[I]
ENNÉADES I
Introduction
I. LA VIE DE PLOTIN
C’est après 298 que Porphyre, le disciple et l’éditeur de Plotin, écrivit la vie de son maître [1]. Porphyre était alors âgé d’au moins 68 ans, et Plotin était mort depuis 28 ans. Porphyre avait vécu auprès de lui pendant cinq ans, à partir de l’année 263, alors que Plotin était déjà âgé de 58 ans. C’est donc à des confidences, déjà recueillies depuis fort longtemps, qu’il doit les renseignements qu’il nous donne sur la période antérieure à l’arrivée de Plotin à Rome (245) [2] ; pour la période qui s’écoule de cette date jusqu’en 263, il les a complétés par le témoignage des plus anciens disciples de Plotin, et particulièrement d’Amélius [3].
La biographie de Porphyre, qui est à peu près notre unique source [4], nous fait donc connaître très imparfaitement le milieu d’où sortit Plotin, et ses années de formation intellectuelle. Il naquit à Lycopolis en 205 d’une famille [ii] sans doute suffisamment aisée, puisque nous le voyons, à l’âge de huit ans, fréquenter chez le grammatodidascale, où l’on apprenait, avec la lecture, l’écriture et le calcul, et où on lisait des extraits des poètes.
Sa vocation philosophique aurait été assez tardive ; elle se serait décidée à l’âge de vingt-huit ans, par une sorte de brusque révélation, la première fois qu’il entendit, à Alexandrie, le cours du platonicien Ammonius [5]. Ce récit de Porphyre n’a rien d’invraisemblable. Sans doute, Plotin n’attendit pas cet âge pour s’initier aux théories philosophiques ; les thèmes philosophiques étaient à la mode, et ils pénétraient toute l’éducation rhétorique d’alors, comme on le voit par les dissertations de Maxime de Tyr ou les discours d’Ælius Aristide. Mais les philosophes véritables, depuis Épictète et même depuis Philon d’Alexandrie, se sont toujours opposés à cette façon superficielle de comprendre la philosophie comme une simple matière d’enseignement. Elle doit changer l’âme tout entière et donner naissance à un genre de vie nouveau ; c’est l’affaire non pas de l’écolier, mais de l’homme déjà mûr, capable de prendre une décision qui donnera à sa vie une orientation nouvelle. L’entrée de Plotin dans l’école d’Ammonius n’est donc pas une simple adhésion à des doctrines platoniciennes, c’est plutôt, malgré toutes les différences qui sautent aux yeux, l’équivalent de la conversion de saint Augustin.
La philosophie ainsi comprise n’est point du tout un genre littéraire qui s’adresse au grand public ; Ammonius n’écrit pas, pas plus que n’ont écrit Musonius ou Épictète ; il se contente, comme eux, de former les âmes et d’exercer une influence spirituelle. Le philosophe n’est pas un méditatif solitaire qui expose ensuite à tous le résultat de [iii] ses pensées ; c’est le centre d’une association de quelques élus, dont l’éducation spirituelle se fait par l’influence directe de la parole. Il s’en faut d’ailleurs de peu, comme l’on sait, que nous n’ayons perdu également l’enseignement de Plotin, qui, jusqu’à cinquante ans, n’écrivit pas plus que son maître.
Une pareille manière de comprendre la philosophie exigeait, entre maîtres et disciples, une intimité qui allait parfois jusqu’à la communauté de vie. Nous n’avons pas la preuve que les disciples d’Ammonius menaient la vie commune, mais le cas était fréquent à Alexandrie [6], et il est fort probable que les exemples de syssities que Plotin avait sous les yeux, ne sont pas restés sans influence sur lui.
Nous ne savons rien de positif sur l’enseignement d’Ammonius [7]. Tout au moins pouvons-nous en saisir un trait extérieur et fort important ; c’est une initiation à une vie spirituelle supérieure, réservée à un nombre restreint de disciples. La preuve, c’est la promesse que se firent mutuellement les trois disciples d’Ammonius, Herennius, Origène et Plotin, de tenir secrète la doctrine de leur maître [8] ; cette promesse, qui d’ailleurs ne fut pas tenue, n’est pourtant pas l’équivalent du secret imposé à l’initié aux mystères. Rien ne nous dit qu’Ammonius [iv] lui-même imposa cette obligation à ses élèves. Peut-être seulement leur recommandait-il, à la manière d’Épictète [9], d’être très réservés, et de ne pas faire ostentation de leur philosophie. Tous les vrais philosophes de l’époque de l’empire ont voulu éviter à tout prix que la philosophie versât dans la sophistique d’apparat et perdît sa haute signification, à être communiquée aux indignes.
Il n’en reste pas moins que ce secret, que les disciples d’Ammonius s’imposèrent, prouve que sa doctrine n’était pas, à leurs yeux, la simple exégèse d’une doctrine classée, comme le platonisme, l’aristotélisme ou le stoïcisme ; on ne comprendrait pas une pareille obligation de la part de ceux qui, vers la même époque ou peu avant, suivaient les cours des obscurs diadoques de Platon, qui continuaient à enseigner le platonisme à Athènes, ou bien des disciples des commentateurs déjà nombreux d’Aristote [10].
Il est plus probable que, dans l’école d’Ammonius, la préoccupation de la vie spirituelle et de la purification de l’âme était chose bien autrement importante que la culture intellectuelle pour elle-même. On n’y envisageait les doctrines qu’à titre de ferment spirituel, et on y trouvait peut-être ce genre tout particulier d’éclectisme que nous rencontrons à coup sûr chez Plotin, et qui consiste non à juxtaposer, mais à transformer les doctrines empruntées aux écoles philosophiques les plus différentes pour les faire servir à l’avancement de l’âme. Les disciples qui entrent dans des écoles telles que celles d’Ammonius ou de Plotin ne sont pas des novices, mais des hommes déjà instruits, qui viennent parfois d’écoles étrangères au platonisme [v] et qui n’ont plus rien à apprendre des éléments, mais veulent se perfectionner [11].
Aussi l’on restait longtemps près de ces maîtres, qui étaient beaucoup plutôt des guides spirituels que des professeurs. Plotin séjourna onze ans à l’école d’Ammonius. A ce moment (242), il se produit une crise dans sa vie. Il quitte Alexandrie, et suit l’armée de l’empereur Gordien qui a chassé les Perses de Syrie et poursuit vers l’Est le roi Sapor. Ainsi, plusieurs siècles auparavant, des philosophes avaient accompagné Alexandre. Il a comme eux l’espoir, grâce à la marche victorieuse des armées romaines, de pénétrer dans ces pays orientaux, où il pourra prendre une connaissance directe de la pensée philosophique des Perses et peut-être de l’Inde. Espoir bientôt déçu : le jeune empereur est battu en Mésopotamie ; Plotin se réfugie à Antioche, et passe ensuite à Rome, où il va désormais résider.
Cet épisode est significatif. Un Alexandrin, d’esprit ouvert et curieux, avait des occasions d’entrer en contact avec les peuples les plus divers de l’Orient ; il habitait dans une ville qui était sur la route de Rome à l’Inde. Aussi pouvait-il difficilement croire que les Hellènes détinssent le dernier mot de la sagesse. Depuis longtemps, il ne manquait pas d’esprits qui doutaient de l’autonomie de la philosophie grecque [12]. À l’époque de romantisme, où vécut Plotin, le barbare était à la mode, comme l’homme de la nature au XVIIIe siècle, et le moyen âge au XIXe. En particulier, il n’est pas de traité de morale populaire [vi] qui ne donne en exemple les gymnosophistes indiens ; les notices sur les Brahmanes se font nombreuses depuis Strabon ; les aventures légendaires d’Apollonius de Tyane se déroulent en partie dans l’Inde. Plotin a donc pu pressentir qu’il y avait dans ce pays une source originale de vie spirituelle et qu’elle pouvait et devait s’intégrer à la tradition hellénique telle qu’il la comprenait [13].
Comment cet Alexandrin inconnu et modeste, qui se refuse au tapage des conférences à effet, qui hésite d’abord à communiquer oralement ses doctrines, qui hésite plus longtemps à écrire, devint-il peu à peu le chef spirituel qui comptait parmi ses adeptes non seulement des philosophes de profession, comme Porphyre et Amélius, mais des mondains, des sénateurs et jusqu’à l’empereur Galien lui-même et sa femme Salonina ? Quel attrait singulier exerçait-il, comme sans le vouloir, sur tous ceux qui l’approchaient ?
Ce succès n’est dû à aucun genre de réclame : sans doute, son cours était ouvert à tous [14] ; mais ceux qui y entraient dans l’espoir d’entendre des discours d’apparat étaient fort déçus [15]. Il ne prétendait non plus apporter de la terre mystérieuse de l’Égypte aucune révélation nouvelle ; il y a même chez lui un trait profondément rationaliste qui l’éloigne de toutes les superstitions qui fleurissent autour de lui. L’imagination surchauffée des gnostiques, qui peuplent d’Éons le monde supra-sensible, les fantaisies débridées des astrologues qui mettent dans [vii] les astres des sentiments humains [16], le trouvent profondément antipathique. Le crédule Porphyre ne comprend pas l’ironie, pourtant évidente, avec laquelle il traite les jeteurs de sort, les évocateurs de démons, et les dévotions un peu trop nombreuses, à son gré, auxquelles le conviait son disciple Amélius [17]. Ni rhéteur, ni thaumaturge, il ne vise pas à conquérir la foule [18]. Son action se limite à un cercle restreint de gens distingués qui ont pour lui un attachement enthousiaste.
S’il a réussi, c’est qu’il possédait éminemment les qualités d’esprit et de cœur que toutes les classes de la société romaine demandaient à un directeur de conscience. Il est, avec les traits particuliers de son génie, le véritable continuateur d’un Musonius, d’un Sénèque, d’un Épictète, d’un Démonax. Ce n’est ni un ermite ni un inspiré, c’est un authentique sage de la Grèce. Le recueillement et la vie intérieure ne brisent nullement en lui le goût des vertus pratiques ; ils lui donnent plutôt un sûr point d’appui, de la même manière que, dans sa vision de l’univers, le monde sensible, loin d’être exclu par le principe suprême, en est au contraire une conséquence nécessaire. L’homme arrivé à la vie divine « connaîtra les vertus inférieures, et possédera toutes les qualités qui en dérivent ; à l’occasion il agira conformément à ces vertus [19] ».
