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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Robert Comeau, “Les grèves de 1946 et 1949 de l’Union des marins canadiens.” Un article publié dans le livre de Robert Comeau et Bernard Dionne, LE DROIT DE SE TAIRE. Histoire des communistes au Québec, de la Première Guerre mondiale à la Révolution tranquille, pp. 474-492. Montréal: VLB, Éditeur, 1989, 545 pp. Collection: Études québécoises. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation accordée par l'auteur le 4 novembre 2010 de publier tous ses écrits publiés il y a plus de trois ans dans Les Classiques des sciences sociales.]

[474]

Robert COMEAU

Les grèves de 1946
et 1949 de l’Union
des marins canadiens
.”


Un article publié dans le livre de Robert Comeau et Bernard Dionne, LE DROIT DE SE TAIRE. Histoire des communistes au Québec, de la Première Guerre mondiale à la Révolution tranquille, pp. 474-492. Montréal: VLB, Éditeur, 1989, 545 pp. Collection: Études québécoises. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec


La grève de 1946
L'offensive du printemps 1947
Division au sein du C.M.T.C.
La dernière grève de l’Union des marins canadiens
L'attitude du gouvernement canadien


Dans l'immédiat après-guerre, des grèves décisives furent menées au Canada, notamment chez Ford, à Windsor. À la suite de cette grève la « formule Rand » fut obtenue l'année suivante, chez Stelco à Hamilton et chez les marins des Grands Lacs à l'été 1946. Dans toutes ces grèves, les syndiqués communistes ont joué un rôle important. La présence de communistes notoires à la direction de certains syndicats, dont celui des marins, a fait reléguer au second plan le fait que ces grèves ont été l'expression d'un mécontentement populaire. Ces grandes victoires syndicales de 1946 ont été immédiatement suivies d'une vaste offensive anti-ouvrière sous le couvert d'une vigoureuse campagne anticommuniste. Les communistes durent faire face à une nette volonté patronale et gouvernementale d'enrayer leur influence dans les syndicats. C'est l'époque où la presse multiplie les attaques contre les dirigeants ouvriers supposément, « déloyaux ». Par exemple, le Financial Post du 2 août 1947 demande au gouvernement de « faire le nettoyage » dans les syndicats suivants :


Les Ouvriers unis de l'électricité (C.C.T.-C.O.I.) ;
Les Ouvriers unis de l'automobile (C.C.T.-C.O.I.) ;
Les Ouvriers unis de la fourrure et du cuir (C.C.T.-C.O.I.) ; Les Ouvriers unis des mines et fonderies (C.C.T.-C.O.I.) ; La Fédération de la Colombie canadienne des ouvriers des chantiers maritimes (C.C.T.) ;
Les Ouvriers unis du bois d'Amérique (C.C.T.-C.O.I.) ;

[475]

Les Ouvriers unis des bureaux (C.O.I.) ;
L'Union des marins canadiens ;
Les Ouvriers unis du textile d'Amérique (C.M.T.-F.A.T.) ; L'Union des pêcheurs canadiens (C.M.T.) ;
Les Pêcheurs unis et unions affiliées (C.M.T.-F.A.T.).


À un patron qui s'inquiétait d'être forcé de négocier avec un syndicat communiste au moment même où le gouvernement et les milieux d'affaires s'entendaient pour dénoncer le danger du communisme et qui demandait à Lester B. Pearson, alors ministre canadien des Affaires étrangères de résoudre ce paradoxe, Pearson répondait :


You may be assured that my colleagues and I are concerned about this situation and that we are watching with care the development of the effort which is now being made within Canadian trade union circles to get rid of Communist domination and influence [1].


Toute la campagne de presse qui se déchaîna au cours de l'année 1946 ouvrit la voie aux purges anticommunistes dans les syndicats canadiens et québécois de 1947 à 1953 particulièrement. Il faut d'abord signaler que le Parti ouvrier-progressiste s'était résolument impliqué dans un grand nombre de grèves en 1946, comme celle des bûcherons de Colombie britannique, et celle des travailleurs et travailleuses du textile à Valleyfield et à Montréal. C'est dans ce contexte que s'inscrit la grève des marins des Grands Lacs qui donna lieu à plusieurs affrontements violents de mai à septembre 1946 [2].

