières dans chaque action contre le capitalisme. Les leaders de la 2e Internationale comme de l’Internationale 2 ½ et de l’Internationale syndicale d’Amsterdam, ont trahi les masses ouvrières dans toutes les questions pratiques de la lutte contre le capitalisme. Cette fois aussi, ils préféreront l’unité avec la bourgeoisie à l’unité avec le prolétariat. C’est le devoir de l’Internationale communiste et de ses différentes sections, de persuader, cette fois, les masses ouvrières de l’hypocrisie des social-traîtres, qui se révèlent des destructeurs de l’unité de front de la classe ouvrière. Dans ce but, l’indépendance absolue, la pleine liberté de la critique sont les conditions principales des partis communistes.

Les résolutions insistent également sur les dangers qui peuvent naître, au cours de la mise à exécution de cette tactique, là où les partis communistes n’ont pas encore la clarté idéologique nécessaire et l’homogénéité indispensable.

Les résolutions furent adoptées au milieu du mois de décembre. En vue de la décision définitive, on convoqua, à Moscou, une session élargie du Comité exécutif pour le début du mois de février suivant. Dans un appel daté du 1er janvier 1922, sur le front unique prolétarien, le Comité exécutif montra la nécessité de la lutte commune en rapport avec la conférence de Washington et l’offensive générale du capitalisme contre la classe ouvrière. Les résolutions et l’appel du Comité exécutif furent rapidement répandus dans tous les pays, devinrent l’objet de longues discussions de la part des communistes et de leurs adversaires et contribuèrent à éclairer la question du front unique. Les social-traîtres jetèrent les hauts cris, ils comprirent qu’ils étaient là placés devant une question qui allait les obliger à se démasquer. Mais leur indignation, sur cette « nouvelle manœuvre communiste », ne put faire disparaître, dans les masses, l’impression que les communistes, qu’on appelait jusque-là les « scissionnistes », étaient, en réalité, les vrais partisans de l’unité de front du prolétariat. La séance du Comité exécutif élargi, ne se réunit, à cause de la grève des cheminots allemands, qu’à la fin de février. Ce fut, en réalité, un petit congrès composé de plus de 100 délégués représentants trente-six pays. L’ordre du jour était passablement chargé : il comportait les rapports des partis des pays les plus importants, les tâches des communistes dans les syndicats, la question de la lutte contre les dangers de guerre, celle de la nouvelle politique économique de la Russie des Soviets, celle de la lutte contre la misère de la jeunesse ouvrière. Mais la question principale était constituée par la question du front unique et de la participation à la conférence commune proposée par l’Internationale 2 1/2.

Les camarades français et italiens se prononcèrent contre l’unité de front dans la forme où elle était présentée par les résolutions du Comité exécutif. Les camarades français exprimèrent la crainte que les masses ouvrières françaises ne comprissent pas une action commune des communistes avec les dissidents. Ils se déclarèrent partisans du front unique des ouvriers révolutionnaires et déclarèrent que l’activité des communistes, en France, tendait à réaliser, dans les questions de la journée de huit heures et de l’impôt sur les salaires, le bloc des ouvriers révolutionnaires. Le parti français était encore trop jeune et trop peu capable de manœuvre, et il était incapable de mener une action commune avec les socialistes dissidents et les syndicats réformistes dont on venait à peine de se séparer.

Les délégués italiens se déclarèrent partisans de l’unité de front syndical, mais adversaires de l’unité de front politique avec les socialistes. Ils exprimèrent l’avis que les masses ne comprendraient pas une action commune des différents partis ouvriers, et que le véritable terrain où le front unique fût possible était le syndicat, où les communistes et les socialistes sont ensemble.

Tous les autres délégués présents à la conférence exprimèrent un avis différent. Malgré des trahisons innombrables, les leaders réformistes ont, jusqu’à présent, réussi à maintenir leur influence sur la majeure partie des organisations ouvrières. Ce n’est pas en répétant encore une fois que ce sont des traîtres, que nous arriverons à rallier à nous les ouvriers. Il s’agit maintenant, quand une volonté de combat règne dans les masses, de leur montrer que les social-démocrates ne veulent pas combattre non seulement pour le socialisme, mais même pour les revendications les plus immédiates de la classe ouvrière. Jusqu’à présent, nous n’avons pas encore réussi à les démasquer, d’abord parce que nous n’avions pas pour cela les moyens nécessaires, ensuite parce que la situation psychologique, l’atmosphère grâce à laquelle les ouvriers comprennent les trahisons dont ils sont l’objet, faisaient défaut. Nous avons, enfin, l’occasion de les démasquer. C’est pourquoi, en nous refusant à lutter avec les réformistes, parce qu’ils ne lutteront jamais sérieusement contre la bourgeoisie dont ils sont les serviteurs, nous aurons l’approbation des camarades qui savent déjà cela, mais nous ne persuaderons pas un seul des ouvriers qui suivent encore les réformistes. Tout au contraire, en se refusant à mener la lutte en commun, à une époque où les masses ouvrières la veulent, les communistes donnent aux social-traîtres la possibilité de les représenter comme des saboteurs de l’unité de front du prolétariat. Mais si nous participons à la lutte, les masses verront bientôt qui veut véritablement la lutte contre la bourgeoisie et qui ne la veut pas. Nos camarades, qui nous voyaient tout d’abord avec mauvaise humeur nous asseyant à une même table avec les réformistes, comprendront, au cours des négociations que, là aussi, nous faisons du travail révolutionnaire.