Assurément, il n’y a pas, dans son milieu, la santé morale et l’équilibre qu’on trouve dans l’école d’Épictète. [viii] On y voit des symptômes inquiétants de fatigue et d’usure nerveuses. Le thème constant de la prédication plotinienne, « la fuite du monde », a une parenté singulière avec cette « fugue de la vie », ce besoin continuel de changer de place, « d’aller n’importe où, pourvu que ce soit hors du monde », qui sont, d’après le Dr Pierre Janet [20] les caractères du syndrome mélancolique. La manière assez brusque dont Plotin a quitté Alexandrie pour n’y plus revenir, le détachement complet de sa famille et de son pays [21] trouvent peut-être leur cause dans cet état nerveux. Il était naturellement entretenu par le déplorable régime qu’il suivait. Non seulement il s’abstenait de manger de la viande, comme un pythagoricien, mais il ne prenait pas les précautions hygiéniques les plus élémentaires [22]. Ajoutez le surmenage intellectuel, qui était fréquent dans l’école [23] ; cette méditation toujours tendue [24], qui se manifeste dans un style où la pensée court sans relâche et plus vite en quelque sorte que la parole, l’absence de sommeil qui en résulte altèrent à la longue la santé. Lorsque Porphyre connut Plotin, il avait l’estomac délabré, la vue très faible. Il fut atteint d’un mal de gorge chronique et d’une maladie de la peau. Mais par-dessus tout, il a une certaine complaisance, elle-même morbide, pour les états maladifs. « Il faut que l’homme diminue et affaiblisse son corps, afin de montrer que l’homme véritable est bien différent des choses extérieures... Il ne voudra pas ignorer complètement la maladie ; il voudra même faire l’expérience de la souffrance [25]. » [ix] Ce singulier testament philosophique (ce passage est tiré d’un des derniers écrits de Plotin) dépasse l’indifférence stoïcienne, puisqu’il va jusqu’à désirer la douleur.
Malgré ces traits fort sombres, Plotin garde bien la physionomie d’un directeur de conscience. Il en a la bonté intelligente qui ne se laisse pas duper, l’ouverture de cœur pénétrée de raison. Il ne faut pas oublier que la direction personnelle qui s’étend jusqu’aux détails matériels de la vie, est, à l’époque romaine, la grande affaire du philosophe, dont l’activité professionnelle est subordonnée à cette tâche. On attend de lui tous les services. Il y faut une grande connaissance des hommes [26], accompagnée de beaucoup de tact. Qu’il vérifiât les comptes de tutelle des enfants orphelins que les parents lui avaient confiés à leur mort, qu’il s’occupât de leur éducation [27], ou qu’il arrêtât, par ses conseils, Porphyre qu’il vit un jour sur la pente qui conduit au suicide [28], il était toujours tout à tous. Ce méditatif à l’esprit si tendu, avait un grand fond de bon sens humain. C’est sans doute à des gens qui s’étonnaient de voir un philosophe comme lui prendre tant de soin des intérêts matériels des orphelins à lui confiés, qu’il répondit qu’après tout, ces enfants, eux, n’étaient pas des philosophes. Et comme il voyait que la dépression nerveuse dont souffrait Porphyre avait pour cause la fatigue et le surmenage, il ne lui fit aucune prédication, mais lui conseilla de changer d’air. Ainsi on le voit toujours s’adapter à la vie réelle, sans être dupe d’aucune formule [29].
[x]
Son enseignement répond aussi aux nécessités de la direction des âmes. L’exposé suivi d’une doctrine que l’on monte pièce à pièce n’est pas son affaire ; on ne trouve pas de tel exposé dans les Ennéades, et les historiens ont dû en tirer un par des rapprochements de textes. Il lui faut pour parler (et par conséquent pour écrire, puisque ses écrits, nous le verrons, reproduisent sa parole) une instigation extérieure, quelqu’un qui ait besoin d’être convaincu. « Si Porphyre ne me questionnait pas, répond-il à un auditeur qui lui demandait de faire une conférence suivie, je n’aurais pas d’objections à résoudre, et je n’aurais rien à dire qui pût être écrit. [30] » Il ne parle pas pour un auditoire inconnu, mais pour un cercle d’amis qui lui ont demandé d’éclairer leur pensée. Aussi écrit-il la suite de ses traités sans plan préconçu, et « selon les sujets qui se présentent ». De là encore l’importance qu’il attache, après avoir prouvé ses thèses par des argumentations en forme, à provoquer la conviction dans l’âme de ses auditeurs [31]. Il se rend compte que, en matière de vie spirituelle, le raisonnement n’est pas seul intéressé ; il lui faut encore faire partager sa passion [32]. Il ne trouvait jamais trop d’enthousiasme chez ses disciples [33].
La direction de conscience, dans le paganisme, n’a jamais pu prendre le caractère populaire et universel qu’elle devait prendre dans le christianisme. Elle est liée à des doctrines philosophiques, qui étaient trop subtiles et délicates pour ne pas être le privilège des classes instruites et aisées ; elle implique une sorte d’aristocratisme intellectuel dont l’esprit de Plotin est lui-même profondément [xi] imbu [34]. Tous les tenants de l’hellénisme, à la fin de l’antiquité, semblent avoir appartenu à une bourgeoisie riche et voyageuse, et fière d’une culture qui la distinguait [35]. Le milieu où enseigne Plotin est un milieu de gens affinés par la culture et par la vie mondaine : des médecins, comme Eustochius, Paulin et Zéthus, un poète comme Zoticus, un ancien rhéteur devenu banquier, Sérapion, des sénateurs comme Marcellus Orontius, Sabinillus, Rogatianus, qui abandonna ses charges pour mener la vie d’un ascète [36]. Sa douceur et sa politesse lui gagnèrent la sympathie de femmes distinguées telle qu’Amphiclée, ou cette Gémina dans la maison de qui il vivait [37]. Derrière ces amis fervents se presse, il est vrai, une foule d’auditeurs [38] dont beaucoup sont sans doute de simples curieux, attirés par la renommée grandissante de Plotin [39]. Nous ignorons quelle fut, parmi eux, la place de ces gnostiques à la réfutation desquels Plotin attache une si grande importance [40]. Du moins le traité qu’il écrit dans l’intention de rompre avec éclat avec ces gens « qui se disaient ses amis [41] » permet-il de croire que ces gnostiques, sous le couvert de ressemblances doctrinales, se livraient à la propagande dans cette école ouverte à tous.
L’intimité, ainsi défendue par Plotin contre les attaques extérieures, était complète dans le cercle d’amis. Non pas qu’il fût toujours bien compris : sa pensée intime échappait [xii] quelquefois à Porphyre [42]. S’il en était ainsi des professionnels, comment des amateurs auraient-ils pu la saisir tout à fait ? D’autant qu’il ne tient pas grand compte des difficultés élémentaires, et déteste traiter les sujets rebattus [43] : son école est aussi peu que possible, une maison d’enseignement. Lorsqu’il y voyait un nouveau venu digne d’intérêt, il confiait à des disciples plus anciens et déjà exercés le soin de l’initier aux détails de sa doctrine [44]. Son action devait donc être autant ou plus encore personnelle que doctrinale ; le lien des esprits n’en était que plus solide.
Pourtant Plotin rêvait mieux et plus que ces réunions au milieu du tumulte de Rome. Il songea [45] à fonder en Campanie une cité de philosophes, qui serait régie par les lois de Platon, et où il devait se retirer avec ses amis. Malgré la forme utopique qu’a prise ce projet, il faut y voir pourtant, semble-t-il, plus qu’une survivance archaïque. La philosophie, étant une manière de vivre autant qu’une recherche intellectuelle, ne pouvait atteindre son but dans des écoles qui, après tout, ne sont pas extérieurement bien différentes de celles des rhéteurs et des sophistes. Le désir d’une vie conventuelle et régulière, qui permet de réaliser une vie spirituelle plus complète, n’a pas seulement des origines chrétiennes ; il n’est pas du tout impossible que Plotin ait connu la description des couvents d’Esséniens et de Thérapeutes, que donne Philon d’Alexandrie. C’est sans doute un couvent de ce genre qu’eût été Platonopolis. Les quelques sages qui y auraient vécu dans la retraite auraient eu à leur [xiii] service, comme dans la République de Platon et selon les vues de Plotin lui-même [46], une troupe d’artisans et de cultivateurs [47]. La cité platonicienne devenue couvent, c’est sans doute la meilleure et la plus plaisante illustration de la différence entre le platonisme et le néoplatonisme. Le projet échoua d’ailleurs. Il y fallait l’assentiment de l’empereur ; et bien que Plotin, par ses relations, eût accès auprès de lui, bien que Galien et sa femme Salonine eussent pour lui, au dire de Porphyre, beaucoup d’estime et de respect, les administrateurs qui les entouraient n’eurent sans doute pas beaucoup de peine à leur montrer que Plotin n’avait pas les qualités d’un fondateur de villes.
Quand Plotin désirait donner à son école un séjour plus stable et définitif, il voyait peut-être la difficulté qu’il y avait à maintenir longtemps autour de lui la société qu’il avait formée, dans les conditions de vie de la grande ville. Il sentait parfois des résistances chez ses meilleurs disciples qui continuaient à s’occuper qui des affaires publiques qui d’affaires d’argent, et refusaient de se donner tout à lui. Ce sentiment était justifié. L’œuvre de Plotin, au point qu’elle avait atteint, ne pouvait être durable ; elle reposait tout entière sur sa personne, ou mieux sur sa santé et sur son activité. C’est par une influence personnelle et constante qu’il réussissait à retenir des gens dont les caractères s’accordaient peut-être mal [48], et qui avaient bien d’autres intérêts que des intérêts spirituels. Le maître vient-il à s’affaiblir ou à être malade, l’unité du groupe est atteinte. C’est là, semble-t-il, la [xiv] cause véritable de la crise de l’école, qui assombrit les dernières années de la vie de Plotin, après le départ de Porphyre (268). Ce vieillard presque aveugle, à la voix enrouée, à l’haleine fétide, aux membres couverts d’ulcères [49], n’avait plus aucun des attraits qui retenaient près de lui ses auditeurs. Ses disciples l’avaient abandonné, avant qu’il eût lui-même quitté Rome. Le fidèle Amélius lui-même partit pour Apamée de Syrie dans des conditions que nous ne connaissons pas. Les traités que Plotin écrivit à ce moment [50] respirent la sérénité du solitaire, capable de « fonder sur lui-même l’assurance qu’il ne sera jamais atteint par le mal ». L’amitié n’ajoute rien au bonheur du sage, pas plus que le rayonnement du Bien n’ajoute à son essence. « Le sentiment d’amitié et de reconnaissance, c’est d’abord envers lui-même que le sage les éprouve ; et, s’il témoigne de l’amitié aux autres, c’est en raison de sa clairvoyance intellectuelle. » Il est difficile de ne pas sentir en ces paroles l’écho de la solitude où Plotin vécut ses derniers jours. Retiré dans une villa de Campanie qui appartenait à un de ses amis, il fit sans doute appeler, en sentant venir la fin, son ami le médecin Eustochius, qui résidait à Pouzzoles, et qui n’arriva que pour assister à ses derniers moments (270).
