La destinée personnelle

Avant-propos

Il ne nous est pas donné de vivre une première vie, à l’essai, pour apprendre comment vivre. Pour chacun de nous l’apprentissage de l’existence se confond avec l’existence ; n’importe quel acte est sérieux : bien ou mal fait, il développera ses conséquences dans le monde et en nous. On ne vit pas entre parenthèses. Jouer sur une scène est encore une manière de vivre. Mais, au cours de cette vie-ci, la seule vie, la vie réelle, il se tisse peu à peu une trame, issue à la fois de l’épreuve sentie de notre vie et de notre réflexion sur elle : cette trame, solide et mobile, est, sous sa forme la plus individualisée et la plus riche, notre conscience même, nous-même. Elle est composée de souvenirs, affectifs et intellectuels, et de normes : peu à peu s’en dégage un idéal de vie.

Le plus souvent cet idéal de vie reste incertain et fragile : on s’interroge sur lui quelques minutes, puis on recommence à vivre à l’aveuglette. C’est oublier la philosophie si la connaissance de l’homme et la détermination de sa conduite se composent pour constituer son objet essentiel. Nous devons donc nous demander s’il est possible à la réflexion [6] philosophique de dégager, sans méconnaître la diversité innombrable et admirable des personnes, les traits universels d’une vie digne d’être vécue, d’une vie qui ne fasse pas le vivant victime d’un destin, mais lui permette de triompher dans l’accomplissement de sa destination, une vie telle qu’il y trouve la satisfaction de vivre ainsi et la justification de son existence. C’est parce que nous le pensons que nous avons tenté cette esquisse, en y faisant avec le secours de la caractérologie tout le possible pour nous rapprocher éventuellement de l’individualité de chaque histoire personnelle. Si cette description peut, en une époque où trop souvent la conscience de sentir est pervertie par la dépression, la détresse, le dégoût et la conscience d’agir se complaît dans la brutalité, favoriser dans l’esprit d’un seul lecteur la joie d’avoir reçu la condition humaine et y fortifier la confiance dans la valeur de la réalité et de la bonne volonté, l’auteur y aura lui-même trouvé la destination de son effort.