Après que le Comité exécutif élargi eut adopté à l’unanimité des voix, moins celle des camarades français, italiens et espagnols, les directives contenues dans les résolutions, les trois délégations adversaires du front unique firent une déclaration promettant de s’y soumettre.

Le Comité exécutif élargi décida d’accepter l’invitation de l’Internationale de Vienne de participer à une conférence internationale, en faisant la proposition d’inviter à la conférence, non seulement l’Internationale communiste, mais aussi l’Internationale rouge des syndicats, l’Internationale syndicale d’Amsterdam, les organisations anarcho-syndicalistes et les organisations syndicales indépendantes, et de mettre à l’ordre du jour de la conférence, à côté de la lutte contre l’offensive du capitalisme et contre la réaction, la question de la lutte contre de nouvelles guerres impérialistes, celle de la restauration de la Russie des Soviets, celle des réparations et du traité de Versailles.

Après avoir réglé encore quelques questions (celles de la presse communiste, de l’opposition ouvrière du parti communiste russe, etc…), et après avoir procédé à l’élection du président du Comité exécutif, la conférence se termina le 4 mars.


LA CONFÉRENCE PRÉLIMINAIRE
DES TROIS INTERNATIONALES

Le 2 avril, eut lieu la première séance des délégations des trois Internationales, composées chacune de 10 membres. Les représentants de la 2e Internationale essayèrent tout de suite de saboter la conférence et d’étouffer dans le germe le front unique. Ils posèrent des conditions à l’Internationale communiste, exigèrent des « garanties » contre la tactique des « noyaux » et se mirent à discuter la question de la Géorgie et celle des social-révolutionnaires. Il en résulta une situation telle qu’on put craindre que la conférence ne dût se séparer. Grâce à l’attitude énergique des délégués de l’Internationale communiste qui exigèrent le front unique sans conditions, les délégués de l’Internationale de Vienne se rangèrent à leur avis, ce qui obligea les délégués de la 2e Internationale à reculer. Après quatre jours de négociations, on décida de convoquer, dans le délai le plus court, une conférence générale. On nomma une Commission composée de trois membres de chaque Comité exécutif, chargée de la préparation de cette conférence. En attendant la réunion de cette conférence générale, on décida d’organiser des manifestations communes de tous les partis adhérents aux trois Internationales, pour le 20 avril suivant et, partout où cela ne serait pas techniquement possible, pour le 1er mai, avec les mots d’ordre suivants :


• Pour la journée de 8 heures ;

• Pour la lutte contre le chômage, provoqué par la politique de réparations des puissances capitalistes ;

• Pour l’action unie du prolétariat contre l’offensive capitaliste ;

• Pour la révolution russe, pour la Russie affamée, pour la reprise des relations politiques et économiques avec la Russie ;

• Pour le rétablissement du front unique prolétarien national et international.


La Commission d’organisation fut chargée de s’entremettre entre les représentants de l’Internationale syndicale d’Amsterdam et ceux de l’Internationale rouge des syndicats. Les délégués de l’Internationale communiste firent une déclaration aux termes de laquelle le procès des social-révolutionnaires aurait lieu en toute publicité et se terminerait sans condamnation à mort. La résolution constata encore que la conférence générale ne pourrait pas avoir lieu en avril, parce que la 2e Internationale la repoussait sous différents prétextes : celle-ci refusant également d’inscrire à l’ordre du jour de la conférence la question du traité de Versailles et de sa révision.

Les manifestations du 20 avril et du 1er mai suivant, auxquelles participèrent des masses ouvrières immenses, montrèrent que le prolétariat était décidé à lutter en commun pour les mots d’ordre qui avaient été lancés. La 2e Internationale et les partis qui la composent essayent, aujourd’hui comme hier, de saboter le front unique par tous les moyens. Ils se refusent à organiser des manifestations communes, retardent l’exécution des décisions prises et contribuent ainsi à se démasquer devant les masses

C’est la tâche de l’Internationale communiste et de ses sections nationales de démontrer, par leur action, que la lutte contre l’offensive capitaliste et contre le capitalisme en général ne peut réussir que sous la direction de l’Internationale communiste.

Comme il fallait s’y attendre, la 2e Internationale et l’Internationale de Vienne firent sauter la Commission des neuf. Après qu’on fût arrivé à empêcher la réunion de la Commission pendant la conférence de Gênes afin que la bourgeoisie ne fût troublée en rien dans ses délibérations contre la Russie des Soviets, la première séance, qui fut aussi la dernière, eut lieu le 23 mai, à Berlin. Le 21 mai, avait eu lieu une réunion du Labour Party, du Parti ouvrier belge et du Parti socialiste français, au cours de laquelle avait été décidée une conférence générale de tous les partis socialistes à l’exception des communistes. Il était clair que la 2e Internationale et la 2 ½ étaient revenues à leur projet de front unique contre les communistes. Malgré cela, l’Internationale communiste fit tout son possible pour permettre la réunion d’un congrès international de tous les partis socialistes. Pour arriver aux buts de l’unité de front, à savoir la lutte contre l’offensive du capital, contre la baisse des salaires et contre le chômage, elle se déclara prête à rayer de l’ordre du jour du Congrès la question du secours à la Russie des Soviets, déjà adoptée dans la plate-forme commune. Par contre, elle demandait une réponse précise à la question de savoir si la 2e Internationale acceptait, oui ou non, le congrès ouvrier mondial. Placée devant cette question, la 2e Internationale se révéla l’adversaire du front unique, ainsi que son auxiliaire bénévole, l’Internationale de Vienne. La Commission des neuf se sépara.

L’Internationale communiste convoqua alors une nouvelle session du Comité exécutif élargi. Celui-ci se réunit le 7 juin. Y participèrent 60 délégués représentant 27 pays. La conférence discuta la question de la tactique à suivre, après les enseignements de la première étape de la lutte en faveur du front unique, et la tactique des partis dont la politique ne correspondait pas à la politique générale de l’Internationale communiste, enfin la position de l’Internationale communiste vis-à-vis du procès des social-révolutionnaires, et la convocation du congrès mondial.

En ce qui concerne la tactique du front unique, la conférence constata que, malgré l’échec de la Commission des neuf, les postulats politiques et économiques de la tactique du front unique subsistaient comme auparavant et que, par conséquent, la tactique des diverses sections de l’Internationale communiste devait consister à établir l’unité de front contre l’offensive du capital.

Les partis français, italien et norvégien n’ayant pas exécuté la tactique du front unique ou ne l’ayant exécuté qu’avec hésitation ou en partie, la conférence s’occupa en détail de la situation de ces partis et exprima le vœu que cette tactique fût appliquée également dans ces pays. En ce qui concerne le parti français, étant donné que l’existence d’une droite opportuniste importante faisait obstacle à son activité et à son développement, le Comité exécutif déclara que le meilleur moyen de remédier à la situation était l’union du centre et de la gauche contre la droite. La conférence examina également la situation du parti communiste tchécoslovaque où apparaissaient les symptômes d’une crise prochaine. On en vit la raison dans une certaine passivité de la direction du parti, et l’on fixa les instructions utiles pour la faire disparaître.

En ce qui concerne le procès des S.R., on constata que, du moment que la 2e Internationale et l’Internationale de Vienne avaient entrepris une campagne contre l’Internationale communiste et la Russie des Soviets et qu’en outre il s’agissait là d’une affaire intéressant à la fois la Russie des Soviets, boulevard de la Révolution mondiale, et l’Internationale communiste, cette dernière devait participer activement au procès en y envoyant des accusateurs, des défenseurs, des témoins et des experts.


LE QUATRIÈME CONGRÈS — NOVEMBRE 1922

Le 4e Congrès mondial fut fixé au 7 novembre 1922, cinquième anniversaire de la Révolution prolétarienne avec l’ordre du jour suivant :

1° Rapport de l’Exécutif ;
2° Tactique de l’Internationale communiste ;

3° Programme de l’Internationale communiste et des sections allemande, française, italienne, tchécoslovaque, bulgare, norvégienne, américaine et japonaise ;

4° Question agraire ;
5° Question syndicale ;
6° L’éducation ;
7° Question des jeunes ;
8° La question d’Orient.

Le travail principal du 4e Congrès se portera sur le paragraphe 3. En vue de la préparation d’un programme de l’Internationale communiste, on nomma immédiatement une Commission qui fut également chargée de collaborer à la rédaction des programmes des différentes sections.

La conférence montra le développement et le renforcement du mouvement communiste dans tous les pays. L’un des meilleurs symptômes en est la nervosité croissante des partisans d’Amsterdam, qui voient avec crainte le progrès de l’influence des communistes dans les syndicats. Beaucoup de signes montrent qu’ils sont, à l’heure actuelle, déterminés à chasser les communistes des syndicats dans tous les pays, et que, dans ce but, ils ne reculeront pas devant la scission du mouvement syndical. C’est pourquoi la tâche principale de l’Internationale communiste, dans les syndicats, sera de démasquer cette manœuvre, et de s’opposer à ce que les partisans d’Amsterdam n’affaiblissent pas le prolétariat en détruisant les syndicats.



[1] K.A.P.D. : Parti communiste ouvrier d’Allemagne, qu’il ne faut pas confondre avec le K.P.D. ou V.K.P.D. (Parti communiste unifié d’Allemagne). Organisation pour laquelle Lénine inventera le terme de « gauchisme ».



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 24 mai 2011 19:53
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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