II. LES ENNÉADES
Nous n’avons nullement l’intention d’étudier ici, même sommairement, la doctrine des Ennéades. Nous voulons seulement en étudier la forme littéraire, ce qui [xv] est d’une extrême importance pour en comprendre le contenu. On s’est longtemps attardé, depuis le XVIe siècle, au système seul de Plotin, et ce n’est que récemment, avec Carl Schmidt [51], Heinemann [52] et Max Wundt [53] que l’on a prêté à la structure littéraire des Ennéades l’attention qui convenait.
La composition du recueil. Sous sa forme actuelle, l’œuvre se compose de cinquante-quatre traités répartis en six groupes de neuf. Cette répartition se trouve pour la première fois dans l’édition d’ensemble que donna Porphyre après 298 et qui était seulement en préparation au moment où il écrivit la Vie de Plotin, comme il ressort des derniers mots de cette biographie. En éditant les œuvres de son maître, Porphyre tenait la promesse qu’il avait faite à Plotin. Jusque-là, les traités de Plotin avaient paru dans d’assez médiocres conditions. Les vingt et un premiers, écrits de 255 à 263 (chap. 4, 7-15) n’étaient reproduits qu’en nombre très restreint, pour être communiqués à des lecteurs de choix (chap. 6, 12) ; les copies en étaient assez rares, pour que Porphyre lui-même, dans un travail qu’il fit sur l’ensemble de l’œuvre de Plotin, n’ait pas eu en mains le premier de ces traités (ch. 26, 24). Plotin n’avait pas donné de titres à ces traités ; ce furent les lecteurs qui les désignèrent sous des titres différents dont certains prévalurent (ch. 4, 17) [54]. Les conditions de publicité durent changer un peu après l’arrivée de Porphyre dans l’école. [xvi] D’abord, chaque traité n’était livré aux copistes qu’après avoir subi une révision matérielle, que Plotin confiait à Porphyre. Plotin, qui écrivait vite [55] et ne se relisait jamais à cause de la faiblesse de sa vue, avait d’ailleurs un parfait dédain pour les minutieux détails de la forme, et aussi quelques mauvaises habitudes de langage ; Porphyre séparait les mots, mettait la ponctuation et corrigeait l’orthographe. Même après le départ de Porphyre pour la Sicile, Plotin continuait à lui envoyer ses traités, probablement pour les mêmes raisons. Ainsi les premiers lecteurs de Plotin n’avaient sous les yeux que des recensions revues par Porphyre. D’autre part, les copies paraissent avoir été, dès cette époque, beaucoup plus nombreuses et répandues, à mesure que la renommée de Plotin s’affirmait, puisque, par exemple, le chef officiel du platonisme, Euboulos, le diadoque de Platon à Athènes ne lui aurait sans doute pas écrit et envoyé ses propres ouvrages, s’il n’avait reçu des traités de Plotin.
Après la mort de Plotin, ses disciples tiennent à honneur de continuer cette publicité ; Amélius fit faire des copies sur les originaux (ch. 20, 6-7) et les communiqua notamment à Longin [56]. Mais ce n’était pas une édition complète, puisque Longin, écrivant à Porphyre, lui demande les traités qu’Amélius ne lui a pas procurés (ch. 19, 30). Pourtant, avant l’édition porphyrienne, il avait paru une autre édition ; Porphyre n’en dit mot, mais elle nous est connue par nos manuscrits ; elle provenait d’Eustochios, le médecin de Plotin. Le scholie que [xvii] portent presque tous nos manuscrits à Ennéade IV, 3, 29 contient sur cette édition un renseignement précieux : « Dans l’édition d’Eustochios, le deuxième livre du [en grec] va jusqu’ici, et là commence le troisième [57]. » Il en résulte que la coupure du [en grec] en trois traités (Enn., IV, 3, 4 et 5) ne vient pas de Plotin lui-même, mais de ses éditeurs ; et lorsque, en effet, on considère que l’introduction du premier de ces trois traités porte évidemment sur l’ensemble, que la première phrase du second (chez Porphyre) n’a aucun sens si on ne la rattache à la dernière phrase du premier, on se convainc que cette coupure est tout à fait arbitraire.
C’est une raison d’accueillir avec scepticisme cette remarque de Porphyre : « J’eus la joie de trouver (dans le nombre des traités) le produit du nombre parfait six par le nombre neuf. » Cet enthousiasme pythagoricien est rendu possible par un soigneux découpage des traités. Il est d’autres traités dont la séparation est plus ou moins artificielle, les trois premiers de la sixième Ennéade, qui étudient les catégories, et les troisième et quatrième de la même Ennéade. Nos manuscrits nous donnent d’ailleurs une autre preuve de ces remaniements. Le très court traité qui est placé par nos éditions au début de la quatrième Ennéade y fait corps en réalité avec le dernier traité de la troisième. Ce dernier traité, intitulé Considérations diverses est composé de neuf développements assez courts et étrangers l’un à l’autre [58] ; il n’y a, d’après les manuscrits, aucune raison pour en isoler le petit traité [xviii] sur l’essence de l’âme qui est dans nos éditions le premier de la quatrième Ennéade, et qui est en réalité la dixième des Considérations diverses. Pourtant, il en a été isolé ; la preuve en est que, dans presque tous nos manuscrits, il est répété comme un traité distinct, après celui que les manuscrits mettent en tête de la quatrième Ennéade, et qui occupe dans nos éditions la seconde place. Il est très vraisemblable qu’il n’a été isolé que par Porphyre, dans son désir d’arriver au nombre fatidique qu’il cherchait.
Chronologie. Si Porphyre a classé les traités dans l’ordre où nous les voyons, c’est dans l’intention de faire ressortir la structure systématique de la doctrine de Plotin. On sent, dans ce procédé, la préoccupation d’un enseignement régulier qui devait aboutir, dans le néoplatonisme, aux grandes synthèses théologiques de Proclus. Il est évident qu’il n’a nullement atteint son but et ne pouvait l’atteindre, la pensée de Plotin allant, presque dans chacun de ces traités, jusqu’au fond même de la doctrine. Le premier de tous, en particulier, qui a été écrit l’un des derniers, est un des plus obscurs qui puissent se trouver pour qui débute dans la lecture des Ennéades, puisqu’il présente en général des raccourcis des doctrines exposées ailleurs.
Il nous serait beaucoup plus utile de connaître l’ordre chronologique des écrits. Porphyre nous l’a heureusement conservé dans sa Vie de Plotin (chap. 4, 5, 6). Il divise les traités en trois groupes, ceux qui ont été écrits avant, pendant et après son séjour auprès de Plotin (255-263, 263-268, 268-270). Personne n’a jamais contesté l’exactitude des renseignements de Porphyre, en ce qui concerne le groupement en trois catégories. Mais, récemment, Heinemann s’est demandé si, à l’intérieur de chacun de ces groupes, l’ordre indiqué par Porphyre était bien l’ordre [xix] chronologique réel. Notamment, n’y a-t-il pas quelque chance pour que les données de Porphyre au sujet du premier groupe des 21 traités, écrits avant qu’il ait connu Plotin, soient moins sûres que les indications qu’il donne sur le deuxième et le troisième groupes ?
Une pareille question n’est pas sans importance, puisque, comme le faisait déjà remarquer Collwitzer [59], « les nombreuses citations de lui-même qui se rapportent à des passages antérieurs et à des matières à traiter prouvent que Plotin n’était pas indifférent à l’ordre dans lequel il fallait lire ses œuvres ». Cette observation doit beaucoup servir à l’interprétation des Ennéades : en plusieurs cas, nous pouvons saisir, par les indications mêmes de Plotin, comment un traité est issu d’un autre et donne naissance à l’idée d’un troisième [60]. L’étude critique de ces renvois devrait nous permettre aussi de résoudre la question de la chronologie. D’après Gollwitzer, ces renvois sont toujours d’accord avec les indications de Porphyre. Tout au contraire, Heinemann cite cinq exemples où elles se trouveraient en faute, ce qui suffirait en effet à rendre suspect l’ensemble de ces indications. Examinons-les : III, 6, 4 [25] [61] renverrait à IV, 3 [26] et à IV, 4 [27]. Il nous paraît beaucoup plus simple d’admettre que Plotin renvoie au chapitre précédent où il a traité en détail des circonstances et de l’origine de chaque passion. IV, 3, 25 [26] sur la définition de la mémoire renverrait à IV, 4 [27] et à IV, 6 [40] ; mais il est impossible que IV 3 renvoie à IV 4, puisque ces deux traités n’en forment en réalité qu’un seul, arbitrairement divisé, comme on l’a vu plus haut, par les éditeurs de Plotin ; d’ailleurs on [xx] cherche vainement dans IV 4 et dans IV 6, cette « définition banale » de la mémoire à laquelle il est fait allusion ici. La recherche annoncée VI, 3, 1 [43] sur la place des passions dans l’âme se rapporterait à IV 3-5, IV 6 et III 6 ; cette question y est en effet traitée ; mais elle est aussi développée dans I 1 [53], un traité qui a dû préoccuper Plotin d’avance, puisqu’il l’annonce également dans II, 3 [52]. III, 7, 13 [44] annoncerait la critique du gnosticisme de II, 9 [32] ; et il est bien vrai qu’elle y fait allusion ; mais, d’après les termes, ce peut être comme à une étude déjà écrite (ἀλλὰ πρὸς τοὺς τοιούτους ἄλλος τρόπος λόγων). Enfin la promesse faite VI, 1, 4 [41] et VI, 2, 13 [42] de s’occuper des nombres idéaux serait tenue VI, 6 [33] ; il y a dans ce texte une sérieuse difficulté, mais qui ne donnerait raison à Heinemann que s’il était complètement impossible de supposer que Plotin a pensé à un projet de traité qu’il n’a pas mis à exécution ; il faut remarquer, en effet, que dans l’ordre chronologique de Porphyre, le traité VI, 2 précède de très peu le moment critique où a sombré l’école de Plotin et après lequel les œuvres du vieux maître prennent un caractère presque exclusivement moral.