[476]

L'Union des marins canadiens (U.M.C.) fut une cible privilégiée : non seulement eut-elle à affronter l'alliance patronale-gouvernementale, mais également un establishment syndical très préoccupé par la présence sur son flanc gauche de rouges encombrants.

L'Union des marins canadiens ne s'était jamais bien entendue avec la Fédération américaine du travail. En 1937, lorsque les fondateurs communistes de l'Union des marins décidèrent de s'affilier au C.M.T.C. et à la F.A.T. en vue d'exercer leur influence au sein de la plus importante centrale syndicale, ils se trouvèrent au centre d'un conflit opposant deux syndicats de marins : le National Maritime Union (N.M.U.), un syndicat du Congrès des organisations industrielles et l'International Seamen's Union, organisation plutôt déclinante de la F.A.T.

Voulant profiter de la respectabilité de la F.A.T. et du C.M.T.C., ils se trouvèrent officiellement du côté de l'International Seamen's Union, mais ils établirent de fait des liens officieux mais très étroits avec le N.M.U. communiste. Lorsque les dirigeants de la F.A.T. remplacèrent l'inefficace I.S.U. par le Seafarer's International Union (S.I.U.) pour mieux lutter contre le N.M.U., l'U.M.C. refusa de livrer ce combat. Jusqu'en 1944, l'affiliation paradoxale de l'Union des marins canadiens à la F.A.T. l'obligea à rester neutre dans la guerre opposant aux États-Unis la F.A.T. au N.M.U. L'U.M.C. recevra beaucoup d'aide de la N.M.U. Après 1944, année où l'U.M.C. cessa de s'affilier à la F.A.T. (tout en restant affilié au C.M.T.C. jusqu'à son exclusion en 1949) le Searchlight, journal du syndicat des marins canadiens, prend ouvertement parti pour ce syndicat progressiste et contre la F.A.T. Devant le refus opiniâtre des dirigeants canadiens de l'U.M.C. de rompre ses liens avec le syndicat progressiste américain, les dirigeants américains de la F.A.T. et du S.I.U. décidèrent d'abattre le syndicat des marins canadiens.

L'année 1944 marque donc le début de l'offensive de la F.A.T. contre l'U.M.C. En septembre 1944, l'U.M.C. rompt son affiliation officielle avec le S.I.U. qui n'était pas encore implanté au Canada. Le S.I.U. se posa en concurrent direct de l'U.M.C. en sol canadien. Le S.I.U. avait voulu obliger l'U.M.C. à combattre tous les communistes au sein de l'Union et à combattre les partis communistes du continent. De plus, la F.A.T. fit pression [477] sur le C.M.T.C. pour que les affiliés au S.I.U. soient les seuls marins syndiques reconnus au Canada, alors que les marins canadiens étaient massivement syndiqués à l'Union des marins canadiens.

Le président du C.M.T.C., Percy Bengough, s'éleva contre cette ingérence américaine [3]. Au congrès du C.M.T.C. de 1946, tenu à Hamilton, tout l'exécutif demandera à la F.A.T. de faire cesser les agissements des dirigeants canadiens du S.I.U. Pendant la guerre, l'U.M.C. a réussi assez bien à maintenir le nouveau venu dans l'inactivité jusqu'à l'arrivée de Hall Banks au Canada, en 1946. Ce dernier se verra confier tous les pouvoirs et moyens financiers pour mettre sur pied la S.I.U. Les dirigeants corrompus de la S.I.U. collaboreront ouvertement avec les armateurs au nom de la « légitime chasse aux communistes ». Hal Banks, un escroc notoire, de collusion avec le Parti libéral canadien, réussira à éliminer le syndicat communiste canadien. L'histoire de cette relation fut plutôt embarrassante pour le Parti libéral [4].

À l'arrivée de Banks, les marins canadiens s'étaient déjà syndiqués à 100% au sein de l'U.M.C. sur la côte est et à 90% sur les Grands Lacs. De plus, le bureau de conciliation du ministère du Travail avait accordé à l'U.M.C., en avril 1940, la reconnaissance syndicale pour les marins des Grands Lacs. Il avait demandé aux diverses compagnies de reconnaître l'U.M.C. comme « seul agent de discussion collective ». En retour, jusqu'à la fin de la guerre, l'U.M.C. collabora entièrement avec le gouvernement dans son effort de guerre. « L'union » canadienne put ainsi élargir ses rangs en organisant en 1942 les marins des navires-citernes et, en 1943, en syndiquant les marins de tous les navires de haute mer et ceux de la côte ouest. L'U.M.C. réussit même la fusion avec d'autres syndicats de la Nouvelle-Écosse et de la côte du Pacifique. Le développement de la marine marchande canadienne permit d'accroître ses effectifs : de 3 400 membres en 1942, il passait à 9 400 en 1945 [5].

