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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Oeuvres littéraires. I. Études esthétiques (1923) Avant-propos de l'éditeur, Élie Faure
Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Eugène Delacroix (1923), Oeuvres littéraires, I, Études esthétiques, Paris, G. Crès & Cie, 1923, Bibliothèque dionysienne, 165 pages. Avant-propos délie Faure. Études esthétiques comprend les écrits théoriques publiés par Delacroix (1re partie : « Doctrines ») et des notes, réflexions et projets esquissés sur des carnets ou des feuilles volantes (2e partie : « Impressions et méditations »). Une édition numérique réalisée par M. Daniel Banda, bénévole, professeur de philosophie en Seine-Saint-Denis et chargé de cours d'esthétique à Paris-I Sorbonne.
Avant-propos de l'éditeur, Élie Faure
La production « littéraire » dEugène Delacroix se compose de trois éléments : 1° Ses articles parus de son vivant dans divers périodiques (Revue de Paris, Revue des Deux-Mondes, Moniteur universel, etc.) ; 2° Ses notes éparses sur les albums, les carnets, les feuilles volantes, qui ont été recueillis après sa mort ; 3° Sa correspondance.
Tous ces écrits ont été publiés. Mais, tandis que les notes, rassemblées par MM. Paul Flat et René Piot, sous le titre de Journal dEugène Delacroix (Note 1), et les lettres, réunies par Burty dans un premier (Note 2), puis un second (Note 3) recueil, étaient livrées au grand public, les articles originaux ne bénéficiaient pas de ce privilège et restaient enfouis et oubliés dans un volume publié en 1865 deux ans après la mort du maître par Piron, lun de ses intimes, et tiré à 300 exemplaires pour être distribué à ses amis (Note 4).
Cest ce dernier livre que nous exhumons aujourdhui, non pas il est vrai absolument tel que Piron, dans sa hâte pieuse de sauver du naufrage tous les souvenirs du grand peintre, lavait conçu et réalisé, mais contenant les mêmes matières à peu de choses près. Nous y avons apporté quelques additions. Il le fallait bien. Piron avait oublié une étude sur le Jugement dernier, de Michel-Ange, une Description des peintures du Salon du Roi et un Rapport au ministre de lInstruction publique sur une méthode de dessin (Note 5). Par contre, nous avons supprimé les quelques lettres qui avaient été rassemblées trop précipitamment par Piron et reproduites à la fin du volume : toutes, en effet, ont été publiées par Burty dans son recueil.
On sait, dautre part, que le Journal dEugène Delacroix a été constitué par la mise en ordre et au net des innombrables notes confiées par le maître à son élève Andrieu ou retrouvées çà et là, par bribes, entre les mains de quelques-uns de ses amis ou de collectionneurs tels que le professeur Charcot. MM. Paul Flat et René Piot, à tort ou à raison, nont pas reproduit dans leur précieuse et belle publication les écrits déjà retrouvés par Piron après la mort de Delacroix dans quelques carnets et albums échappés à la surveillance dAndrieu et imprimés dans son volume. Ils se sont bornés à en citer en note quelques extraits caractéristiques qui se rapportaient au texte du Journal. Nous avons reproduit tous ces fragments, à lexception dune note absolument insignifiante sur la Fréquence des Expositions et de quelques phrases inachevées dépourvues de sens.
Nous navons pas respecté lordre si lon peut dire adopté par Piron. En effet, il avait pris pour base la date de publication des articles de Delacroix sans se soucier de leur sujet. De ce fait, des études desthétique pure sintercalaient dans la série de ses Essais sur les Artistes célèbres. Cest ainsi par exemple que larticle sur lEnseignement du dessin prend place entre Gros et Le Poussin et les Questions sur le Beau entre Le Poussin et Charlet. En outre, à la fin du volume, les Notes retrouvées de Delacroix sentassaient un peu au hasard, et sous des titres arbitraires, dans un désordre pittoresque, mais sans profit pour lharmonie de louvrage. Ces notes nétant pas, dans la pensée de Delacroix, destinées à la publicité, il ne leur avait généralement pas donné de titres. Nous avons donc été obligés, soit de conserver les titres imaginés par Piron, soit de les modifier légèrement ou den adopter dautres qui nous paraissaient préférables. Les divisions et subdivisions auxquelles nous nous sommes arrêtés nous semblent devoir faciliter les recherches du lecteur et rendre la lecture de louvrage plus attachante et plus claire. Cet ouvrage, publié par Piron en un seul tome trop compact, nous a semblé en outre, tant par son étendue que par lesprit des éléments qui le composent, devoir fournir la matière de deux volumes.
Notre premier volume, ÉTUDES ESTHÉTIQUES, comprend deux parties :
1° DOCTRINES. Ce sont les écrits théoriques publiés par Delacroix et formant un corps de doctrines où la pensée du maître se révèle sous une forme moins pénétrante et familière, mais peut-être plus cohérente, que dans son fameux Journal. Nous les plaçons en tête du recueil, parce que leur ensemble constitue comme une introduction indispensable à lexposition de ses idées sur lArt et sur les Artistes dont il a écrit la vie et analysé les uvres. Nous avons adopté, pour ces Études, lordre chronologique de leur publication.
2° IMPRESSIONS ET MÉDITATIONS. Cette partie de louvrage se compose des notes, réflexions, projets de toute sorte jetés au hasard par Delacroix sur les carnets ou feuilles volantes dont nous avons déjà parlé. Nous avons aussi modifié dans le sens indiqué plus haut, en groupant ces écrits par familles didées, lordre adopté par Piron. Ils forment un complément indispensable à la première partie, si lon veut entrer plus profondément dans la pensée intime de Delacroix. Nous avons renvoyé à lAppendice une note reproduite à la page 397 du volume de Piron, parce quelle nous semble navoir constitué quune ébauche primitive de larticle Question sur le Beau.
Dans un second volume Essai sur les artistes célèbres, nous avons rassemblé les travaux publiés par Delacroix sur ses maîtres et modèles de prédilection, où on regrettera toujours de ne pas voir figurer Véronèse, Rubens, Rembrandt dont il parle, dans son Journal, si fréquemment et avec tant de ferveur.
Nous souhaitons que cet ouvrage révèle au grand public un aspect peu connu dEugène Delacroix ce haut seigneur de la pensée, moins habitué à manier la plume que la brosse et paraissant ainsi un peu guindé, un peu convenu, un peu gêné aux entournures, mais pénétré de la mesure classique quil aimait. Peut-être objectera-t-on quil lobservait moins aisément quand il était aux prises avec sa forme dexpression la plus naturelle et quil brisait tous les cadres et disloquait tous les systèmes sous la poussée impétueuse des mouvements du cur et des flammes du cerveau pour précipiter son drame intérieur dans lépopée lyrique la plus haute de la peinture. Ce nest point sûr, et ce serait à discuter. Mais ce nest pas précisément le peintre qui nous intéresse ici.
Comme tous les héros, Delacroix est un inconnu. Il est, disait Degas, « le meilleur marché des grands peintres ». On prononce son nom avec déférence, certes, mais sans chaleur. On parle de son uvre avec respect, sans doute, mais sans réelle intelligence. On nose pas, à son propos, articuler le mot « littérature », mais on y songe. Comme il résiste aux modes, il nest jamais à la mode. Il reste solitaire, très secret, distant, avec sa haute cravate, ses mains nerveuses et son visage de lion. Ce nest pas seulement un grand bourgeois, comme Ingres. Ce nest pas simplement un grand peintre, comme Courbet. Cest un grand homme. Et un grand homme, cest gênant. Ça vit dans des contrées étranges, où la forme devient un symbole des forces intérieures qui président aux cadences de la volonté et au tumulte des passions. On ne sait .trop pourquoi, mais celui-ci semble à part, hors des temps, hors de la peinture, hors de cette école française, si grande et si méconnue, dont il est le représentant sinon le plus accompli, du moins le plus impressionnant par le génie et la puissance, et, comme leût dit Baudelaire, le seul « surnaturel ».
On ne sen aperçoit quimparfaitement dans ce livre où il ne se montre pas toujours lui-même, malgré ladmirable bon sens qui caractérise bien des pages. Il y parle de lui, certes, le plus souvent, même alors quil étudie les conditions générales du Beau dans un style trop convenu sous lequel, pour retrouver vraiment lhomme, il faut prêter à ses propos une attention trop respectueuse. Mais ses pensées sur la peinture sont, et ne peuvent être quune merveille de pénétration et de jugement. Et. quand il écrit, au hasard de linspiration, des notes quil ne savait pas destinées à voir le jour, on le retrouve tel quon le connaît dès quil est aux prises avec la toile ou le mur à décorer, plein dingénuité, de fermeté et déquilibre dans la réalisation de ses idées, mais mêlant, dans lunité vivante et mystérieuse du poème, le fatalisme profond des grandes âmes, le scepticisme universel des grandes intelligences, la foi invulnérable des grands curs. Ses méditations sur lanalogie universelle, lordre, la gloire, le progrès, la liberté, légalité, font penser quelquefois à Nietzsche et bien souvent à Pascal.
Ce livre, parfois si beau, nest évidemment pas indispensable à laccroissement de la gloire de celui qui y écrit: « Lamour de la gloire est un instinct sublime qui nest donné quà ceux qui sont dignes dobtenir la gloire. » Mais il doit contribuer à installer cette gloire en des régions plus accessibles et à ramener parmi nous une âme grandiose dont luvre paraît plus lointaine à la plupart des hommes à mesure que quelques-uns dentre eux tentent de se rapprocher de son véritable sens.
Élie Faure
Notes:
Note 1: E. Plon et Nourrit, 1893, 3 vol. in-8°. Note 2: Quantin, 1878. 1 vol. gd in-8°. Note 3: Fasquelle, 1880, 2 vol. in-12. Note 4: Eugène Delacroix, Sa Vie et ses uvres. Imp. Jules Claye, 1865, 1 vol. In-8°. Note 5: Ces trois écrits ont été rejetés à lAppendice (vol. I et Il).
Dernière mise à jour de cette page le Lundi 17 novembre 2003 10:44 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
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