Il n’y a donc pas de raison positive de se défier de l’ordre chronologique de Porphyre qui est si souvent confirmé [62], et qui reste un guide précieux pour l’interprétation de la pensée de Plotin.
Authenticité. C’est encore Heinemann qui, avec Thedinga, a récemment contesté l’authenticité de quelques parties de l’édition porphyrienne. La discussion d’ensemble de cette question (elle sera discutée [xxi] en détail dans les notices précédant chaque traité) aura du moins l’avantage de nous faire pénétrer dans l’histoire de l’école de Plotin après sa mort. C’est cette histoire qu’il nous faut aborder pour faire comprendre comment se pose la question.
Entre 270 et 298, les disciples de Plotin, particulièrement Porphyre et Amélius, firent de nombreux travaux d’exégèse et d’apologétique pour faire comprendre la pensée de leur maître et défendre sa mémoire. Il fallait répondre aux demandes d’explication des amis ; il fallait aussi s’opposer aux malveillantes insinuations des ennemis qui semblent avoir été nombreux. Les platoniciens de la Grèce notamment (sans doute ceux d’Athènes qui se flattaient de représenter la tradition authentique) n’acceptaient pas sans résistance la nouvelle doctrine ; et, pour mieux s’en défendre, ils contestaient cette nouveauté et accusaient Plotin de bavardage et de plagiat. C’est contre eux qu’Amélius écrivit un traité intitulé Sur la différence du système de Plotin et de celui de Numénius. Ce traité dont Porphyre nous a conservé la préface, qui lui était adressée, contenait des éclaircissements tirés « du souvenir de ses anciens entretiens [63] ». Il avait donc peut-être le caractère de Mémorables.
Dans la même période eut lieu une polémique entre Longin et Amélius à propos de Plotin. Le point de départ fut un traité critique de Longin sur la théorie des Idées chez Plotin. Longin, qui admirait beaucoup Plotin, lui gardait peut-être quelque rancune de lui avoir pris un disciple comme Porphyre [64] ; celui-ci, en entrant dans l’école de Plotin au sortir de celle de Longin, avait été précisément frappé du caractère paradoxal de la théorie [xxii] des idées de son nouveau maître, et n’avait été convaincu qu’après de longues explications d’Amélius [65]. L’écrit de Longin portait donc sur un point particulièrement important à ses yeux de l’interprétation de la doctrine platonicienne. Amélius y répondit par une longue lettre sur le caractère propre de la philosophie de Plotin [66], à laquelle répliqua Longin.
À côté de cette polémique se poursuivait le travail d’exégèse. Amélius, encore, écrivit un ouvrage considérable (cent livres) intitulé [en grec] [67]. C’était vraisemblablement la publication des notes prises aux cours de Plotin ; on y trouvait la sténographie des discussions qui avaient lieu entre le maître et les disciples ou peut-être même entre les disciples après le départ du maître. L’habitude de prendre des notes était fort répandue dans les écoles.
Quant aux travaux de Porphyre, il nous en reste une Introduction aux intelligibles [en grec] ; elle est une sorte de catéchisme, composé en grande partie d’extraits des Ennéades, dont le style est seulement rendu plus clair et plus coulant ; suivant la remarque de Bidez [68], elle est en tout comparable à cette pseudo-Théologie d’Aristote, composée aussi d’extraits des Ennéades, qui devait jouir d’un si grand renom chez les Arabes. Ce sont l’une et l’autre de petits ouvrages où l’on tente de faire servir la philosophie à un but d’édification.
Mais en outre, Porphyre a écrit d’autres essais qui visent à la préparation de l’édition définitive. Il les signale au chapitre 25 ; ils sont de trois ordres : ce sont [xxiii] d’abord des sommaires (en grec), c’est-à-dire de simples titres de chapitres (ce qui prouve que la division des traités en chapitres date de cette époque) ou du moins une indication très brève de leur contenu, et des résumés de l’argumentation (en grec) destinés à faire ressortir l’enchaînement des arguments [69]. Ces travaux furent faits sans doute, ayant qu’il ait eu l’intention de classer les traités en ennéades, puisqu’il nous fait savoir qu’il y suivit l’ordre chronologique. Sur la demande de ses amis, il avait en outre rédigé, sur des passages isolés de certains traités, des commentaires explicatifs (en grec) [70].
Lorsque l’édition des Ennéades parut, comme un manifeste suprême de l’école, il y avait donc déjà toute une littérature, consacrée à l’œuvre de Plotin, et en particulier les écrits préliminaires, que nous avons signalés en dernier lieu. Or, Porphyre déclare formellement qu’il a inséré ses commentaires dans quelques-uns des traités qu’il publie. N’est-il pas vraisemblable qu’il y a inséré aussi les titres sommaires et les résumés d’arguments, qui n’avaient été faits qu’à cette fin ? S’il en est ainsi, il n’est pas sûr du tout que les copistes aient voulu ou su séparer les additions de Porphyre du texte de Plotin, et il est tout au moins possible que ces additions soient entrées en partie dans la substance de notre texte. Il en est en effet dont on trouve des traces indéniables. Pour donner l’exemple le plus caractéristique, le chapitre final de Enn. III, 1, contient un résumé de l’argumentation qui précède, un véritable ? [en grec] au sens porphyrien, [xxiv] dont la nature est prouvée par les mots du début : [en grec] ὁ..., qu’il faut rendre ainsi : « Finalement, l’argumentation (de Plotin) énonce... [71] »
Quant aux commentaires (en grec) que Porphyre inséra dans son édition, nous en trouvons un exemple dans le chapitre 7 de I, 5, qui nous paraît inexplicable sans cette hypothèse. Ce n’est certainement pas Plotin qui, pour prouver la thèse développée dans le traité que le bonheur est indépendant du temps, a jugé bon d’introduire cette digression sur la théorie du temps. Outre qu’elle interrompt la suite des idées, la forme même démontre que le développement qui va de 7, 12 à 17 est l’œuvre d’un commentateur. Le sujet du verbe β[en grec], à qui est rapportée la théorie du temps en question, ne peut être en effet que l’auteur du traité, Plotin lui-même, dont il est parlé à la troisième personne.
Ces considérations nous conduisent donc à rejeter comme suspects quelques détails de l’édition porphyrienne, d’ailleurs bien insignifiants dans l’ensemble. Faut-il aller plus loin et croire, avec Heinemann, que Porphyre a introduit dans son édition de longs fragments, ou même des traités entiers qui ne sont pas de Plotin, mais qui dérivent d’ouvrages tels que les [en grec] d’Amélius ? Assurément, Heinemann a raison de ne pas considérer la chose comme invraisemblable ; il est vrai, comme il le dit, que, cette publication étant le programme collectif de l’école et l’idée de la personnalité littéraire n’étant pas très nette, Porphyre a pu sans mauvaise [xxv] foi introduire dans la collection des fragments de son cru. Reste à prouver qu’il a bien agi ainsi. Or, l’argumentation de Heinemann ne paraît pas probante. Elle concerne et la forme et le fond. Au point de vue de la forme, il considère comme suspects les traités ou fragments de traités qui, composés d’une suite de demandes et de réponses, présentent l’aspect d’une discussion d’école sténographiée. À vrai dire, cet argument, à lui seul, serait complètement insuffisant ; un auteur, dont les cours ressemblaient à des causeries, a bien pu écrire des traités qui ressemblent à des causeries ; et de fait nous ne voyons aucune différence de forme entre des traités condamnés tel que I, 8, § 8 à la fin, et des traités impossibles à rejeter, tels que III, 8 et tant d’autres qui contiennent de véritables dialogues. Aussi le seul argument valable ne peut porter que sur le contenu doctrinal des traités à rejeter. Heinemann y trouve en effet des doctrines incompatibles avec celles de Plotin, et qu’il attribue en propre à Amélius ou au médecin Eustochius. La discussion de ces arguments doit pénétrer dans le détail, et nous la rejetons dans les notices que nous avons consacrées à chaque traité ; nous essayerons d’y montrer que cette incompatibilité n’existe nullement.
Les raisons que Thedinga a de rejeter deux traités de Plotin (I, 8, chap. 6, 8, 10 à la fin et III, 6, 6-19) reposent aussi sur une vraisemblance. Nous savons par Porphyre (ch. 14) que Plotin, dans son cours, se faisait lire un passage d’un commentateur de Platon ou d’Aristote, puis discutait oralement son interprétation. Si ses écrits sont inspirés de ses cours, il est possible que Porphyre dans son édition, ait reproduit, avant le commentaire de Plotin, le texte qui en était l’occasion et que ces textes aient ensuite passé pour des parties des traités eux-mêmes. Ainsi la partie suspecte de I, 8 serait un texte de Numénius. [xxvi] Mais on se demande pourquoi Porphyre ne se serait servi de ce procédé que dans deux traités, et pourquoi, dans les deux cas, c’est un texte de Numénius qui est cité plutôt que d’un autre commentateur de Platon ou d’Aristote. Car l’hypothèse que Porphyre aurait pu vouloir faire passer un traité de Numénius pour un traité de Plotin, alors qu’il défend si énergiquement son maître contre l’accusation de plagiat, est évidemment inadmissible. La seule preuve d’inauthenticité serait donc encore ici le contenu doctrinal des traités, à la fois leur parenté avec la doctrine de Numénius et leur incompatibilité avec celle de Plotin ; cette preuve ne peut être discutée que dans le détail des notices. Disons seulement que des négations d’authenticité, qui n’ont pour elle qu’une divergence fort mince de contenu doctrinal, ne peuvent être accueillies qu’avec une extrême réserve.
La forme littéraire. Dans quel genre littéraire devons-nous classer les Ennéades ? Un trait général de la littérature de l’époque impériale doit ici nous servir de guide. Presque tous les écrits de cette époque répondent à une préoccupation dominante, celle de la lecture à haute voix devant un auditoire. Tout écrit est ou bien un écrit préparé d’avance pour être lu publiquement, ou bien une rédaction, sténographiée ou non, d’une lecture. Des genres comme l’histoire elle-même n’échappent pas à cette loi [72], et la philosophie encore moins. L’engouement pour la lecture publique est tel que l’on va jusqu’à réciter d’anciennes œuvres qui n’étaient nullement faites pour cet usage [73]. Sans ce trait, on n’expliquerait guère le souci constant que l’on voit, chez tous les [xxvii] philosophes de l’antiquité, de se distinguer des sophistes ou conférenciers. C’est que, d’après l’apparence extérieure, on pouvait aisément s’y tromper. Pourtant les cours des philosophes ne sont pas et ne veulent pas être des discours d’apparat. De là, déjà, la mise en garde d’un Philon d’Alexandrie contre la confusion possible de la sophistique et de la philosophie [74]. De là, la mauvaise humeur souvent témoignée par Épictète, après avoir écouté les leçons souvent pleines de talent faites par ses élèves, et sa crainte de ne préparer pour l’avenir que des rhéteurs et non pas des philosophes [75]. De là, enfin, l’insistance avec laquelle Porphyre veut distinguer son maître des sophistes [76].
Beaucoup d’écrits philosophiques ne sont que des rédactions de cours ; c’est aux notes de leurs disciples que nous devons la conservation des entretiens de Musonius et d’Épictète ; et, en lisant les productions les plus tardives de l’école néoplatonicienne, par exemple les scholies d’Olympiodore sur le Gorgias [77], il est aisé d’y apercevoir les gaucheries d’un disciple qui prend mal les notes.
Au reste, les éloges que Porphyre décerne à Plotin comme conférencier et comme écrivain sont proprement des éloges qui conviennent à un sophiste. Ce qu’il goûte le plus en lui, c’est le talent tout sophistique de l’improvisation. « Il écrivait toutes les pensées qu’il avait élaborées sans s’interrompre, et comme s’il avait copié dans un livre » (ch. 8). On trouve l’éloge de cette extrême facilité [xxviii] dans la bouche des rhéteurs de l’école impériale. « Ce qui paraît étonnant en lui, dit Sénèque le père en parlant de son ami le rhéteur Porcius Labeo, c’est qu’il écrivait non pas lentement et avec hésitation, mais presque avec la même vitesse qu’il parlait [78]. » La forme suprême de l’art paraît avoir été, pour Plotin comme pour les sophistes, une sorte d’éloquence inspirée qui atteignît son but immédiatement et sans retouches [79].
De pareils écrits ne peuvent être, bien entendu, que la continuation de l’activité oratoire. Plotin ne fut pas d’abord un écrivain, mais un professeur ; il enseigna dix ans (245-255) avant de rien publier. Ses publications écrites étaient sous la dépendance étroite de son enseignement ; il avait longuement traité dans ses cours la question du gnosticisme et de l’astrologie avant d’écrire sur ces sujets [80]. Peut-être beaucoup de ses ouvrages ont-ils été, comme sûrement deux d’entre eux, composés sur l’instance de ses disciples qui désiraient voir fixés par écrit les résultats de son enseignement.
Il suffit d’ailleurs de comparer les indications que Porphyre nous donne sur ses cours avec les traités que nous possédons pour voir l’étroite parenté des uns et des autres. Dans les écoles philosophiques d’alors, le cours devait consister bien souvent en explications de textes des philosophes de l’antiquité. Les écoles stoïciennes avaient donné le modèle de ce procédé ; et dans l’école d’Épictète, par exemple, l’explication des textes de Chrysippe et autres anciens stoïciens paraît avoir été l’occupation [xxix] principale [81]. A notre époque, on procède de même ; mais les commentaires écrits des œuvres de Platon et d’Aristote sont déjà si nombreux que l’on devait souvent se contenter d’en faire la lecture [82]. Les gens de ce temps étaient des compilateurs infatigables [83], et la plupart des professeurs que nous voyons apparaître dans l’écrit de Longin cité par Porphyre étaient de simples lecteurs, bien convaincus qu’ils n’avaient qu’à faire connaître des vérités déjà découvertes depuis des siècles [84]. C’était d’ailleurs la conviction de Plotin lui-même [85] ; le maître, à cette époque, est avant tout un commentateur. Dans l’école d’Épictète, après la lecture ou explication du disciple, commençait le deuxième acte du cours ; le maître prenait la parole pour critiquer la lecture faite par l’élève, et c’est, en grande partie, un choix de ces critiques qu’Arrien nous a conservé sous le nom de Diatribes. Il en était exactement ainsi dans l’école de Plotin ; c’est après la lecture d’un commentaire qu’ont lieu, à propos de ce texte, les conférences et les discussions qui remplissaient la séance. La méthode d’enseignement, employée dans les écoles stoïciennes, subsiste tout entière.
Si maintenant, nous nous tournons vers les Ennéades, il apparaîtra que, dans la forme, elles sont, sur bien des points, comparables aux diatribes d’Épictète. C’est presque chacun des cinquante-quatre traités qu’il faudrait citer pour montrer qu’il a pour point de départ un texte précis de Platon ou d’Aristote. On en trouvera dans nos notices des preuves de détail. La première phrase des [xxx] Ennéades, par exemple, est une phrase d’Aristote, dont tout le traité est, d’un bout à l’autre, le commentaire. Tel groupe de traités, comme VI, 1, 2, 3, est le commentaire de l’opuscule d’Aristote et des textes stoïciens et platoniciens sur les catégories. De plus, la preuve que Plotin, en écrivant, songeait non seulement au texte, mais au commentaire qu’on lisait en même temps, c’est que, souvent, il ne se contente pas d’exposer sa propre interprétation, mais prend aussi pour tâche de critiquer des interprétations étrangères ; on pourrait dégager de ces critiques, comme nous le montrerons, toute une interprétation stoïcienne du platonisme, contre laquelle Plotin proteste.
Les écrits de Plotin s’astreignent donc à fixer son enseignement oral. Chacun d’eux représente un cours, ou quelquefois un ensemble de cours sur des sujets voisins. Le développement de sa pensée se resserre presque toujours dans les limites imposées à une séance de discussion. Lorsque les traités dépassent la mesure ordinaire, ils sont coupés en sections dont chacune pourrait former un ouvrage indépendant [86]. Par la loi du genre qu’il a choisi, Plotin ignore l’art de développer systématiquement une doctrine. Si on examine ses ouvrages dans l’ordre chronologique, on pourra bien y trouver un développement interne, et un changement dans la nature des problèmes qu’il met au premier plan ; mais on y cherchera vainement le développement graduel d’une doctrine selon un plan arrêté et voulu d’avance. Il n’y a pas plus d’ordre dans les traités de Plotin que dans les diatribes d’Épictète. Chacun a en lui-même son but et sa signification, comme une conférence ou un sermon. Le temps n’est pas encore venu, où les néoplatoniciens se proposeront d’imiter [xxxi] les péripatéticiens, et de construire, comme Proclus, un système théologique équivalent, par ses proportions, au système de la nature d’Aristote. Plotin suit les traditions de son époque ; il cherche comme les rhéteurs et les sophistes, l’effet immédiat et profond. Il est d’ailleurs aussi éloigné de la méthode des patients commentaires perpétuels d’Aristote qu’on trouve chez un Alexandre d’Aphrodisias ; il ne commente pas précisément les textes, il les prend comme thèmes de développement.
Avec un pareil procédé, d’ailleurs, on est amené moins à considérer les doctrines en elles-mêmes qu’à les mettre au service de thèmes de prédications. Aucune méthode n’est moins favorable à la recherche philosophique. Le conférencier ou l’auteur qui écrit comme il parle a besoin, avant tout, de matériaux tout prêts, que son originalité consistera à développer et à utiliser d’une manière vivante. Toute la philosophie grecque, dès le moment où elle a été entre les mains de professionnels de l’enseignement et de directeurs de conscience, présente cet aspect ; on utilise les doctrines, on ne construit plus. Chacun possède quantité de petits recueils, cahiers de notes, histoires des doctrines rangées par ordre chronologique ou par ordre méthodique (comme les Placita d’Aétius), résumés, recueils d’anecdotes édifiantes sur les anciens philosophes. Les Vies des philosophes de Diogène Laërce, où tous ces éléments se trouvent mélangés, peuvent, dans leur décousu, nous donner une idée de tous ces matériaux, où les philosophes allaient chercher leur inspiration. Toute la différence entre eux est dans la présentation ; les esprits peu vigoureux ou les auteurs trop pressés n’arrivent qu’à des compilations. L’œuvre de Philon d’Alexandrie, qui est typique à cet égard [87] laisse [xxxii] souvent reconnaissables et simplement juxtaposés les matériaux qu’il employait. Plutarque ne fait aucune difficulté à nous avouer que, quand il était pressé, il se bornait à recopier les cahiers de notes qu’il avait sous la main [88].
L’œuvre de Plotin n’échappe nullement à la règle ; elle se décompose en thèmes, que les doctrines philosophiques sont faites pour soutenir. Le thème principal, autour duquel se centrent tous les autres, c’est le thème de la fuite de l’âme hors du monde sensible. La doctrine qui le soutient, c’est celle d’une série de réalités dont chacune naît de la précédente, et qui vont en valeur décroissante depuis le plus haut sommet du monde intelligible (le Premier) jusqu’au plus bas degré du monde sensible. Chacune de ces réalités est un séjour possible pour l’âme qui se perd en descendant vers la matière, et regagne son être véritable en montant vers le Premier. Cette doctrine n’est développée que pour rendre possible le thème édifiant de l’ascension de l’âme. Il s’agit de décrire la vraie patrie de l’âme par opposition au lieu où elle se trouve emprisonnée. Considérons brièvement par exemple le sujet des traités de la première Ennéade. Le premier veut démontrer que l’âme a une vie bien à elle, et séparée de toutes relations avec le corps. Le second reprend le vieux thème stoïcien de l’identité de la vertu chez Dieu et chez les hommes et de la possibilité pour l’âme de s’assimiler à Dieu. Le troisième traite un thème qui, malgré les apparences, est un thème d’école stoïcien plutôt que platonicien ; c’est ce thème, si fréquent chez Épictète, de la primauté de la dialectique dans la vie intellectuelle et morale. La quatrième se rapporte au thème, constant dans toutes les morales postaristotéliciennes, [xxxiii] de l’indépendance du bonheur du sage ; le cinquième traite également un thème d’école stoïcien, l’indépendance du bonheur du sage relativement à la durée. Le sixième a pour sujet l’ascension de l’âme vers le monde intelligible ; le septième, le bonheur ; et le huitième démontre que le mal n’a sa source dans aucun être réel et par conséquent est étranger à l’âme. Donc le thème de la vie spirituelle et indépendante de l’âme, qui incorpore d’anciens thèmes stoïciens qu’il rajeunit, est, en tous ces traités, le sujet véritable et immédiat de Plotin. La doctrine platonicienne ne prend son plein sens pour lui que parce qu’elle est, plus qu’aucune autre, favorable à la vie spirituelle.
Comme la subordination de la doctrine au thème de prédication est un trait absolument général de l’époque, Plotin reste aussi tributaire de son temps dans les formes que prend le développement de sa pensée. Ce fait ne pourrait être bien mis en lumière que s’il existait une histoire d’ensemble de la prédication morale païenne dans l’antiquité. Des nombreux travaux de détail, qui ont fait voir l’importance de cette question [89], on peut conclure que l’œuvre littéraire de Plotin rentre dans une longue tradition qui a son origine au IIe siècle avant notre ère, dans la diatribe de Télès, et se laisse reconnaître dans l’œuvre de Philon d’Alexandrie, de Musonius et d’Épictète.
Le mot diatribe désigne à la vérité deux choses parentes quoique assez différentes ; il désigne tout d’abord des sortes de sermons, dont la forme a été fixée par Télès ; ils ont pour sujet l’indifférence du sage aux choses extérieures ; indépendants de toute doctrine philosophique, [xxxiv] ils se transmettent d’âge en âge sous forme stéréotypée et sont utilisés par tous ; on les rencontre par exemple, sous cette forme définitive, chez Philon d’Alexandrie [90]. Plotin n’a pas dédaigné d’y recourir, et un de ses traités (I, 4) contient un long développement qui en est inspiré. En un sens plus vague, on peut appliquer le mot à un ensemble de procédés, assez différents selon ceux qui l’emploient, mais qui tous se distinguent du discours d’apparat par leur tour familier et leur continuel appel à l’auditeur. On peut distinguer deux de ces procédés qui sont assez souvent employés par Plotin dans l’ordre où nous les citons : la discussion et le discours continu que nous pouvons appeler l’élévation.
La discussion fait intervenir un interlocuteur fictif, qui pose des questions et fait des objections. Ou bien elle est composée d’une suite de courtes répliques qui se succèdent rapidement [91], ou bien chaque question est à la tête d’un chapitre, et marque une des articulations du développement [92]. La question est parfois très courte ; parfois elle contient une objection plus ou moins longuement développée [93]. Cette sorte de dialogue n’a rien de commun avec le dialogue platonicien, dont certainement il ne procède pas ; l’interlocuteur fictif reste tout abstrait, sans personnalité déterminée, et n’a d’autre rôle que d’entretenir la discussion ; il s’efface entièrement après avoir posé sa question. C’est bien plutôt là le caractère traditionnel des discussions dans la diatribe de Télès et de Musonius ; et Plotin indique parfois l’objection par un φησιν ou un φήσουσι qui est dans la tradition du style de [xxxv] la diatribe. La discussion est ce que l’auteur considère comme la partie scientifique du traité, qui contient la preuve démonstrative de la thèse ; elle ne contient que des raisonnements abstraits et un peu secs.
Mais Plotin veut non seulement faire voir la nécessité logique de sa thèse, mais entraîner la conviction [94]. Le développement prend alors un tour lyrique où dominent les images qui dirigent l’esprit vers la réalité cachée que l’on veut lui montrer. L’emploi et le goût des images chez Plotin ont sans doute leur raison dans le caractère même de sa doctrine ; les réalités suprêmes, vers lesquelles il conduit l’âme, l’Un et l’Intelligence, ne peuvent être connues que par une intuition immédiate et un contact ineffable ; ce sont des réalités proprement inexprimables. Le langage ne peut donc s’en rapprocher qu’en employant des images. « Tant que nous sommes en haut », nous comprenons bien que l’intelligence se connaît elle-même ; « mais une fois revenus ici-bas, nous cherchons des moyens de nous persuader, comme si nous voulions voir un modèle en son image » (V, 3, 6). Mais, au point de vue de la pure forme littéraire, il faut remarquer que ce style imagé est un des caractères de la diatribe. Des procédés tels que la prosopopée de la nature (III, 8, 4) ont leur modèle littéraire dans les prosopopées de la diatribe de Télès [95]. L’emploi de l’image familière, empruntée à la vie courante, pour mettre en lumière les rapports moraux abstraits est fréquent dans la diatribe d’Épictète [96]. Plotin n’y est [xxxvi] pas moins porté [97]. Il y a là une tradition littéraire dont nous saisissons très mal les chaînons, mais qui semble certaine. Ces développements sont enfin suivis quelquefois de préceptes qui achèvent la prédication et en donnent le sens [98].
En dehors de ces formes littéraires, on trouve encore dans les traités de Plotin quelques traces de l’influence littéraire des philosophes de métier. On y voit quelques fragments de commentaires véritables, phrase à phrase, tels que les comprenait Alexandre d’Aphrodisias [99]. Il y a aussi quelques traités ou parties de traités qui peuvent rentrer dans le genre philosophique des Questions, ainsi qu’Alexandre, dans l’ouvrage ainsi intitulé, le renouvelait alors des Problèmes d’Aristote [100]. Plotin est évidemment un érudit et un profond penseur ; il laisse bien loin derrière lui un Musonius et un Épictète : il n’en reste pas moins que, dans son ensemble, son œuvre se rattache nettement au genre de la prédication.
Le style de Plotin. À ces remarques qui n’ont pas du tout la prétention d’entrer dans la pensée de Plotin, mais sont des préliminaires indispensables sur le dessin extérieur de son œuvre, nous ajouterons quelques observations pour montrer comment il a utilisé d’une manière originale ces cadres littéraires. Porphyre mentionne un fait caractéristique : ceux qui n’avaient pas entendu la parole de Plotin semblent incapables de comprendre ses écrits. En Grèce, on le traite d’insipide bavard ; Longin, parce qu’il ne le comprend pas, pense [xxxvii] que les copies, d’ailleurs exactes, qu’il a des écrits de Plotin, sont des copies fautives. Ce fait tient à ce que la phrase de Plotin est une phrase parlée, où les nuances successives et les articulations de la pensée ne peuvent être saisies que grâce à une parole elle-même nuancée. Nous y voyons plusieurs traits qui évoquent l’idée d’un cours familier. D’abord la parenthèse, quelquefois très longue, qui s’enchevêtre dans la phrase ; un mot, dit en passant, a suggéré une question, que le maître traite brièvement sous forme de digression [101]. Ensuite la « dittographie », la succession immédiate de deux formules répétant la même idée. H.-F. Müller condamne, il est vrai, les dittographies comme des gloses ajoutées par les copistes [102] ; mais elles sont trop nombreuses pour être toutes rejetées ; et elles sont un procédé tout naturel du professeur qui parle [103]. Enfin les raccourcis fréquents, le professeur ne parlant que par une allusion rapide de ce qu’il sait que son auditoire connaît bien.
Si la phrase de Plotin est une phrase parlée, elle n’est pas du tout une phrase oratoire. Le langage de Plotin est, d’après Norden [104], celui d’un « archaïsant libre ». Il ne suit pas, dans l’emploi des mots et des tournures, les habitudes rigoristes et exclusives de certains sophistes. Il en est de même de son style. Ce n’est pas celui d’un sophiste, avec ce qu’il a de régulier et d’attendu ; ce n’est pas non plus le développement progressif d’un thème. La phrase de Plotin a une structure telle qu’elle rappelle dans l’esprit, à chaque moment de la discussion, l’objet [xxxviii] entier de la recherche ; c’est la phrase d’un intuitif, à qui cet objet est constamment présent tout entier, non pas celle d’un bâtisseur de système, qui construirait peu à peu ses concepts. Lisons par exemple cette phrase d’Ennéade III, 8, 4 « Ce qu’on appelle la nature, c’est-à-dire une âme, qui est elle-même le produit d’une âme antérieure, vivant d’une vie plus puissante, est doué d’une contemplation immobile qui ne tend ni vers les réalités supérieures ni non plus vers celles d’en bas ; elle reste au niveau où elle est ; et, dans cette immobilité et cette conscience qu’elle a d’elle-même, grâce à cette intelligence et à cette conscience d’elle-même, elle voit, autant qu’il lui est possible, ce qui vient après elle ; et elle ne cherche pas autre chose, parce qu’elle est arrivée à contempler un objet plein d’éclat et de grâce. » Dans cette phrase, qui n’est pourtant pas un résumé final, l’idée principale (la nature contemple) est entourée d’incidentes destinées à rappeler le système entier des êtres dont la nature fait partie et au milieu desquels Plotin la voit. Le style est pour ainsi dire l’image du système lui-même, où chaque être n’existe que dans le courant total de vie, dont il est une forme et une manifestation.
De là, la perpétuelle et inexorable tension du style, où l’intuition de l’univers est toujours présente. De là aussi la surcharge de ses phrases. Comme l’a remarqué Seidel [105], sa pensée ne s’exprime pas en une suite de propositions détachées, reliées par des conjonctions, mais, plus ordinairement, par une accumulation de noms ou de propositions infinitives, liés entre eux par des prépositions indiquant la dépendance [106] ; l’esprit du lecteur est sans cesse invité à remonter de terme en terme jusqu’au principe suprême.
[xxxix]
C’est aussi ce qui donne au style de Plotin cette saveur particulière que l’on ne rencontre guère au même degré, et pour les mêmes raisons, que dans le style de Leibniz. Sans cesse est présent, autour de chaque objet, un halo de spiritualité, qui en efface les contours distincts et par quoi il est mêlé à la vie universelle. Mais, chez Plotin, un pareil procédé ne va pas toujours sans cette enflure, qui deviendra, dans la suite, si caractéristique de la piété néoplatonicienne. Il y a, dans cet enthousiasme qui veut rester uniformément pareil à lui-même, un défaut de sincérité qui apparaîtra clairement chez des imitateurs moins constamment inspirés que le maître ; l’effort pour atteindre à ces hauteurs ne produira bien souvent que ce style boursouflé qui est celui de tant de mystiques postérieurs.
En somme, par ses habitudes littéraires, Plotin est aussi loin que possible de ce Platon qu’il aimait tant. Il est bien de son époque, de la race de ces prédicateurs qui subordonnent toute doctrine à son effet sur l’avancement spirituel.
III. LE TEXTE DES ENNÉADES
L’établissement du texte de Plotin, par suite de circonstances défavorables, rencontre souvent des difficultés insurmontables. Le problème consiste en effet dans la plupart des cas pour l’éditeur, non pas à choisir entre plusieurs leçons celle du manuscrit qui a la plus grande autorité, mais à corriger des fautes irrémédiables des manuscrits, ce qui, au meilleur cas, ne peut amener qu’à des hypothèses plus ou moins probables. H.-F. Müller, qui a édité les Ennéades en 1878, est obligé d’avouer [xl] dans sa préface que « la lecture des manuscrits ne l’a pas beaucoup avancé... et qu’il a dû s’essayer à remédier aux fautes par ses propres conjectures ou celles des autres. »
La première circonstance défavorable est, nous l’avons vu, dans la manière dont furent publiées les Ennéades. Les premiers lecteurs de Plotin, eux-mêmes, ne connaissaient pas le texte, tel qu’il sortait des mains de l’auteur ; il eût d’ailleurs été illisible, et il n’était copié qu’après avoir été revu et corrigé par Porphyre. Or, Eustochius publia, lui aussi, une édition des œuvres du maître, édition qui, elle aussi et inévitablement, devait être corrigée et contenir des corrections différentes de celles de Porphyre. Il est sûr, d’autre part, que les copistes d’âge inconnu dont nos manuscrits représentent la tradition, s’inspirèrent à la fois de l’édition de Porphyre et d’une autre édition qui a pu être celle d’Eustochius [107]. Il y a donc dans nos manuscrits deux traditions inextricablement mêlées, qu’il est impossible de séparer par aucun moyen.
La seconde circonstance défavorable, c’est l’âge récent de tous nos manuscrits. L’immense majorité des trente-neuf manuscrits énumérés par H.-F. Müller [108] date bien entendu de la Renaissance, des XVe et XVIe siècles, où l’on se prit pour Plotin d’un goût singulier. Les plus anciens sont, outre le Marcianus D 409, du XIIe siècle, qui ne contient que trois traités, le Mediceus A plut. 87 n° 3, qui date du XIIIe siècle, le Parisinus A 1976, du XIIIe et XIVe siècle, et le Mediceus B plut. 85, n° 15, du XIVe siècle. [xli] Le meilleur et le moins fautif de ces manuscrits paraît être, d’après Müller, le Med. A. Néanmoins, la comparaison des leçons de manuscrits avec les citations de Plotin, quelquefois assez longues, que l’on trouve dans les autres auteurs, nous permet de voir que nos manuscrits contiennent non seulement des fautes nombreuses, mais des fautes qui sont les mêmes pour tous. Ainsi une partie d’Enn. I 2 a été reproduite par Porphyre dans son Introduction aux intelligibles et par Marinus dans la Vie de Proclus ; en comparant, nous trouvons dans tous nos manuscrits des mots employés pour d’autres [en grec] ou [en grec], qui n’a aucun sens, pour [en grec] ; [en grec] pour [en grec], ou des mots incomplètement écrits ([en grec] pour [en grec]). Le fait se reproduit chaque fois que nous avons l’occasion de faire une comparaison semblable. C’est ainsi que la version arabe d’une partie de la quatrième Ennéade, connue sous le nom de Théologie d’Aristote, permet de combler une lacune, qui existe dans tous nos manuscrits. Enfin une transposition évidente, déjà signalée par Marsile Ficin (2, 3, 5, 21) nous permet de conclure à l’intime parenté de tous nos manuscrits.
Ainsi notre tradition manuscrite est à la fois uniforme et très défectueuse ; les corrections que l’on trouve en plusieurs manuscrits, semblent dues à des érudits de la Renaissance (H.-F. Müller, par exemple, prouve, par comparaison avec la traduction latine de Marsile Ficin qu’une partie des corrections de Med. A vient de cet érudit), et par conséquent elles n’ont que la valeur de conjectures. Dès lors, en faisant abstraction des fautes évidentes et secondaires dues à l’iotacisme ou aux erreurs d’accentuation, il est en général impossible de corriger les manuscrits les uns par les autres.
Dans des conditions aussi défectueuses, il est indispensable, [xlii] sous peine de ne pouvoir déchiffrer le texte, de faire appel aux conjectures. L’unanimité des manuscrits n’apporte aucune preuve décisive en faveur de leçons qui se refusent à donner un sens quelconque. Encore faut-il être avare de pareilles conjectures, et ne les faire que par contrainte. Aussi, malgré les plus récents éditeurs, Müller et Volkmann, j’ai rétabli le texte des manuscrits, chaque fois qu’il me paraissait donner un sens. Ce sens est obtenu parfois au prix d’un changement dans la ponctuation traditionnelle, changement que j’ai toujours préféré, étant donnée l’incertitude de cette ponctuation, aux modifications du texte. Quant aux conjectures que j’ai admises ou faites moi-même, elles sont de quatre ordres ; 1° des changements de mots ; je les ai acceptés sans hésitation lorsqu’un simple changement de lettres de formes voisines illumine le sens de la phrase ; j’accepte, par exemple, la conjecture de Schroeder[en grec] pour [en grec] (I 8, 5, 30) ; je change [en grec] (II 9, 6, 44) ; 2° des additions qui sont en général imposées par le balancement de la phrase (par exemple II, 3, 14, 26 ; II, 4, 8, 27), ou par le rapprochement avec d’autres parties du texte (II, 4, 5, 8), ou par la construction grammaticale (ibid., 5) ; 3° des suppressions ; les suppressions peuvent être d’abord commandées par la supposition d’une glose marginale introduite dans le texte ; H. F. Müller, dans son édition et dans ses travaux postérieurs, a très souvent fait des suppositions de ce genre ; si le style de Plotin est tel que nous l’avons défini plus haut, il ne faut les accepter qu’avec la plus grande réserve. D’autres suppressions, beaucoup plus rares, sont commandées par le sens de la phrase ; 4° enfin des transpositions de mots donnent parfois une solution satisfaisante de certaines difficultés.
En définitive, mon apparat critique comprend :
1° Un choix de variantes empruntées aux manuscrits [xliii] suivants : Mediceus A plut. 87 n° 3 (A), Mediceus B plut. 85 n° 15 (B), Monacensis C 449 (C), Marcianus D 209 (D) ; les collations de ces quatre manuscrits ont été empruntées à l’édition Müller ; Parisinus A 1976 (E), Parisinus B 1816 (F), deux manuscrits que j’ai lus personnellement ; Cizensis 372 (Ciz), Darmstadiensis 387 (Darm), Vaticanus 239 (Vat), Marcianus A 240 (Marc A), Marcianus B 231 (Marc B), Marcianus C 242 (Marc C), Vindobonensis 11 (Vind) ; j’ai emprunté à l’édition Creuzer (Plotini opera omnia, Oxford, 1835) les collations de ces sept derniers manuscrits.
2° Outre mes propres conjectures, j’ai tenu le plus grand compte de celles qui sont proposées dans les éditions ou études suivantes :
Marsile Ficin, traduction latine des Ennéades reproduite dans l’édition Creuzer.
Creuzer, Plotini Opera omnia, Oxford, 1835, 3 vol. (Notes de Wyttenbach).
Heigl, Plotini adversus Gnosticos (II, 9), Landshut, 1832.
Vitringa, Annotationes criticæ in Plotini Enneadum partem priorem, Deventer, 1876 (L’édition Müller contient en outre quelques conjectures communiquées par Vitringa).
Bouillet, Les Ennéades de Plotin, traduction, Paris, 1857, 3 vol.
Kirchhoff, Plotini Opera, Leipzig, 1856.
H.-F. Müller, Plotini Enneades, Berlin, 1878, 2 vol.
R. Volkmann, Plotini Enneades, Leipzig, 1884, 2 vol.
Cobet, Ad Porphyrii Vitam Plotini, Mnemosyne, 1878, p. 337.
Seidel, De usu praepositionum plotiniano, Breslau, 1886.
[xliv]
T. Gollwitzer, Beiträge zur Kritik und Erklärung Plotins, Programm, Kaiserslautern, 1909.
H.-F. Müller, Glosseme und Dittographien in den Enneaden, Rheinisches Museum, 1915.
Schröder, Plotins Abhandlung [en grec] (I, 8), Rostock, 1916.
H.-F. Müller (notes critiques), Berliner philologische Wochenschrift, 1918, n° 1, 8, 9.
F. Heinemann, Plotin, Leipzig, 1921.
R. Arnou, Le Désir de Dieu dans la philosophie de Plotin, Paris, 1921.
R. Arnou, [en grec] (III, 8), Paris, 1921.
3° Les leçons tirées des auteurs qui ont extrait Plotin, en particulier Porphyre, les commentateurs d’Aristote (surtout Simplicius, dans le Commentaire aux Catégories), la pseudo-Théologie d’Aristote, en arabe, traduite en allemand par Dieterici (Leipzig, 1883), Jean le Lydien, Macrobe, Marinus dans la Vie de Proclus.
L’apparat critique doit être lu de la manière suivante : en tête de chaque article se trouve la leçon adoptée dans le texte ; et après les deux points, la ou les variantes. Si la leçon adoptée n’est suivie d’aucune mention de manuscrits, c’est qu’elle est celle de tous les manuscrits, sauf de ceux qui pourraient être indiqués dans les variantes. Ainsi [en grec] : [en grec] Vind. A signifie que la leçon adoptée se trouve dans tous les manuscrits, sauf dans Vindobonensis A. Si elle est suivie de la mention d’un ou plusieurs manuscrits, c’est qu’elle est spéciale à ces manuscrits, et la ou les variantes qui suivent indiquent la ou les leçons des autres manuscrits. Par exemple[en grec] Marc C : [en grec], veut dire que la leçon adoptée ne se trouve que dans le Marcianus C et que tous les autres manuscrits portent [en grec]. Lorsque la mention d’un manuscrit est suivie [xlv] du nom d’un éditeur, on doit lire que cet éditeur a accepté la leçon du manuscrit. Ainsi ζητῃτέα Ciz. Mon. A Vat. Creuzer veut dire que la leçon particulière aux trois manuscrits Cizensis, Monacensis A et Vaticanus a été acceptée dans l’édition de Creuzer. Lorsqu’une leçon est suivie seulement du nom d’un éditeur, on doit lire que c’est une conjecture personnelle de cet éditeur. Ainsi : [en grec] Gollwitzer : [en grec] libri, veut dire que tous les manuscrits portent [en grec], et que Gollwitzer a conjecturé la leçon qui est adoptée dans le texte. Enfin les additions, indiquées dans le texte par des crochets obliques, ou les suppressions, indiquées par des crochets droits, sont répétées dans l’apparat critique et suivies du nom de l’éditeur qui a fait la conjecture.
Dans la traduction, j’ai jugé indispensable de marquer par des tirets les divers moments de la discussion, et de faire ressortir ainsi le caractère de dialogue fictif que présente une grande partie de l’œuvre de Plotin. J’ai en outre en général indiqué par des parenthèses les digressions où s’égare parfois la discussion. J’ai enfin indiqué entre crochets le rang de chaque traité dans l’ordre chronologique de Porphyre.
__________
[xlvi]
[4] Le seul renseignement à y ajouter est un détail de la notice de Suidas qui nous apprend que Plotin est né à Lycopolis, en Égypte.
[6] Voyez deux exemples de ces associations de philosophes à Alexandrie au IIe siècle, dans Mariano San Nicolo, Ægyptisches Vereinwesen zur Zeit der Ptolemäer und Römer, Munich, 1913, pp. 196, 197. De plus Dion Cassius (77, 7) nous parle des [en grec] des péripatéticiens à Alexandrie au temps de Caracalla, c’est-à-dire à l’époque de la jeunesse de Plotin.
[7] Cf. la discussion entre Zeller, Archiv für die Gesch. d. Philosophie VII, p. 297 et Arnim, Rheinisches Museum XLII, p. 276, à propos d’un texte de Némésius, de nat. hom., ch. 2 et 3, qui date du Ve siècle. Arnim pense à tort qu’il reproduit la doctrine authentique d’Ammonius.
[9] Entretiens II, 2, 15-19.
[10] Voyez le tableau d’ensemble donné par Longin, dans Porphyre, Vie de Plotin, ch. 20.
[11] Porphyre a trente ans quand il entre à l’école de Plotin ; il a déjà écrit et a suivi l’enseignement de Longin (cf. Bidez, Vie de Porphyre, Gand, 1913). Amélius y entre en 247, après avoir suivi longtemps l’enseignement du stoïcien Lysimaque.
[12] Cf. Diogène Laërce, Vie des Philosophes, préface : « On dit que la philosophie a commencé par les Barbares ».
[13] Je sortirais du cadre de cette préface, où je veux seulement caractériser la personne de Plotin, en insistant sur les points de contact entre Plotin et l’Inde ; je me permets de renvoyer le lecteur à la Revue des Cours et Conférences, 15 juin 1922.
[15] Cf. l’amusante anecdote de la fin du chap. 13 ; cf. aussi chap. 18, 4.
[17] Cf. tout le chapitre 10. La réponse de Plotin, à propos du jeteur de sort, est une raillerie. Le traité III, 4, écrit à propos de l’incident raconté dans ce chapitre sur l’évocation de son démon, est un effort pour tirer quelque chose de raisonnable des croyances démonologiques. Cf. aussi, II 9, 14, ce qu’il dit de la possession démoniaque.
[18] Voyez le mépris que lui inspiraient la propagande populaire des gnostiques, et les moyens de cette propagande II 9, 14.
[20] Revue Philosophique, 1922, p. 438.
[21] Vie de Plotin, ch. 1.
[22] Cf. les détails, ch. 2 début.
[23] Cf. Bidez, Vie de Porphyre, p. 52, et les travaux d’Amélius, ch. 3 fin.
[29] Aussi le prenait-on souvent pour arbitre, ch. 9, fin.
[34] Cf. Enn., II 9, 9, 10. Un de ses griefs contre les gnostiques, c’est le caractère populaire de leur propagande ; Enn., II 9, 14.
[35] Cf. par exemple le mépris tout aristocratique de Jamblique pour le cynisme populaire (Eunape, Vitae Sophist., 460, 32 éd. Didot).
[39] Tels que Thaumasius, ch. 13, fin.
[45] L’événement se place sous le règne de Galien, donc après 253, année où Galien fut associé à l’empire. Cf. chap. 12.
[47] La cité devait comprendre, avec une ville campanienne ruinée, qui serait restaurée, le « territoire avoisinant ».
[48] Porphyre parle avec peu de sympathie de plusieurs personnes de l’entourage de Plotin.
[50] Particulièrement I 4.
[51] C. Schmidt, Plotins Stellung zum Gnosticismus (Texte und Untersuchungen V, 4), Leipzig, 1901.
[52] Fritz Heinemann, Plotin, Leipzig, 1921.
[53] Max Wundt, Plotin (Studien zur Geschichte des Neuplatonismus, erstes Heft), Leipzig, 1919.
[54] C’est pourquoi, dans l’édition porphyrienne, certains traités portent encore deux titres : I, 5 et 7 ; II, 2, 4 et 9, etc.
[55] L’entrainement à une production rapide et peu soignée est un trait général de cette époque ; on se vantait comme d’un tour de force d’écrire très vite. Cf. par exemple le début du traité de Plutarque, [en grec], et dans la Vie de Plotin, ch. 17, 29.
[56] Longin croyait que ces copies étaient fautives, mais à tort, selon Porphyre, et parce qu’il ne comprenait pas la pensée du maître. Ch. 19, 21 ; Ch. 20, 8.
[57] Cf. H. F. Müller, Zur handschriftlichen Uberlieferung der Enneaden des Plotinos, Philologus, XXXVII, 3 ; XXXVIII, 2 (cf. Hermes, XIV, 1).
[58] Cette collection de fragments ne pouvait d’ailleurs former un traité unique dans l’intention de l’auteur des Ennéades, et elle a dû être faite par Porphyre ou Eustochius.
[59] Blätter für das Gymnasial Schulwesen tome 36, 1900, p. 4 sq.
[60] Cf. la notice à Enn. II 3.
[61] Nous indiquons entre crochets la place du traité dans l’ordre chronologique indiqué par Porphyre, ch. 4, 5 et 6.
[62] Par exemple VI, 4 [22] renvoie à IV, 9 [8] ; VI, 1, 28 [42] à II, 4, 10 [12] ; VI, 2, 14 [43] à II, 6, 2 [17] ; IV, 2 [21] début à IV, 7 [22] ; VI, 4 [22] répond à l’objection de IV, 2 (8, 13) [21].
[64] Cf. l’écrit de Longin cité ch. 20, 94.
[68] Compte rendu de l’édition de Mommert, Byzantinisch. Zeitschr., 1909.
[69] La nécessité de ce travail s’explique par une réflexion de Porphyre au chap. 18 : Plotin mettait une certaine coquetterie à dissimuler la structure logique de sa pensée ; les [en grec] devaient la mettre au contraire en relief.
[70] Sur cette distinction, cf. la préface de Mommert dans son édition, Leipzig, Teubner, 1907.
[71] On peut soupçonner que les dernières lignes d’Enn. I 6 qui résume l’argument, les dernières lignes de IV 2, la conclusion du § 17 d’Enn. IV 4 qui termine un développement, les dernières phrases de V 5, sont des épichérèmes porphyriens, dont la sécheresse contraste avec la majesté ordinaire des finales de Plotin. Le cas de V 9 est spécialement intéressant ; la fin du § 14 paraît contenir le titre des questions déjà traitées.
[72] Lucien, Quomodo historia sit conscribenda, 10.
[73] D’après Plutarque (Symposiac., VII, 1), on jouait à Rome, dans les banquets, les dialogues platoniciens dramatiques.
[74] Sur l’érudition philosophique des Sophistes, cf. Philon Vita Mosis, II 212 éd. Cohn ; Quaest. in Gen., IV, § 92.
[75] Par exemple Entretiens, II 1. à partir du § 29.
[76] Chap. 13, fin ; ch. 18, début.
[77] Edit. Jahn ; Neue Jahrbücher für Philologie und Pädagogik, suppl. XIV, 1848.
[78] Controversiae, lib. I, proœmium. Cf. encore : « aiebat se scribere in animo » et chap. 8, 9-10.
[79] Comparer, au point de vue formel bien entendu, Vie de Plotin, ch. 13, début, 14, début, et l’inspiration divine chez le rhéteur Aristide (A. Boulanger, Ælius Aristide, Paris, 1923, p. 133-135).
[81] I. Bruns, De Schola Epicteti, diss. Kiel, 1897.
[82] Ch. 14, 14 ; c’est un mérite de Plotin d’y ajouter ses propres explications.
[83] Cf. l’exemple d’Amélius qui compile les œuvres de Numénius, ch. 3.
[86] Exemple : IV 3 et 4.
[87] Bousset, Jüdisch-christlicher Schulbetrieb in Alexandria und Rom. Göttingen, 1915.
[88] De tranquillitate animi, ch. 1.
[89] Cf. surtout P. Wendland, Philo und die Kynisch-stoïsche Diatribe, Berlin, 1895.
[90] Cf. mes Idées philosophiques de Philon d’Alexandrie, 1908, p. 262.
[91] Cette distinction a été faite par Norden, Kunstprosa, 2e éd., 1909, p. 399.
[92] Ex. : VI, 4, 9 à 12 ; V, 3, 15.
[94] Cf. par exemple la conclusion de la discussion V, 3, 1-5, au début du chapitre 6 ; I 2, 1 fin. Cf. II 9, 15 début, l’importance primordiale qu’il attache à l’effet des doctrines sur l’esprit de l’auditeur. Le procédé se rattache aussi à Platon ; cf. Lois, X, 903 ab.
[95] Cf. une prosopopée de la nature dans Lucrèce, III, 932 sq., dans cette fin de livre, qui contient beaucoup d’autres emprunts à la littérature des diatribes.
[96] L’exemple du jeu de dés et du jeu de balle, Entretiens, II 8.
[97] V 3, 14 : l’inspiré.
[99] III, 5 contient un véritable fragment d’un commentaire du Banquet, par exemple au chap. 9 ; cf. aussi VI, 1, 2, 3.
[100] Voyez II 7 et II 8.
[101] Exemple II 8, 1, sur l’intensité des sensations de son.
[102] H.-F. Müller, Glosseme und Dittographien in den Enneaden des Plotinos, Rheinisches Museum, 70 (1915), p. 42.
[103] Cf. l’opinion de Plotin sur l’utilité pédagogique de la répétition.
[104] Kunstprosa, 2e éd. 1909, p. 399.
[105] De usu praepositionum plotiniano quaestiones, diss. Breslau, 1886.
[106] Exemples caractéristiques donnés par Seidel : II 9, 5 début ; II 1, 5, 4.
[107] Notre preuve c’est que, dans la copie qui a été l’archétype de nos manuscrits, le traité IV 1 est reproduit à deux reprises différentes, d’abord comme partie de III 9, puis comme un traité indépendant ; le copiste, dans le premier cas, n’observe pas la coupure de Porphyre.
[108] Zur handschriftlichen Ueberlieferung der Enneaden, Philologus, 37, 3.
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