RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

À propos de L'HISTOIRE NATIONALE. (1998)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Robert Comeau et Bernard Dionne, À propos de L'HISTOIRE NATIONALE. Montréal: Les Éditions Septentrion, 1998, 160 pp. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation accordée par l'auteur le 4 novembre 2010 de publier tous ses écrits publiés il y a plus de trois ans dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

INTRODUCTION



Ce n'est pas par hasard qu'un des seuls colloques de l'ACFAS sur l'histoire ait porté, en 1998, sur l'histoire nationale et sur les rapports parfois ambigus qu'entretiennent à son égard les historiens. Cette réflexion collective, organisée par l'Association québécoise d'histoire politique (AQHP), n'est certainement pas étrangère au contexte politique contemporain. D'une certaine manière, en effet, ne sommes-nous pas en train d'évaluer les conséquences du référendum de 1995 sur la souveraineté du Québec ? La mobilisation du milieu professionnel des historiens et le rapport du Groupe de travail sur l'enseignement de l'histoire (1996) n'ont-ils pas produit des travaux qui ont entraîné une révision en profondeur de l'enseignement de l'histoire au niveau secondaire au Québec ? Et, last but not least, plusieurs ouvrages ainsi que de nombreux articles portant sur l'histoire nationale et sur son écriture (Bouchard et Lamonde, 1997 ; Bourque et Duchastel, 1996 ; Rudin, 1998 ; Frenette, 1998 ; Granatstein, 1998) n'ont-ils pas enrichi la discussion publique et scientifique à ce sujet ? Il était temps de faire le point sur l'histoire nationale et la publication rapide des actes de ce colloque, au risque de n'avoir pu publier quelques contributions, s'inscrit dans la perspective de participer à ce débat actuel.

Ces contributions cherchent à répondre aux interrogations suivantes :

1. Comment les historiens définissent-ils aujourd'hui cet objet d'étude qui est source de beaucoup de controverses dans le milieu de l'enseignement ? Toute synthèse historique est-elle nécessairement une histoire nationale parce qu'abordant toutes les dimensions de la vie en société (économiques, politiques, culturelles, sociales, etc.) ou bien appelle-t-on « histoire nationale » ces travaux spécifiques qui s'intéressent à la construction des États nationaux et aux problèmes des rapports entre peuples, nations et États ? Bref, l'histoire nationale est-elle cette histoire touche-à-tout ou une histoire spécialisée et spécifique ?

L’histoire nationale renvoie nécessairement à l'identité et elle adopte une perspective englobante, mais son caractère parfois officiel fait un devoir de vigilance aux historiens, signale opportunément Gérard Bouchard. Jean-Paul Bernard, de son côté, rappelle le débat épistémologique qui opposa les historiens (plus « concrets ») aux sociologues (davantage « abstraits ») au temps [10] de Charles Seignobos, pour mieux cerner les paramètres d'une histoire nationale renouvelée. Ce qui continue de poser problème aux yeux de Micheline Dumont qui voit triompher, depuis le XIX, siècle, une conception masculine du politique et de la citoyenneté, donc de l'identité, posant ainsi les limites d'une histoire nationale marquée par le genre.

2. Le cadre national est-il encore pertinent à l'heure de la mondialisation ? Est-il apte à rendre compte des nouveaux phénomènes liés à l'unification économique et à la création des grands ensembles ? Par exemple, au lieu d'aborder l'histoire par pays, que penser d'une histoire européenne ou d'une histoire couvrant en bloc l'ensemble des pays des Amériques ? Quelle place accorder à la comparaison qui permet de saisir les similitudes dans les processus liés à la question nationale ainsi que les spécificités des cheminements particuliers ? À l'heure où l'historien de Concordia, Ronald Rudin [1], reproche à la génération des historiens formés au cours de la Révolution tranquille, trop préoccupés selon lui à démontrer à tout prix la modernité du Québec, de négliger les traits particuliers du Québec, n'est-il pas temps de rétablir l'équilibre entre la spécificité et l'universalité de l'expérience québécoise ?

