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Introduction à la philosophie
Avant-propos
de la collection Logos
La Collection Logos dont nous présentons aujourd’hui le premier volume au public comprendra un ensemble de traités destinés à former une Introduction générale aux études philosophiques. Elle cherche à satisfaire un besoin qui est vivement ressenti aujourd’hui par un grand nombre d’esprits. En France, la philosophie est à la fois une matière d’enseignement et un objet de méditation pour l’honnête homme. Nous avons une classe de philosophie dans les lycées, ce qui montre assez clairement qu’il n’y a point pour nous de véritable culture si, au delà de toutes les disciplines spéciales, la réflexion ne vient pas s’appliquer aux lois de la pensée, aux principes de la conduite, à la vie profonde de l’homme pour en scruter la signification et la valeur : et la plupart d’entre nous, même s’ils ont été retenus ensuite par d’autres soins, ont gardé le souvenir le plus vif de cette année d’études, soit par ce qu’elle leur apportait, soit par ce qu’elle leur promettait. On ne peut mettre en doute que dans notre pays qui est non seulement celui de Descartes, mais aussi celui des moralistes, chacun ne considère comme l’idéal suprême de l’existence d’acquérir la conscience la plus lucide de lui-même et de sa place dans le monde, de réduire toutes ses opinions à des idées claires et distinctes, de ne jamais consentir à affirmer ou agir que pour de bonnes raisons valables pour lui et pour tous, de s’enquérir toujours du fondement dernier de sa connaissance ou de son action : ce qui est proprement ce que l’on appelle philosophie, au sens le plus noble et le plus fort que nous puissions donner à ce mot.
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Ce privilège de la philosophie dans l’enseignement, ce goût que les hommes cultivés ont toujours gardé pour elle et enfin cette incontestable renaissance de curiosité et d’intérêt qu’elle a suscitée dans tous les esprits depuis la dernière guerre, font mieux apparaître l’absence de ces instruments d’information et de travail qui serviraient d’introduction aux études philosophiques et que la Collection Logos a entrepris de réaliser. Les traités de la Collection Logos, comme les traités qui, dans les différentes disciplines scientifiques, embrassent l’ensemble du savoir acquis et montrent comment les problèmes se posent aujourd’hui, fourniront à la réflexion personnelle une base et un point de départ : ils chercheront à être à la fois des mines de matériaux et des sources de suggestions.
Mais si, comme on l’a fait remarquer, l’enseignement philosophique ne comporte pas de degrés, il faut, dès qu’il commence et sous peine de s’anéantir, qu’il nous mette en face des questions les plus hautes et qu’il nous oblige à mesurer leurs conséquences les plus lointaines. Aussi espérons-nous que tous ces ouvrages pourront être utiles également à l’enseignement secondaire, où on a gardé la conscience la plus claire qu’il n’y a de pensée philosophique que celle qui apprend sans cesse à s’enrichir et à se dépasser, à l’enseignement supérieur, où l’on se plaint si souvent de n’avoir pas sous la main une documentation assez étendue et assez sûre, ni des exposés d’ensemble assez amples et assez rigoureux et qui puissent servir de guides autorisés dans les travaux originaux de la recherche, au public désintéressé enfin qui aime la philosophie, et qui n’a le choix presque toujours qu’entre les œuvres des grands penseurs dont l’accès lui est parfois difficile et des résumés destinés à la vulgarisation, qui le déçoivent et lui offrent peu de secours.
Les traités de la Collection Logos ne veulent être que des ouvrages d’initiation. Nulle part le mot d’initiation ne trouve mieux sa place qu’en philosophie et la philosophie tout entière est une initiation à la vie de l’esprit. Mais la réflexion philosophique est elle-même héritière d’un long passé : elle possède des méthodes, elle utilise des formes de langage, elle est en présence de doctrines [vii] qui se sont fixées peu à peu au cours du temps, auxquelles notre pensée ne peut manquer de faire appel et qui ne cessent aujourd’hui encore de la soutenir et de la nourrir. Faute de les connaître et de pouvoir en disposer, beaucoup d’esprits qui se sentent attirés par la philosophie craignent de s’y aventurer de peur de témoigner trop vite de leur inexpérience ou de leur maladresse. La Collection Logos offrira une vue synthétique des résultats que la pensée philosophique a obtenus dans les différents domaines auxquels elle s’applique ; elle montrera comment les problèmes nés avec la conscience humaine dès qu’elle a commencé à s’interroger sur elle-même se sont renouvelés, enrichis, compliqués par degrés, et comment ils expriment aujourd’hui encore les exigences les plus profondes de la pensée vivante. A côté d’un texte continu où l’on trouvera à la fois tout ce qu’il est nécessaire de savoir pour comprendre l’origine et la signification de la réflexion philosophique, des questions qu’elle s’est posées, des solutions qu’elle leur a déjà données, des progrès qu’elle a encore à réaliser et des voies nouvelles dans lesquelles elle ne cesse toujours de s’engager on trouvera en plus petits caractères, au bas des pages ou à la fin de chaque chapitre, des observations sur le sens de certains mots, des rapprochements entre certaines formes de pensée, des conseils sur les méthodes de recherche, enfin des notices bibliographiques, non pas exhaustives, mais explicatives et justificatives.
Le plan de la Collection Logos devait embrasser toute la matière de la pensée philosophique. On ne pouvait songer à distribuer une matière si riche sans tenir compte à la fois des divisions classiques qui se sont fixées peu à peu dans les traditions et dans l’enseignement et de certains objets privilégiés auxquels s’applique la pensée contemporaine et qui obligent les anciens cadres à s’élargir. Sans entreprendre une classification absolument nouvelle des disciplines proprement philosophiques, qui impliquerait elle-même l’édification d’un système personnel, ce qui ne pouvait point être notre but, mais en respectant à la fois les acquisitions de l’expérience et les exigences intellectuelles de notre temps, nous avons pensé que la meilleure manière de répondre aux besoins des étudiants, [viii] à ceux des chercheurs et à la curiosité du grand public, c’était de faire de chacun des volumes un tout capable de se suffire, c’est-à-dire embrassant un domaine à la fois aussi vaste et aussi nettement circonscrit qu’il se pouvait. Le programme de la collection comprendra donc, après une Introduction à la philosophie écrite pour faciliter l’accès de tous les problèmes philosophiques, une Histoire de la philosophie qui nous montrera les solutions qui en ont été données par les plus grands penseurs, un Vocabulaire philosophique qui nous enseignera le langage dont ils se sont servis et l’usage que nous en faisons encore aujourd’hui. Viendront ensuite les traités spéciaux : deux d’entre eux seront consacrés à la psychologie, le traité de Psychologie générale, à la conscience normale et le traité de Psychologie pathologique et comparée à ses formes primitives ou aberrantes. Puis, afin de marquer l’importance que reçoivent de nos jours les discussions qui portent sur les procédés et la signification du savoir scientifique, nous avons prévu deux traités où seront étudiés tous les problèmes que l’on confond sous le nom de problèmes logiques : un Traité de Logique générale et un Traité de Méthodologie des sciences. Dans un Traité des Valeurs nous essaierons d’embrasser pour la première fois toute l’étendue de cet immense problème que la philosophie d’aujourd’hui place au premier plan de ses préoccupations. La collection comprendra encore un Traité d’Esthétique où l’on cherchera comment la nature retrouve pour l’esprit ce visage sensible que la science lui avait retiré et que l’art ne cesse de recréer, un Traité de Morale où l’on montrera à l’œuvre l’activité de l’esprit dans l’organisation de la conduite, un Traité de Pédagogie générale qui en déterminera les applications concrètes dans la formation des autres êtres ou de soi-même, un Traité de Sociologie qui étudiera le milieu humain où cette conduite se déploie, et qu’elle ne cesse tout à la fois de subir et de transformer, un Traité de Métaphysique enfin qui, au lieu d’abandonner le domaine où se poursuivaient les recherches précédentes, montrera dans l’expérience que l’esprit prend de lui-même leur source et leur confluent.
Les philosophes auxquels nous nous sommes adressé pour leur [ix] confier la rédaction de ces différents traités sont ceux qui par leur compétence et l’autorité qu’ils ont déjà acquise nous ont paru les plus aptes à dominer l’horizon de chaque discipline, à définir son état actuel et les tendances différentes qui viennent s’y croiser, à être pour les lecteurs les guides les mieux informés et les plus sûrs. Nous les remercions de la collaboration qu’ils ont accepté de nous donner, du dévouement avec lequel ils ont consenti à coordonner leurs efforts en sacrifiant momentanément les préoccupations de la recherche à celles de la synthèse et les travaux de leur choix à l’utilité commune. Ils ne sont réunis entre eux par aucune parenté d’école. Mais la pensée philosophique a ce caractère distinctif qu’elle engage l’homme tout entier. Chacun de ces traités est donc l’œuvre d’un philosophe auquel nous ne pouvions pas demander de renoncer à sa propre doctrine, mais d’exposer, à travers la vision qui lui est propre, tous les grands problèmes de la philosophie, tels qu’ils se posent pour lui. C’était le seul moyen de donner à chacun de ces problèmes son relief le plus haut, de montrer la vie intérieure dont il est encore chargé.
Ainsi nous pensons éviter le risque que courent souvent les manuels de stériliser l’exposé de toutes les questions dans une objectivité morte où elles deviennent semblables à des pièces de musée. Le péril en philosophie est plus grand que partout ailleurs. Mais la pensée la plus forte ne connaît ni exclusion ni parti pris ; c’est elle qui possède aussi la puissance de compréhension la plus large et la plus profonde. Les traités que nous présentons aujourd’hui au public portent en eux tous les caractères qui sont inséparables de la recherche philosophique elle-même : qui est une par son esprit et infiniment variée par les objets auxquels elle s’applique ; qui est l’œuvre de tous les hommes et reçoit en chacun d’eux une forme originale et la marque de son génie propre ; qui s’est formée peu à peu au cours du temps et qui ne nous intéresse que par la manière dont elle peut répondre aux exigences du nôtre. Ils n’ont été conçus et entrepris que pour servir la philosophie ; ils ont l’ambition de donner à tous ceux qui la cultivent ou qui l’aiment une voie d’accès et un fil conducteur, une vue synoptique et un [x] tour d’horizon. Ils n’ont pas d’autre but que de rassembler pour cela d’une manière sûre et méthodique tous les documents qui permettent de comprendre aujourd’hui l’état des problèmes philosophiques, d’orienter les recherches et de les promouvoir.
A aucune époque plus qu’à la nôtre, qui a vu se produire à la fois un extraordinaire renouvellement de notre édifice scientifique et un paradoxal ébranlement de toutes les valeurs spirituelles, cette sorte d’inventaire des acquisitions ou des requêtes de la réflexion philosophique, n’avait paru plus opportun ou même plus urgent : on y cherchera un témoignage de notre temps, mais qui, comme tous les témoignages de la pensée, doit dépasser le temps même où il se produit. Nous espérons que la Collection Logos, en répondant à l’attente et aux besoins des étudiants et du public cultivé, contribuera à cette renaissance de la pensée philosophique dont nous voyons tant de signes autour de nous et qui seul peut permettre à l’humanité de prendre conscience de son propre destin et d’en assumer toute la responsabilité.
Louis LAVELLE.
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