[478]

Photo 32.

Arrestation d'un gréviste (1949). Archives François Touchette.



[479]

Avec la fin de la guerre, les demandes de l'U.M.C. se font plus pressantes pour exiger du gouvernement canadien le maintien de la marine marchande. On s'inquiète de ce qui adviendra du transport maritime et du chômage qui s'annonce. Mackenzie King et C.D. Howe ne voyaient pas la nécessité d'une marine marchande canadienne, préférant laisser la place aux navires étrangers, principalement américains. Entre 1943 et 1949, les navires furent remis à l'entreprise privée, d'autres détruits. C'est ainsi que des 173 navires de haute mer que comptait la marine marchande canadienne en 1945, il n'en restait plus que 145 en 1949, et 77 en 1952. Non seulement cette demande d'une marine canadienne n'entrait pas dans les vues du gouvernement libéral mais les armateurs n'y trouvaient aucun intérêt : ils pouvaient obtenir plus facilement de la main-d'œuvre à bon marché pour des bateaux non canadiens et pouvaient échapper aux mesures de sécurité qui ne s'appliquaient qu'aux navires d'ici.

À son 6e congrès en mars 1946, l'U.M.C. exprime ses deux grands objectifs : la journée de huit heures et le salaire minimum de 50 cents l'heure. En mars et avril 1946, une grande campagne est faite pour populariser ces demandes : « Enterrons la semaine de 84 heures ! », « Non à la journée de 12 heures ! » Le 16 mai le Searchlight annonce les résultats d'un vote de grève pour obtenir la journée de 8 heures sur mer et sur les lacs. Cet objectif sera réduit par la suite à 48 heures sur mer et 40 heures amarré.

Devant le refus obstiné des compagnies maritimes, en particulier du « Big Three » (Canada Steamship Line, Sarnia Steamship Line et Colonial Steamship Line), et face aux tergiversations du ministre du Travail, Humphrey Mitchell, les marins déclenchent la grève le 24 mai 1946.


La grève de 1946

Dès le début, la violence fut présente. Les syndiqués durent affronter les policiers qui protégeaient les briseurs de grève en leur permettant de monter sur les navires. L'ampleur de la répression policière contribue à inscrire cette grève dans les annales syndicales canadiennes. Dès le début de la grève, 130 [480] marins de l'U.M.C. et 5 officiers sont emprisonnés. À la fin du mois d'août 1946, le nombre de marins emprisonnés était passé à 230. Ces arrestations avaient été effectuées lorsque les syndiqués tentaient de monter « illégalement » à bord des navires pour y déloger les briseurs de grève.

Après 28 jours de grève, certaines compagnies acceptaient d'accorder la journée de huit heures. Mais quelques semaines plus tard les trois plus importantes compagnies des Grands Lacs refusaient de respecter leur contrat. Le Searchlight exige qu'Ottawa surveille les armateurs et fasse respecter leur contrat. Le journal des syndiqués fait largement écho aux incidents de Cornwall qui se sont produits pendant la grève et qui constituaient une véritable provocation à l'endroit de l'U.M.C. Alors qu'un navire était immobilisé dans le canal, dans la nuit du 31 mai, un groupe de « briseurs de grève » du capitaine McMasters, financé par la Canada Steamship Lines, pillèrent restaurants et magasins de Cornwall pour discréditer les marins. Ils s'ensuivit des émeutes au cours desquelles 300 policiers de la R.C.M.P. durent quitter les lieux sous la pression des citoyens qui avaient endossé les revendications des syndiqués. L'organisation de McMasters qui continua à fournir des « briseurs de grève » fut constamment la cible du journal durant tout l'été.

Finalement, le 3 septembre, les trois compagnies acceptaient d'accorder des augmentations considérables. Elles se virent forcées d'accorder des contrats que l'U.M.C. qualifia de « la plus grande victoire syndicale maritime ». De fait, ce contrat accordait 20% d'augmentation sur les salaires, une vraie journée de huit heures avec système de trois équipes, le temps supplémentaire à 75 cents l'heure pour tous les grades, la sécurité syndicale, dix jours de vacances payés par saison et le droit d'ancienneté et de promotion. Selon John Stanton, « nothing like this had been heard of before in the industry. Shipping on the Lakes was emerging into the twentieth century [6].

Ces conquêtes acquises grâce à la solidarité et au militantisme de l'U.M.C. amèneront les armateurs à faire front commun avec le syndicat rival pour abattre le syndicat des marins canadiens.

[481]

Parallèlement à cette grève, une vaste campagne pour soutenir les marins et obtenir leur libération de prison se poursuivra durant l'été et l'automne. Parmi les accusés, on retrouve les dirigeants communistes : Harry Davis, président-intérimaire de l'U.M.C., Cyril Lenton, trésorier et Conrad Sauras, directeur de l'organisation à l'échelle pancanadienne. Ils furent accusés d'avoir transgressé le « Canada Shipping Act », loi caduque qui permettait d'emprisonner tous ceux qui s'introduisaient sur les bateaux sans la permission du capitaine. À Montréal, il y aura les procès de Dan Daniels, rédacteur au Searchlight, de J.P. Paradis et Robert Senécal. En novembre 1946, Cyril Lenton sera condamné à 3 mois d'emprisonnement et Conrad Sauras à 6 mois. En même temps, Duplessis obtenait la condamnation à 6 mois d'emprisonnement de Kent Rowley, directeur de l'Organisation des travailleurs unis du textile d'Amérique pour sa participation à la grève des 100 jours à Valleyfield. En décembre, plusieurs procès de marins se terminèrent par des acquittements. Tous ces procès sont, selon le journal Searchlight, à situer dans le mouvement général de répression anti-ouvrière. Le journal met, de plus en plus, les marins en garde contre l'anticommunisme, qui permet de diviser la classe ouvrière. Ce journal informe davantage sur l'ensemble du mouvement ouvrier canadien et américain que sur ses seules activités locales.


L'offensive du printemps 1947

Le 14 mars 1947, Pat Sullivan, fondateur de l'Union des marins canadiens démissionne avec fracas de son poste de secrétaire-trésorier du C.M.T.C. et de président de l'U.M.C. qu'il accuse d'être noyautée par les communistes. Dans une conférence de presse, il déclare que l'U.M.C. est contrôlé par le Parti communiste canadien et que la National Maritime Union des États-Unis finance l'U.M.C. dans le seul but d'en prendre la direction. Ce geste d'un ancien communiste survient au beau milieu de la campagne électorale qui a cours dans le comté de Montréal-Cartier où l'on doit trouver un successeur à Fred Rose. La nouvelle de la démission de Pat Sullivan fut largement [482] répandue auprès du public qui eut droit à la reproduction intégrale de sa déclaration. Sullivan y résume l'histoire de sa vie et les circonstances de son adhésion au Parti et tente de justifier sa volte-face. Les propos de Sullivan ajoutent de l'eau au moulin pour discréditer le P.O.P. déjà attaqué par une presse déchaînée.

À la suite de ce texte, la Presse Canadienne mentionne qu'une campagne visant à l'expulsion des communistes des postes responsables des unions ouvrières canadiennes semble en voie de formation, à la suite des révélations de J.A. « Pat » Sullivan sur les influences communistes dans le mouvement ouvrier [7].

Sullivan fonde un pseudo-syndicat rival, le Canadian Lake Seamen's Union (C.L.S.U.) qui ne sera pas reconnu bona fide par la Commission fédérale des relations ouvrières. En fait, Sullivan fournira des briseurs de grève aux compagnies qui lui en feront la demande. Sullivan travaille maintenant en étroite collaboration avec la Canada Steamship Lines et la R.C.M.P. Même le père Cousineau, jésuite et militant syndical catholique, avoue avoir sollicité des fonds auprès de Maurice Duplessis pour lutter contre les marins communistes en finançant des fiers-à-bras de Sullivan. La collusion entre le S.I.U. et Sullivan pour détruire l'U.M.C. sera démasquée par le nouveau président de l'U.M.C., Harry Davis à partir de septembre 1947.

Au printemps 1948, l'U.M.C. lance même un appel aux syndicats catholiques pour qu'ils cessent tout appui à Sullivan :


Dans l'intérêt du mouvement ouvrier et des syndicats eux-mêmes, les chefs de la Confédération générale des travailleurs catholiques doivent ordonner l'exclusion de la C.L.S.U. de Sullivan du conseil central des syndicats catholiques de Montréal. Autrement, ils pourront être accusés eux aussi d'appuyer des syndicats de compagnies [8].


[483]

Photo 33.

Sur la camionnette des grévistes, slogans du C.S.U.
contre la mainmise des gangsters et des unions américaines.

[484]


L'offensive patronale de 1947-1948

Après la grève de 1946, les compagnies maritimes voulaient se débarrasser de l'U.M.C. Elles tentent de la discréditer en lançant contre elle une campagne anticommuniste. Depuis 1947, la tactique des compagnies est de refuser de négocier avec l'U.M.C. et ce, malgré le fait que la loi la reconnaît comme seule représentante accréditée pour signer une entente avec elles. Dès l'été 1947, la C.L.S.U. de Sullivan congédiait des équipages avec l'aide de la police pour remplacer les marins syndiqués par des briseurs de grève [9]. Les difficultés à obtenir des contrats de la part des compagnies des Grands Lacs, en particulier la Canada Steamship Lines et la Compagnie Misener, s'accentuent. En septembre 47, ces deux compagnies acceptent de signer un contrat mais quelques semaines plus tard, elles réengagent d'autres briseurs de grève, violant ainsi leur entente : de 1947 à 1949, les compagnies utilisent une panoplie de moyens afin de marginaliser l'U.M.C. dont le total des membres dépassait les 12 000 cotisants. Le rapport du médiateur Wilson sera officiellement rejeté par Henry Davis le 28 mars, comme c'était son droit de le faire, et le syndicat indique son désir de poursuivre les négociations en vue d'arriver à une entente. Entre-temps, en mars, la Sharned and Colonial Steamship Limited signe une entente avec le S.I.U. Harry Davis de l'U.M.C. annonce alors qu'il va devoir prendre des procédures légales contre la compagnie [10]. Les membres de trois navires de la Colonial Steamship Limited, ancrés dans le port de Halifax, prennent un vote de grève pour protester contre les agissements similaires de leur compagnie. Le 31 mars, des représentants de l'U.M.C. négocient avec des représentants du ministère du Travail pour le renouvellement des contrats qui ont pris fin à l'automne précédent. Une entente est alors conclue pour que s'effectue le retour au travail des trois équipages en grève. Le représentant du ministère quitte alors la table de négociations pour aller aviser la compagnie de cette entente. A son retour, il annonce aux [485] représentants de l'U.M.C. que la compagnie a signé une entente avec le S.I.U. [11]. Face aux agissements illégaux des compagnies qui tentent de l'éliminer et devant la passivité du gouvernement qui refuse d'obliger les compagnies à respecter la loi, l'U.M.C. n'avait d'autre choix que de déclencher la grève générale le Ier avril 1949.


Division au sein du C.M.T.C.

En août 1948, le Congrès des métiers et du travail du Canada avait convoqué une conférence d'urgence pour soutenir la cause des marins. Frank Hall de la Brotherhood of Railway and Steamship's Clerks affilié à la F.A.T. prend la direction d'un mouvement de contestation pour dénoncer l'attitude trop conciliante du président Percy Bengough à l'endroit du communisme et de l'U.M.C.

Le C.M.T.C. maintient son appui à l'U.M.C. malgré l'opposition de Frank Hall [12]. En septembre 1948, après plusieurs manœuvres douteuses, Hall et son syndicat furent suspendus par l'exécutif du C.M.T.C. La suspension fut approuvée par une très forte majorité au congrès du C.M.T.C. tenu à Victoria le mois suivant. La suspension de Hall des rangs du C.M.T.C. posa le problème de l'autonomie de cette centrale face à la F.A.T. La F.A.T. allait-elle endosser cette décision7 La constitution du congrès avait été amendée de façon à ce qu'il conserve pleine autorité sur les syndicats canadiens et de façon à éviter qu'un syndicat affilié à la Fédération américaine puisse le court-circuiter. La F.A.T. dut s'incliner temporairement devant le geste d'autonomie du Congrès. Afin de préserver l'unité du congrès, Percy Bengough manœuvra de façon à ce que le syndicat de Hall puisse réintégrer les rangs du C.M.T.C., non sans avoir [486] été sévèrement blâmé. Les dirigeants de la F.A.T. n'apprécièrent pas du tout les résultats de la réunion de Victoria.

Dans une lettre du 8 février 1949, la F.A.T. s'en prend à l'exécutif du C.M.T.C. Elle brandit la menace ultime : si l'U.M.C. n'est pas expulsée du C.M.T.C., les 14 syndicats internationaux quitteront le C.M.T.C. Ses pressions se firent telles que Percy Bengough et ses collègues durent s'incliner ; la dernière carte que constituait le soutien du C.M.T.C. était en train d'être jouée. Bengough recommanda à l'Union des marins une extrême prudence. Aussi le déclenchement de la grève des navires de la côte Atlantique à la fin de mars 1949, et ce malgré le désaccord de l'exécutif du C.M.T.C., entraîna le retrait du soutien du Congrès des métiers et du travail du Canada.


La dernière grève de l’Union des marins canadiens

Tous les navires ancrés dans les ports canadiens de la côte est sont immobilisés dès le début de la grève, le 1er avril 1949. Elle implique 90 navires et 3 000 marins. Les compagnies obtiennent des injonctions pour obliger les équipages à abandonner leurs navires. La tactique des compagnies est alors de remplacer les grévistes expulsés des navires, sur décision des tribunaux, par des équipages du S.I.U., et de faire lever l'ancre pour les soustraire à l'action des piquets de grève. Les affrontements entre les membres de l'Union des marins canadiens d'une part et les gens du S.I.U. et la police d'autre part, seront violents durant tout le conflit qui s'étendit rapidement aux ports des Grands Lacs et de la côte du Pacifique.

Dans plusieurs cas, les marins travaillant à bord de navires ancrés dans des ports étrangers prennent un vote de grève et débraient sur le champ. Cela oblige les compagnies à envoyer par avion des briseurs de grève pour les remplacer. Or le coût de ce transport est élevé. Par conséquent, le 17 mai, le gouvernement fédéral annonce que le Navigation Act oblige les marins à ramener leur navire dans un port canadien avant de se mettre en grève. Dans certains cas, le gouvernement canadien fait même appel à des autorités étrangères pour chasser les grévistes [487] de leur navire et permettre aux briseurs de grève de ramener le navire au Canada.

  Malgré leur solidarité, les marins ne peuvent résister victo­rieusement à l'action concertée des compagnies, des tribunaux, de la police, du gouvernement et du S.I.U. Vers le milieu de la saison, la plupart des navires étaient en opération, enlevant toute efficacité à cette grève. Les défections dans les rangs de l'U.M.C. furent peu nombreuses. La grande majorité des syndiqués poursuivront la grève jusqu'au bout, même après l'expulsion du syndicat des rangs du C.M.T.C.

Le 3 juin 1949, l'exécutif du C.M.T.C. annonçait l'expulsion de l'U.M.C. du C.M.T.C., décision qui fut entérinée au congrès tenu à Calgary en septembre 1949. L'exécutif reproche à l'Union des marins d'avoir déclenché la grève en mars malgré le désaccord de l'exécutif du C.M.T.C. On accuse les dirigeants de l'U.M.C. de mener une grève politique : d'avoir voulu causer du tort aux gouvernements travaillistes de Grande-Bretagne et d'Australie en paralysant leurs ports.

Il va encore plus loin :


La grève présentait une occasion des plus favorables d'importuner le gouvernement d'Angleterre, tout comme elle fournissait un médium effectif pour contrecarrer le plan Marshall et faire échec au Pacte de l'Atlantique (...) La Fédération mondiale des trade-unions, comprenant les organisations entièrement contrôlées ou opérées par les gouvernements communistes, a maintenant pris la direction de cette grève. Ce qui a commencé comme une dispute industrielle bona fide est rendue maintenant bien loin des buts et aspirations des syndicats libres et ce fait doit être reconnu tout comme on doit y faire face. C'est une vaste campagne mondiale pour promouvoir la cause du communisme en réduisant, autant que faire se peut, l'efficacité du plan Marshall [13].


La situation n'avait cessé de se dégrader. L'exécutif de l’U.M.C. avait refusé de mettre fin à la grève comme l'exigeait l’exécutif  du C.M.T.C. Convaincue de la justesse de sa cause,

[488]

Photo 34.

Grévistes de l'Union des marins canadiens, en 1948.
Archives publiques du Canada.

[489]

l'U.M.C. tenta d'expliquer que c'était une grève pour les salaires, les conditions de travail et la garantie de l'emploi et non pour des « raisons politiques ». Même si les armateurs niaient publiquement qu'ils voulaient couper les salaires, l'U.M.C. affirme que « dans les négociations, les armateurs ont exigé des baisses de salaires de 20$ à 60$ par mois [14] ». La commission de conciliation a encore demandé l'abolition de l'engagement des marins par « l'Union », ce qui aurait permis aux armateurs d'engager des gens sans expérience, alors qu'à la suite des congédiements des équipages canadiens, près de 1 000 marins canadiens étaient sans travail. L'U.M.C. explique encore que le contrat des compagnies avec la S.I.U. est illégal puisque ce syndicat international n'a aucun droit de négocier selon le Code fédéral du travail. La grève, de plus, est légale puisque l'U.M.C. avant de déclarer la grève a passé par toutes les procédures exigées par la loi.

Même si le secrétaire-trésorier D. Joyce du Syndicat international des gens de mer (S.I.U.) déclare qu'il veut « remettre la marine marchande canadienne à des marins canadiens en l'arrachant aux griffes du Kremlin [15] » et même si Hall Banks se fait très rassurant en déclarant que son union « désire promouvoir des relations patronales-ouvrières constructives [16] », l'exécutif du C.M.T.C. a encore certaines réticences à affilier le syndicat international au moment de l'exclusion de l'U.M.C. En attendant, Hall Banks obtient des contrats avec diverses compagnies maritimes. Les armateurs exigent des contrats comportant des baisses de salaires allant jusqu'à 30%.

Les armateurs, avec la complicité du gouvernement canadien, laissent le conflit pourrir. Finalement, le Seafarer's International Union obtient vers 1950 le contrôle quasi total de la vie syndicale maritime. Au début des années cinquante, le S.I.U. obtient son affiliation au C.M.T.C. Hall Banks peut se construire un empire personnel par le terrorisme et la corruption. La situation est telle qu'en 1960, le Congrès du travail du Canada [490] (C.T.C.) l'expulsera de ses rangs en raison d'agressions contre un autre syndicat. En 1965, le S.I.U. qui regroupait 14 000 membres exigeait encore la semaine de 40 heures !


L'attitude du gouvernement canadien

Depuis le début du conflit, la passivité du gouvernement canadien, face aux violations de la loi par les compagnies, laissait prévoir qu'il ne se porterait jamais à la défense du syndicat. Bien sûr, certaines commissions d'enquête furent instituées, mais jamais le gouvernement ne leur donna quelque suite. Pourtant toutes ces commissions établirent que les compagnies violaient l'arrêté-en-conseil (P.C. 1003) qui obligeait à négocier avec l'U.M.C. Par son silence, le gouvernement incitait les compagnies à poursuivre leurs agissements illégaux. L'incident du 31 mars, qui provoqua le déclenchement de la grève générale alors que les compagnies signaient une entente avec le S.I.U. pendant que les négociateurs de l'U.M.C. s'entendaient avec les représentants du ministère du Travail, constituait pourtant un défi à l'autorité gouvernementale, à moins qu'il ne s'agisse de complicité. Le gouvernement, par ses déclarations, prend de plus en plus ouvertement parti pour la cause patronale. Ainsi, le 20 avril 1949, le ministre du Travail H. Mitchell déclare qu'il « espère que les unions pourront s'entendre [17] ». Il laisse croire que la nature du conflit réside dans une querelle entre deux syndicats. En fait, ce n'était pas une grève de juridiction, car tous les marins canadiens sont membres de l'U.M.C. Le Seafarer's International Union regroupait soit des marins étrangers soit des hommes qui n'avaient jamais mis les pieds sur un bateau. « Nous défions les armateurs de produire un seul certificat de marin qualifié pour n'importe quel 'scab' actuellement sur les bateaux », diront-ils.

Enfin, le 3 mai, après plus d'un mois de grève, les ministres Mitchell et Chevrier font une déclaration conjointe dans laquelle [491] ils affirment que la grève « déclenchée par les chefs de l'U.M.C. est illégale », sans préciser en quoi elle est illégale [18]. Ils accréditent la rumeur voulant que cette grève soit le résultat d'un complot politique de la part des dirigeants communistes. Le ministre Mitchell apporte une aide concrète aux armateurs en déclarant, deux semaines plus tard, qu'il est interdit aux marins en vertu du Navigation Act de se mettre en grève dans les ports étrangers. La nécessité de s'appuyer sur le Navigation Act pour fonder l'illégalité de la grève prouve manifestement qu'il n'y avait pas de fondement juridique sérieux pour justifier cette accusation. La légalité de la grève au Canada ne pouvait être contestée devant les tribunaux.

L'Union des marins canadiens a pu être éliminée de la scène syndicale pour plusieurs raisons : la guerre froide avait placé les communistes canadiens dans une situation intenable ; malgré le peu de poids qu'ils pouvaient représenter sur le plan politique, leur travail syndical fut perçu comme un danger. Toutes les revendications émanant d'un syndicat rouge étaient perçues comme des actes de sabotage. L'appui qu'ils reçurent, en 1949, de la Fédération syndicale mondiale d'allégeance communiste accentua cette impression de « complot international ».

Par ailleurs, au moment où l'alliance entre les dirigeants canadiens et américains se développait, la classe politique canadienne n'avait pas la marge de jeu pour se permettre de tolérer la présence d'un syndicat communiste aussi combatif. L'Union des marins canadiens ne fut pas capable de contrer le monopole syndical et le syndicalisme d'affaires. Le cas de l'Union des marins canadiens posa avec acuité le problème de l'autonomie du C.M.T.C. par rapport à la F.A.T. Même si les dirigeants du C.M.T.C. partageaient sensiblement les mêmes positions idéologiques que leurs confrères américains, ils ne furent pas pris au sérieux par les dirigeants de la F.A.T. qui refusèrent de négocier avec le C.M.T.C. Dans ces circonstances, Percy Bengough, qui avait été solidaire de l'Union des marins depuis 1944, dut s'incliner au printemps 1949. Le C.M.T.C. était trop dépendant de la F.A.T. pour résister indéfiniment.

[492]

De plus, les armateurs n'avaient jamais accepté les concessions faites à la suite de la grève de 1946. Ils attendaient leur revanche. Le contexte politique et le fait que le syndicat communiste oeuvrait dans un secteur que le gouvernement prévoyait abandonner permirent au gouvernement King d'appuyer assez ouvertement l'offensive patronale S.I.U.



[1] Lettre de L.B. Pearson à G.F. Benson jr., 10 août 1949, Ottawa, APC. ministère du Travail, RG-27, vol. 835. Cité par Claude Couture dans « La guerre froide et l'anticommunisme dans les syndicats internationaux au Canada : le cas des marins canadiens », texte dactylographié, juillet 1983, 26 pages, p. 7.

[2] Pour une analyse plus détaillée, voir Robert Comeau, « La Canadian Seamen's Union (1936-1949) : un chapitre de l'histoire du mouvement ouvrier canadien » dans la Revue d'histoire de l’Amérique française, 29, 4 (mars 1976) : 503-538, ainsi que Robert Comeau et Jacques Samson, « Le Searchlight, journal exemplaire de l'Union des marins canadiens (1937-1949) », dans Stratégie, nos 13-14 (été 1976) : 7-47.

[3] John Stanton, Life and Death of the Canadian Seamen's Union, Toronto, SRP Publishing, 1978, pp. 28-29.

[4] W. Ayre Burton, Mr. Pearson and Canada's Revolution by Diplomacy. Montréal, Wallace Press, 1966, pp. 86-89.

[5] Labor Organization, Ottawa, ministère du Travail, 1949, p. 52.

[6] John Stanton, op. cit., p. 91.

[7] Le Devoir (15 mars 1947).

[8] Searchlight (8 avril 1948) : 2.

[9] Le Devoir (21 février 1949) :12.

[10] Le Devoir (22 mars 1949) :2.

[11] « L'Union des marins vs Frank Hall », Trades and Labor Congress Journal, (27 septembre 1948) : 63-64.

[12] « Où en est la grève des marins ? » dans Trades and Labor Congress Journal, 28 (1949) : 33. Article traduit par Gustave Francq.

[13] La Presse (11 avril 1949) : 3.

[14] La Presse (4 avril 1949) : 3.

[15] Le Devoir (21 avril 1949) : 3.

[16] Le Devoir (4 mai 1949) : 3.

[17] Le Devoir (21 avril 1949) : 3.

[18] Le Devoir (4 mai 1949) : 3.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 20 mars 2012 19:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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