Gilles Bourque pose la question d'entrée de leu : « Pourquoi l'histoire nationale ? » Retournant aux sources de la modernité et du discours national, il se demande si notre époque n'appelle pas une nécessaire réécriture de l'histoire nationale sous la forme d'une histoire « supranationale » attentive à toutes les relations qui s'inscrivent dans un espace mondial qui possède sa propre logique. Certes, note Bourque, l'histoire nationale demeure utile pour peu qu'elle s'ouvre à toute la réalité sociale et culturelle et pas seulement à l'évolution du seul État-nation et, par conséquent, qu'elle sorte du paradigme suranné d'une histoire « jacobine » centrée sur l'évolution de l'État. Déjà, les travaux de Gérard Bouchard, d'Yvan Lamonde et de leurs collègues, réunis dans La nation dans tous ses états (1997), ont avancé la nécessité de l'histoire comparative du Québec avec les pays d'Amérique latine, avec l'Irlande, la Pologne, la Belgique, la Catalogne, sans oublier le Canada anglais. Les rapports colonie-métropole et l'évolution qui passe de la nation ethnique à la nation civique sont maintenant au cœur des recherches comparatives sur le fait national (Bouchard, 1997a : 345-347).

[11]

3. Une histoire nationale qui comporte une dimension d'éducation civique peut-elle être neutre et doit-elle l'être ? Quels rapports entre les enjeux spécifiques et les enjeux civiques ? A-t-on besoin d'une « histoire nationale » ?

Ici, les apports de Brian Young [2], Lucia Ferretti, Robert Martineau et Gérard Bouchard ne manqueront pas d'alimenter le débat et la réflexion sur un sujet délicat. Si, pour Martineau, l'histoire permet d'acquérir les bases de l'alphabétisation sociale et de former des citoyens éclairés, Young déplace le focus des relations du citoyen avec l'État, implicites dans la conception précédente, aux relations des citoyens entre eux, en vertu d'un courant que l'on pourrait nommer « civics in the streets ». Young en a cependant appelé à la formation d'un Conseil national de l'histoire au Québec. Lucia Ferretti évoque le National History Standard Project de 1992 aux États-Unis pour lequel l'histoire est à la fois la clé de l'identité personnelle, la précondition de la formation d'un citoyen démocrate et l'occasion de développer une compréhension différente du monde qui nous entoure. Gérard Bouchard, enfin, distingue quatre fonctions de l'histoire nationale, identitaire, civique, socioculturelle et érudite, et appelle à une réécriture de celle-ci en tenant compte de tous les groupes qui ont vécu dans l'espace québécois, ce qu'il nomme histoire inclusive de la diversité, plutôt qu'histoire exclusive de l'homogénéité. Il rejoint en cela les propos de Bourque qui récuse l'histoire ethniciste.

4. Une histoire nationale peut-elle intégrer les apports importants de l'histoire sociale, comme les travaux sur la condition des femmes, des ouvriers, des immigrants, des communautés culturelles, des minorités nationales, ethniques ou sexuelles ou des peuples autochtones ?

« Oui », répond Gérard Bouchard, « difficilement, mais nécessairement » ajoute Micheline Dumont, qui trace les jalons d'une relation amour haine entre l'histoire nationale et l'histoire des femmes. Jean-Paul Bernard, quant à lui, décèle un retour d'une histoire nationale renouvelée, qui laisse la place aux acquis de l'histoire sociale, sans perdre de vue la nécessité d'une étude globale de tous les phénomènes sociaux. Brian Young ne réclame-t-il pas que l'on mette les conflits sociaux, culturels, de classes, etc., au cœur même de toute histoire nationale ? Ces contributions seront appréciées à la lumière, notamment, des travaux de Denise Helly (1997 :311-336) et de José Igartua (1997 : 271-296) sur l'évolution des représentations de l'identité et le rôle des élites dans la formulation de celle-ci.

[12]

5. En ce qui concerne l'histoire du Canada et du Québec, peut-on constater l'existence d'une, de deux ou de plusieurs histoires nationales ? En quoi l'historien est-il confronté à des problèmes spécifiques liés au contexte politique ? Quelles attitudes l'historien doit-il avoir face à ces controverses où les rapports passé/présent sont en leu ?

Tout ce débat pose la question des rapports qu'entretiennent les historiens à leur société, question qui n'a été qu'esquissée lors du colloque de l'ACFAS. On connaît, par exemple, la position d'un J. L. Granatstein (1998 : 142 et ss) qui réclame l'imposition de standards nationaux canadiens pour l'enseignement de l'histoire au Canada, toutes provinces confondues : « We have a nation to save (149) », s'écrie-t-il, dans la foulée de Michael Bliss (1991-1992 : 5-17). Ronald Rudin [3], pour sa part, note que les historiens québécois participent peu aux débats publics, contrairement à ce que l'on voit en France, aux États-Unis et au Canada anglais, parce qu'ici « les historiens révisionnistes ont déployé de grands efforts pour se donner une allure de neutralité et pour se tenir "au-dessus" du débat politique (1998 : 182) ». Pourtant, Gérard Bouchard conclut son appel à une réécriture de l'histoire nationale par un défi qu'il lance aux historiens à la fois en tant que scientifiques et en tant que citoyens et intellectuels.

Ronald Rudin a souligné le caractère novateur d'un cours d'histoire du Québec (et non du Canada français ou du Canada) introduit par René Durocher à l'Université de Montréal en 1967, ce qui rompait avec la tradition et ouvrait la perspective d'une histoire nationale du Québec (1998). Gérard Bouchard établit la légitimité de cette histoire, tout en réclamant sa réécriture. Desmond Morton se demande si cette histoire n'appartient qu'à ceux et celles qui s'identifient comme Québécois... Et ceux qui s'identifient comme Canadiens ? L'enseignement de l'histoire nationale canadienne fait problème au Canada, comme l'a rappelé J.L. Granatstein (1998 : 76) récemment, qui voit une corrélation étroite entre la fragmentation actuelle du pays et l'abandon d'une véritable histoire nationale et politique dans les écoles canadiennes.

Ici, au Québec, le débat [4] entourant la sortie du rapport Lacoursière montre à l'évidence que cette question est loin d'être réglée. Le rapport Inchauspé (1997 : 13) pose ainsi le problème :

[13]

L'école doit aider ceux et celles qui grandissent dans une culture à y trouver leur identité, sinon ils trébucheront dans leur quête de significations. Cependant se fixer un tel objectif, c'est rendre incontournable la connaissance de l'histoire nationale. Or traiter actuellement au Québec, de façon juste, une telle question est un exercice des plus difficiles. La question nationale, prise dans son sens politique, nous divise, et sur toute question à connotation nationale, notre sensibilité est exacerbée [5].

Une histoire nationale du Québec est-elle possible, doit-elle être inclusive, est-elle condamnée à la surreprésentation du groupe francophone ? Des « standards nationaux » pour toutes les écoles du Québec doivent-ils être relégués au rang de chimère ? Et, bien entendu, l'histoire est-elle une science neutre et les historiens peuvent-ils demeurer à l'écart de la controversé [6] ? Le débat est ouvert et public, et nous croyons que les textes de ce recueil ouvrent des perspectives stimulantes pour le conduire (Bouchard, 1997a, 1997e ; Baril : 1997 : 5).

Robert Comeau, Université du Québec à Montréal

Bernard Dionne, collège Lionel-Groulx



[1] Outre le récent ouvrage de Rudin (1998), voir R. Rudin (1992 :30-61) et le dossier du Bulletin d'histoire politique (1996) avec des articles de R. Rudin, B. Young, R-A. Linteau, J. A. Dickinson, J.-M. Fecteau, Y. Gingras, G. Bourque et J.-R Bernard.

[2] Le texte de Brian Young a été traduit par Jean-Louis Laloy, directeur du Bureau de traduction de l'Université McGill.

[3] Le texte de Ronald Rudin a été traduit par Pierre R. Desrosiers.

[4] Voir le numéro du Bulletin d'histoire politique (1996) portant sur « L’enseignement de l'histoire au Québec » ; René Durocher et al. (1997 : B2) ; Danielle Nepveu (1996 : 10-11) ; J. Lavallée (1998).

[5] Et le rapport explique pourquoi il faut accorder une place plus grande à l'histoire (14).

[6] Comme le réclamait, contre Rudin, Yves Gingras (1996 : 39-43).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 26 mars 2012 19:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref