- Présentation de Laurent Potvin, frère mariste, avril 2009.
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- Sélection de citation: Appartenance et liberté (1983)
PRÉSENTATION
Par Laurent Potvin,
frère mariste, 2009.
Jean-Paul Desbiens, en écrivant son autobiographie Sous le soleil de la pitié, répondait à une invitation d’André Laurendeau du Devoir qui lui avait formulé, lors d’une rencontre, la remarque suivante quelques mois après la parution des Insolences : «Vos lecteurs, après vos remarques sur la langue française si mal en point chez nous vous ont attiré près de 600 lettres en quelques mois. Ces lecteurs veulent sans doute savoir qui est ce Frère Untel dont les propos soulèvent un tel intérêt chez eux…Ne serait-il pas opportun de leur faire savoir par un moyen de votre choix qui vous êtes vraiment? » Cette question directe provoqua la naissance du livre qui pourrait porter le titre suivant : « Les Mémoires du Frère Untel. » Les turbulences vécues par Jean-Paul Desbiens firent en sorte que ce n’est que quelques années plus tard qu’il jugea, alors qu’il était en Suisse, le temps venu de répondre à l’invitation de Monsieur Laurendeau. Le livre paraissait après son retour au Québec.
En 1983, Radio-Québec voulait, à son tour, mettre en pleine lumière la carrière du Frère Untel devant le grand public. Parut alors Appartenance et liberté, ce qui constitue ce qu’on pourrait appeler « Les Nouveaux Mémoires du Frère Untel. »
Ce livre est le fruit d’une sorte d’analyse, une opération qui pourrait se rattacher, jusqu’à un certain point, à une psychanalyse…en douceur. C’est la journaliste Louise Bouchard-Accolas qui, pendant quatre jours et avec le doigté délicat d’une experte, présenta une série de questions variées pointues à Jean-Paul Desbiens. Il s’est prêté de bonne grâce à cette opération-vérité sous l’effet de l’interrogatoire habile d’une journaliste très bien documentée sur son sujet et qui avait réussi à le mettre « son patient » en confiance même lorsque les questions posées portaient sur des points particulièrement délicats et personnels. Cette journaliste a su utiliser ses dons innés de psychologue pour parvenir à mettre en pleine confiance le philosophe devant elle afin d’en obtenir des réponses révélatrices sur les valeurs profondes qui l’habitaient.
Avec quel résultat? Un livre illustré naquit comme fruit de ce long interrogatoire. Le style alerte des questions et les réponses nuancées du « patient » n’ont pas manqué d’offrir aux lecteurs de cette opération-vérité un régal qui a su leur plaire. Ces pages mettent en lumière cinquante ans de vie d’un homme qui, en toute liberté, a choisi d’appartenir au monde de ceux qui mettent leur vie au service de l’éducation de la jeunesse dans un effort concerté de démocratiser l’enseignement du milieu québécois de la maternelle à l’université. Le titre de cet ouvrage Appartenance et liberté est un choix on ne peut plus judicieux compte tenu de l’itinéraire du personnage central poursuivi dans sa carrière d’éducateur vécue sous l’éclairage du service au prochain.
En relisant les propos que Jean-Paul Desbiens nous livre sur son cheminement, notre travail poursuivait un but bien précis : identifier les temps forts de cette vie de service et les raisons profondes des prises de positions concernant les principaux aspects abordés durant ces quatre jours d’introspection.
Le Sélection de citations que nous vous présentons maintenant vous laissera sûrement sur votre appétit si bien que vous jugerez opportun, même nécessaire, de posséder cet ouvrage pour le parcourir à tête reposée afin de revivre les grands moments de cette entrevue menée avec habileté par Mme Louise Bouchard-Accolas.
Laurent Potvin, frère mariste, Château-Richer,
3 avril 2009
Les Classiques des sciences sociales
SÉLECTION DE CITATIONS
APPARTENANCE ET LIBERTÉ (1983)
(Jean-Paul Desbiens)
A
Adolescence
L'adolescence est une forme de pauvreté en ce sens que c'est un moment de l'existence où l'on est en manque : l'enfance nous échappe et l'âge des responsabilités, des joies adultes, n'est pas présent ni même accessible.
Aimer
C'est certainement difficile d’aimer. La chanson le dit : « Il est difficile d'aimer ... » C'est certainement très difficile, cela exige que l'on meure à soi-même. On ne peut parler dans ces termes-là que par référence à Notre-Seigneur à cause de ce qu'il a dit, de ce qu'il a fait et de ce qu'il a vécu. C'est difficile d'aimer. Je dirais que c'est mortel.
Amitié comme valeur
J’ajouterais que l'amitié est une valeur importante pour moi, comme pour beaucoup de monde. Heureux celui qui a un ami, qui en a deux, qui en a trois! On n'en a jamais des centaines, de toute façon, même dans une très longue vie
Amour comme libération
L'amour est la libération essentielle.
Amitié et conversation
Quand je dis amitié, je dis aussi conversation ou possibi1ité de conversation. Les grands souvenirs de ma vie, les grands moments de ma vie, ça été des conversations.
Amitié pour les grands morts
J'ai beaucoup de gratitude pour ceux, pour les grands, qui on écrit avant nous, et dont la réflexion, le coeur, est parvenu jusqu'à nous. Les premiers qui me viennent à l'esprit sont Bernanos, Léon Bloy, Alain. (Il ajoute : Pascal et Céline; Saint François d’Assise, saint Thomas d’Aquin et autres saints.)
Anarchie et intelligence
L’anarchie commence dans les intelligences. Elle commence quand les maîtres ne comprennent plus rien à force de tout savoir.
Anxiété
Le type de sensibilité que je peux avoir, je le tiens de l'enfance que j'ai connue, une enfance assez anxieuse.
Appartenance et décision
À un de mes professeurs à Fribourg, un Dominicain, à qui j'exposais mon problème (quitter la vie religieuse) qui m'a dit : « Vous n'avez qu'une question à vous poser et vous seul pouvez y répondre : Est-ce qu'en quittant la vie religieuse vous auriez le sentiment d'être infidèle à Jésus-Christ ? » Et je me suis répondu : « Oui, j'aurais l'impression d'être infidèle à Jésus-Christ. » Ma réponse à cette question a assis l'axe de ma vie.
Appartenance et satisfaction
Ce que je sais cependant, c'est que je sais un peu qui je suis à cause de mon appartenance. De cela je suis content. Non pas au sens que je plastronne, ça n'aurait aucun sens.
Appartenance et sens de la vie
Je suis un Frère éducateur... Je veux le demeurer parce que j'y trouve un sens à ma vie.
Apprendre
Je continue de croire que pour avoir prise sur le monde, il faut comprendre, la seule chose dont on ne se lasse jamais. Et pour comprendre, il faut consentir à apprendre, L’enseignement est un raccourci.
Argent
On parle toujours de ce dont on manque. Quand on est malade, on parle de santé ; et quand on est pauvre on parle d'argent. Les riches ne parlent jamais d'argent devant les enfants !
Attention
Une longue maladie, c'est l'attention, c'est être condamné à l'attention. Être obligé d'être attentif. Un auteur peu connu, Albert Thierry, qui a écrit Réflexions sur l'éducation, disait de lui-même : « De mon caractère vous n'avez besoin de connaître qu'un seul trait : je tâche de faire attention ». J'aime beaucoup cette sobre remarque.
Attention et lucidité
Je n'ai pas un tempérament d'espion ou d'inquisiteur ; cependant peu de choses m'échappent. Ça aussi c'est de l'attention. Cela vient du fait que j'ai développé cette capacité et cela est attribuable à la maladie
Autorité
Même dans une communauté religieuse, où chaque personne adhère volontairement et librement à un style de vie, à un certain nombre de normes, l'autorité est nécessaire, précisément pour assurer la perception, l'identification du bien commun et sa poursuite
Autorité service
De toute façon, même si je risque de paraître retomber dans le sermon, l'autorité n'est bonne que quand elle se définit comme un service et non comme un pouvoir ! L'Évangile le dit.
Autorité service
L'autorité, quand elle n'est pas un service ; le pouvoir quand il n'est pas exercé comme un service, c’est toujours mauvais. Mais ce n'est pas facile de vivre cela comme un service... ce n'est pas facile !
B
Besoin de s’exprimer
Je pense bien qu'aucune société ne peut vivre longtemps sans s'exprimer et cela ne peut se faire que par ceux qui font partie de cette société. Il m'apparaît donc important qu'au Québec nous utilisions cette ressource
Bêtise humaine
La bêtise humaine est insondable. J'ai tout dit. J'ajouterai que je fais partie de l'humanité. Bernanos écrivait : « La misère humaine est insondable.. ». Il disait misère au lieu de bêtise.
Bonheur
Une situation d'humiliation peut devenir la condition d'une valeur postérieure. Il reste qu'au moment où tu la vis, tu es humilié. C'est toujours contre sa volonté que l'on est humilié. Ça peut être un bonheur d'avoir été refusé, tôt, par le bonheur.
C
CEGEPS en organisation
En 1967, avec une équipe relativement restreinte nous (et là je dis bien nous) avons mis les C.E.G.E.P.S. sur pied. Je m'occupais surtout des programmes et du régime pédagogique.
CÉGEPS et révolution tranquille
(L’atmosphère de travail de notre comité) était stimulante. Cela a été comme tout le monde en convient, l'âge d'or de cette période que l'on a appelé la Révolution tranquille.
Certitude
La difficulté (d’écrire), surtout dans les questions politiques et sociales, c'est qu'il est dur, même pour soi-même, de parvenir à une certitude, à une évidence...
Changements
En 1960, au Québec, la société, travaillée par des forces diverses, (et cela datait ou s'exerçait et se développait depuis la guerre 1939-45) était mûre pour autre chose.
Les Insolences dans cet éclatement-là ont joué leur rôle. Elles ont hâté un peu mais surtout contribué à organiser une nouvelle vue de la société.
Civilisation
La civilisation, c'est quoi ? C'est de permettre la parole, la permettre dans tous les sens du mot. Tout l'effort de la civilisation, c'est de permettre la parole, ou plus précisément, de remplacer la force nue par la parole.
Civilisation et conversation
Une civilisation qui n'aboutit pas à la conversation est une civilisation manquée. Tout l'effort de la civilisation tend à faire communiquer les hommes. Toute civilisation est un effort collectif pour que les hommes se disent les uns aux autres.
Civilisation et diplomatie
C'est l'effort de la diplomatie, c'est l'effort des lois, c'est aussi l'effort des conventions de toutes sortes.
Civilisation et parole
Remplacer les confrontations violentes par la parole, c'est cela même la civilisation
Colère et fierté
Nous sommes indivisiblement au bord de la colère et au bord de quoi d'autre ? Au bord de la fierté.
D
Démocratie et santé
La démocratie n'a pas l'air d'une cause, et il est difficile de s'enthousiasmer à son sujet. Il en va d'elle comme de la santé : on ne l'apprécie que si on la perd.
Distinguer
Il nous faut accéder à la clarté. Il nous faut savoir qu'on ne peut pas penser sans distinguer. Distinguer, ça peut être féroce à un moment donné.
Don de communiquer
Si je pousse un peu plus loin, je dirai que j'ai un don, c'est pour cela qu'il est plus facile d'en parler. J'ai le don d'être très général et de toujours avoir le souci de ramener cette réflexion générale à un cas concret et quotidien, vérifiable par chacun.
E
Écrire (1)
L'idée d'écrire ce qui est devenu Sous le soleil de la pitié, je l'avais avant de partir pour l'Europe. C'est André Laurendeau qui m'avait suggéré d'écrire une espèce de réflexion sur moi-même, une espèce d'autobiographie.
Écrire (2)
Écrire dans un quotidien, c’est agir; et agir, c’ests choisir. Les choix sont difficiles et toujours contestables.
Écrire (3)
On peut aussi écrire (c'est plus prétentieux, du moins ça en a l'air), dans l'idée ou l'ambition d'aider les autres. J'avoue que c'est ce qui m'arrive, que c'est le but ou l'objectif que je poursuis quand j'écris.
Écrire (4)
On écrit pour colmater les brèches de sa vie.
Écrire (5)
Écrire pour aider les autres comment? En portant des jugements sur des situations ; en essayant de clarifier pour d'autres des situations qui sont complexes.
Écrire (6)
Écrire n'est qu'une extension de parler.
Écrire. Pourquoi?
Quand on écrit, quand on est porté à écrire, c'est que l'on a une vie difficile. On écrit quand ce n'est pas, pour soi, une chose simple que de vivre, et que cela demande à être explicité et d'être parfois dénoncé.
Écriture et responsabilité
L'écriture des Insolences a été allègre, mais entre cette façon-là et celle, que j'ai maintenant, il y a une grande différence. Actuellement, écrire m'est presque toujours difficile, angoissant, peut-être à cause de la responsabilité que je sens davantage.
Écriture pour s’expliquer
Il y a dans l'écriture un élément d'explication de soi-même à soi-même.
Écriture et despotisme
L'écriture est despotique en ce sens qu'elle « découpe » dans le réel. Elle simplifie ; elle réduit
Écriture et dialogue
Quand on écrit, on entretient avec soi-même une espèce de dialogue. On vérifie ce que l'on pense, surtout si l'on écrit pour publication immédiate, quelle que soit la diffusion qu'on aura. On écrit pour s'aider soi-même.
Écriture et valeurs
Aider les autres aussi en portant témoignage de ses propres valeurs. C'est encore une façon de leur permettre de croire ou de considérer qu'il y a des valeurs.
Écrivain (1)
On n'est pas écrivain parce que l'on a publié deux petits livres, dont le premier fut un phénomène sociologique et non pas littéraire, et le second, une conversation à peine organisée.
Écrivains (2)
Ce qui me fait aimer des hommes comme Bernanos, St-Exupéry, Léon Bloy, Pascal, c'est que non seulement ils ont été de grands écrivains mais aussi de grands hommes. Des hommes dont la substance de la vie a été en cohérence avec ce qu'ils ont écrit.
Éditorialiste
J'avais le sentiment d'être celui qui donne des conseils, mais qui n'a aucune responsabilité réelle dans l'administration ou le développement des choses de la cité, ou même de la Planète. Ça me paraissait prétentieux, écrasant. En disant cela, je ne diminue pas la nécessité et la légitimité de cette fonction sociale.
Éducateur (1)
L'éducateur, c'est celui qui, par rapport à un être moins expérimenté, moins instruit, et qui ignore peut-être ses propres virtualités, l'éducateur donc, c'est celui qui les sent, qui les devine, qui y croit et qui a le goût de les faire croître.
Éducateur (2)
On est éducateur quand on a beaucoup le sens de l'autre et la volonté de déplier, de développer et d'aider les autres.
Éducation (1)
Je suis persuadé que nous avons pris, à l’occasion de cette immense aventure, (la création des CEGEPS), une avance considérable en tant que société. Il y a peu de sociétés contemporaines qui aient investi autant que la nôtre dans l’éducation.
Éducation (2)
Ma carrière, mon destin, l'axe de ma vie a toujours été l'éducation, sous une forme ou sous une autre. On peut dire cela sans forcer le mot. Je fais toujours de l'éducation, un travail d'éducation.
Éducation et écriture
On fait de l'éducation par le biais de l'écriture mais aussi par celui de l'administration. Ça, c'est encore une cocasserie de mon destin, un aspect paradoxal de ma carrière. C'est qu'ayant une formation philosophique, le gros de ma vie s'est passé dans l'administration. Tout ce que j'ai fait a comporté une part importante d'administration.
Enfance
Toute la vie d'un homme, se construit sur le stock de l'enfance. Sur les provisions de bonheur ou de malheur ramassées durant l'enfance. Trop de malheur, ça tue, ça écrase. Trop de bonheur, c'est pire, ça ne vaccine pas.
Engagement
Les circonstances, qui comme le disait Pascal, sont la main de Dieu qui nous guide. Les circonstances, ce qui arrive, les êtres que je rencontre font que, une fois engagé, c'est durable. Mais c'est lent.
Évolution
J'ai évolué par l'approfondissement, par I'appropriation de mes valeurs.
F
Femmes et correspondance
J'ai à l'esprit des souvenirs précis de mères de famille qui prenaient occasion des Insolences pour se raconter, elles aussi. Il y a dans cette correspondance des choses surprenantes comme révélation d'un long silence et aussi d'une longue souffrance
G
Génie
Quand on a du génie, on ne fait pas ce qu'on veut ; on fait ce qu'on peut. L'agit suit l'être.
Grève
Je pense que viendra le temps où la grève sera quelque chose d'aussi dépassé que la guerre.
Grèves et secteur public (1)
Une grève dans le secteur public c’est le bombardement des civils.
Grèves et secteur public (2)
J'ai souvent dit, même d'une façon féroce, que la grève dans le secteur hospitalier est quelque chose d'intolérable.
H
Histoire
J'ai un tempérament plutôt sombre. Quand je regarde un peu I'Histoire, je ne manque pas d'occasion de me désoler. Quand je pense à l'avenir, j'ai aussi quelques raisons de m'inquiéter. On peut être chrétien quand même en étant ainsi.
Homme
Chacun n'a que l'homme à dire, cet homme qu'il est et qui recoupe tous les autres.
Hommes politiques
Les hommes politiques se fabriquent et s'usent comme les savons.
I
Insolences et loi 101
L'aboutissement imprévisible des Insolences, c'est la loi 101. À l'époque, je demandais au plus haut niveau politique de protéger la langue par une loi, comme on le faisait pour les truites, les orignaux. C'était en 1960 une demande irréalisable!
Insolences et société
Les Insolences dans cet éclatement-là (1960) ont joué leur rôle. Elles ont hâté un peu mais surtout contribué à organiser une nouvelle vue de la société. Vingt-cinq ans après, on peut déplorer que dans cette vaste opération des choses et des valeurs ont été perdues. Ma foi ! c'est un peu fatal…
Insolences et sociologie
C'est un fait que pour le Québec, un tirage de 150 000 exemplaires est une indication d'un phénomène sociologique important.
Intellectuel (1)
Quand je dis que je suis un intellectuel, je dis par le fait même que rien ne m'échappe : un regard, une intonation de voix, un retrait de la main, une posture. Rien ne m'échappe dans un être.
Intellectuels (2)
Si l'on parle d'intellectuels, on parle de cette minorité, dans toutes les sociétés, qui joue un rôle de recherche et de critique.
J
Journal en 1983
Je rédige mon journal assez régulièrement et très fidèlement, depuis cinq ou six ans. De façon plus sporadique avant. Depuis une trentaine d'années...
Journalisme (1)
Incontestablement, élargir mon public est un des motifs et j'irais même jusqu'à dire le motif qui l'a emporté dans ma décision (d’accepter l’offre de devenir éditorialiste de La Presse).
Journalisme (2)
Voyant le métier de l'intérieur, et tel que je suis fait (ce qui ne signifie pas uniquement des qualités), l'exercice de ce métier me paraissait superficiel et gênant. Gênant dans le sens suivant : la structure de ce métier vous entraîne à faire office de commentateur universel. Ce rôle me paraissait disproportionné ou commandant une forme de superficialité qui m'ennuyait pour dire le moins.
L
Langue (1)
Quand une société se retrouve avec une culture en crise, avec des structures religieuses ébranlées, perturbées, oubliées, ce qui reste comme identification et comme protection (donc de frontière), c'est la langue.
Langue (2)
Je pense que l'on tient de sa mère l’amour de la langue.
Lettres en avalanche
Durant cette période, (septembre et octobre 1960), j'ai reçu quelque 5 à 600 lettres. Elles étaient longues, et provenaient de toutes les couches de la société. Des intellectuels, des ouvriers, des jeunes, des vieux m'écrivaient. Il en venait de tout le Québec. Je pense bien qu'on peut mesurer l'ampleur du phénomène à partir de cela.
Libération
Toute libération consiste à passer de la servitude au service. Libérer un homme ou une collectivité, c'est l'arracher à la servitude et l'engager dans un service.
Libérations
C’est une idée de Paul Valéry qu'un être connaît trois grandes libérations dans son existence. La première, c'est d'apprendre à voir, La deuxième, c'est d'apprendre à marcher. La troisième libération, c'est d'apprendre à lire dans tous les sens du terme. Il y a une quatrième libération qui peut survenir n'importe quand dans 1'existence. C'est la libération que donne I'amour.
Liberté intérieure
Plus je vieillis, plus je me dis (et c'est une assez vieille idée) que la véritable liberté, c'est la liberté intérieure. Comment expliquer cela ? On est libre quand on a réussi à identifier ses amours, ses valeurs...
Liberté
Je parle du Québec, je parle du Canada. Nous sommes un des trois ou quatre pays les plus libres au monde et je n'ai pas l'impression que nous le mesurons, que nous le savons suffisamment. Parfois, nous jouons avec cette liberté.
Liberté et religion
Le lien entre religion et liberté, c’est un lien direct. La religion pour moi ce n'est pas n'importe quoi, c'est la religion catholique. La foi dans Notre-Seigneur coïncide avec la liberté parce qu'elle coïncide avec l'amour. C'est l'amour même. Et l'amour, c'est la liberté ultime, première et dernière. Dieu est parfaitement libre et il est la liberté parce qu'il est l'amour.
Liberté et responsabilité
Il n'y a personne qui soit totalement libre, à moins d'être irresponsable.
Liberté intérieure
Plus je vieillis, plus je me dis (et c'est une assez vieille idée) que la véritable liberté, c'est la liberté intérieure. Comment expliquer cela ? On est libre quand on a réussi à identifier ses amours, ses valeurs.
Loi
La loi n'est pas arbitraire ! Enfin, une loi 1égitime. Une loi élaborée, promulguée dans une démocratie comme la nôtre. Une loi peut nous agacer ; cela ne veut pas dire qu'elle soit arbitraire.
Loi 101
La loi 101, c'est la réalisation de ce que je n'aurais pu envisager comme possible. Il ne faut pas dire pour autant que le problème est réglé, bien qu'il le soit largement. Nous avons encore des faiblesses langagières, comme toute autre société, mais, en substance, c'est une affaire réglée que l'affaire du joual.
Lucidité
Il faut accorder une chose au pessimiste : il ne manque pas de lucidité. La lucidité peut aussi être la cause de l'autre : le pessimisme, avec tous les degrés qu'on peut trouver dans cet état-là.
M
Maladie (1)
De même que l'alcool ne crée rien, la maladie ne crée rien non plus. Elle donne possibilité, elle donne jour, elle donne chance à des richesses, à des talents ou à des aspects de votre sensibilité intellectuelle ou affective qui ne se seraient pas développés autant, voire même pas du tout, sans votre maladie.
Maladie (2)
Je n'ai pas vécu la maladie comme une injustice, ni pendant, ni rétrospectivement. C'est arrivé. C'est arrivé aussi à des milliers d'autres qui, eux, sont morts. C'est peut-être là, l'injustice!
Maladie et alcool
De même que l'alcool ne crée rien, la maladie ne crée rien non plus. Elle donne possibilité, elle donne jour, elle donne chance à des richesses, à des talents ou à des aspects de votre sensibilité intellectuelle ou affective qui ne se seraient pas développés autant, voire même pas du tout, sans votre maladie.
Marcher
Je pense à une chose aussi simple que marcher. Je m'ennuyais de marcher. De 19 ans à 25 ans, j'ai été privé de ce plaisir. Quand j'ai pu recommencer, j'étais attentif au fait que je retrouvais une liberté dont j'avais été longtemps privé. J'ai encore ce sentiment-là. Je marche encore beaucoup et je garde le sentiment que c'est une grâce.
Maria Chapdelaine
J'irais jusqu'à dire ceci : je peux prétendre avoir connu Maria Chapdelaine, le monde de Maria Chapdelaine, la civilisation de Maria. Mon père, lui, était contemporain biologiquement de Maria. Entre mon père et moi, et entre mon père et Maria Chapdelaine, il n'y a, à toute fin utile, aucune rupture.
Musique atomisante
Les comportements collectifs (des jeunes) vis-à-vis de la musique sont révélateurs. De ce point de vue-là, je me sens éjecté de la civilisation actuelle……C'est une musique atomisante qui sévit présentement.
Musique des jeunes
Ce n'est pas une musique de communication ; c'est une musique qui renvoie les êtres chacun à lui-même. Si le phénomène disco signifie quelque chose de profond et de réel (ce que j'ignore au bout du compte) c'est un peu l'enfer : des êtres seul à seul.
O
Obéissance
Je me sens obéissant, en ce sens que l'obéissance pour moi, c'est une valeur à cause de mon état religieux. C'est une valeur, ce n'est pas une défaite. Ce n'est pas dégradant d'obéir...
Oppression
La société, les pouvoirs, le pouvoir politique, le pouvoir syndical, le pouvoir des structures sont oppressants.
Ordre du Canada
Sa raison de refuser en 1968 : « De Gaule et moi, les deux en même temps, en Occident, c'est trop. »
P
Pauvres
On vit présentement dans un univers culturel où tout le monde prétend aimer les pauvres. Les politiciens prétendent aimer les pauvres ; il y a des partis politiques qui s'en font une spécialité. Il y a eu et il y aura encore 1'exploitation économique des pauvres. Il y a aussi 1'exploitation politique du pauvre. Les pauvres n'ont jamais été vraiment aimés que par Jésus-Christ
Pauvreté (1)
Quand on est pauvre économiquement, on risque beaucoup de le devenir à d'autres points de vue : au point de vue de son développement psychologique, de son développement intellectuel, de la maîtrise de sa vie et de la société.
Pauvreté (2)
La question de la pauvreté est une de mes inquiétudes quasi quotidiennes.
Penser en sachant distinguer
Il nous faut accéder à la clarté. Il nous faut savoir qu'on ne peut pas penser sans distinguer. Distinguer, ça peut être féroce à un moment donné.
Permissivité
Touchant par exemple ce qu'on a pu appeler la permissivité ou la non-directivité. On s'est embarqué là-dedans à la suite des Américains qui, eux, souvent ont pris leur distance vis-à-vis de ces écoles-là ou de ces courants de pensée.
Philosophie
L'adolescence et la préadolescence c'est l'âge par excellence de la métaphysique. C'est l'âge des grandes questions. L'enfance aussi. Quoi qu'il en soit, mon goût pour la philosophie, c'est mon goût pour les mots.
Poète
Il est bien clair qu'il y a du poète en moi. J'aime la nature, j'arrive à le dire assez souvent. J'écris des textes qu'on peut qualifier de poétiques... Des amis me reprochent de ne pas laisser assez souvent la bride sur le cou à mon côté poète...
Pouvoir
Avant de lier les autres, le pouvoir lie celui qui l'exerce.
Pouvoir vainqueur
En dehors de l'Évangile, la cause est entendue : Le Pouvoir gagne toujours. C'est ça la première règle de la grammaire politique. II ne faut pas être petit ; il ne faut pas être pauvre ; il ne faut pas être noir ; il ne faut pas être malade. Il faut être fort ; il faut être au pouvoir.
Principe
C'est un principe vieux comme le monde, comme la logique éternelle. Aristote a formulé cette vérité de l'humanité. Si tu refuses de distinguer entre le bien et le mal ; si pour toi un avortement est aussi bon qu'une naissance ; si tu penses que mentir c'est aussi bon que de dire la vérité, il te reste quoi ?
Prix (1)
En 1961, au mois de juin, je pense. Cité Libre et Liberté avaient décidé, et pour la première fois cette année-là, de décerner ensemble un prix dit de la liberté.
Prix (2)
C'est le Frère Untel qui a été le premier récipiendaire de ce prix (Cité libre et Liberté). Le prix avait été accordé à titre de reconnaissance littéraire et sociale du phénomène des Insolences qui avait, à ce moment-là, un an d'existence.
R
Radio
Les caractéristiques de la radio résident dans sa rapidité, sa souplesse, en même temps que son intellectualité. Je veux dire que l'écoute de la radio exige un effort intellectuel plus grand que ce que demande la télévision, en ce sens que la radio s'adresse à l'oreille.
Révolte
On peut faire des jeux de mots. On peut dire que la révolte des révoltés est une violence en réponse à une autre violence.
Révolution culturelle
En vérité, le Québec est le lieu de deux grands débats : le débat national et le grand bouleversement occidental, cette grande mue que les savants appellent la révolution culturelle.
Révolution tranquille
(Lors de la création des CEGEPS) nous étions portés par la population. L'opinion publique voulait depuis longtemps cette réforme. Comme on le sait, la Révolution tranquille a d'abord entièrement porté là-dessus. C'est la réforme scolaire qui a confisqué pendant cinq ou six ans la réalité financière et psychologique de la Révolution tranquille.
S
Spécialistes
Vous parlez des spécialistes, j'imagine, des pédagogues, des sociologues...... Je pense qu'ils ont compliqué les choses inutilement. Ils ont introduit des confusions qui ont pu nous porter à penser que de vieilles solutions, de vieux comportements qui avaient fait leurs preuves n'étaient plus bons.
Syndicalisme
Le syndicalisme était une nécessité. Il a constitué un progrès et demeure une nécessité. Mais le syndicalisme est aussi devenu un pouvoir. Dans la mesure où il est devenu un pouvoir, un très grand pouvoir et même, un pouvoir qui a la possibilité de bloquer la société tout entière, dans cette mesure-là, il doit être critiqué, surveillé et, au besoin, dénoncé.
T
Télévision (1)
La télévision risque de diminuer la capacité de conceptualiser et de maintenir une attention un tant soit peu prolongée. Il y a donc là un risque d'affaiblissement et d'appauvrissement de l'être humain, télévisionnaire pendant 40 à 60 heures par semaine.
Télévision (2)
La télévision me terrorise...... c'est une technique lourde ; lourde et dévoratrice de temps. Dévoratrice pour ceux qui la font, mais aussi pour ceux qui comparaissent.
Télévision (3)
Ce qui caractérise la télévision, c'est la force de l'impact en même temps que son ambiguïté et sa superficialité.
Télévision ambiguë
L'ambiguïté de la télévision est celle de l'image en général. On dit qu'une image vaut mille mots. C'est faux. L'image vaut mille mots quand elle s'accompagne, avant ou après, de mille mots. Une image nue, une image brutale veut dire n'importe quoi.
Télévision et sa critique
J'aimerais qu'il y ait une véritable critique écrite de la télévision dans les journaux. Curieusement, la télévision demeure un média qui reçoit très peu d'attention de la part d'une critique un peu structurée et constante.
Télévisons vs radio
L'écoute de la radio exige un effort intellectuel plus grand que ce que demande la télévision, en ce sens que la radio s'adresse à l'oreille.
Terrorisme intellectuel
Il existe bel et bien une espèce de terrorisme intellectuel auquel je ne pense pas avoir échappé totalement.
Tolérance (1)
Si la tolérance aboutit à ne plus distinguer entre ce qui est fécond et ne l'est pas, c'est la décadence.
Tolérance (2)
Le plus grand risque (causé par la tolérance) c'est la perte d'identité. Même si je suis d'accord pour que l'on ait de la tolérance. Encore que le mot tolérance est irrécupérable de façon positive. On tolère ce qu'on est incapable de supprimer.
U
Univers différents
Mais entre l'univers socioculturel et politique dans lequel nous sommes actuellement, (1983) et celui de 1960, c'est une rupture qui n'est la faute de personne mais qui n'en est pas moins une rupture.
Utilité sociale
À ma façon, j'ai sûrement eu une utilité sociale et les formes que j'ai trouvées pour l'exercer, me conviennent très bien et notamment l'écriture.
V
Valeur et amitié
L'amitié est une valeur importante pour moi, comme pour beaucoup de monde. Heureux celui qui a un ami, qui en a deux, qui en a trois. On n'en a jamais des centaines, de toute façon, même dans une très longue vie
Valeur et liberté
Je parle du Québec, je parle du Canada. Nous sommes un des trois ou quatre pays les plus libres au monde et je n'ai pas l'impression que nous le mesurons, que nous le savons suffisamment. Parfois, nous jouons avec cette liberté.
Valeur et vérité
La vérité, c'est la valeur qui me fait le plus souffrir, en ce sens que nous vivons dans le mensonge et dans l'à-peu-près : mensonge politique, idéologique, économique. Je suis encore capable de m'indigner profondément, et tout seul, devant ce qui est manifestement un mensonge !
Valeurs qui sont miennes
En tête de liste de mes valeurs, au-dessus de tout, (et je le dis par mode de prière et non avec arrogance), c'est que Jésus existe et que Jésus est Sauveur. Ensuite liberté, vérité et amitié.
Vie intellectuelle et solitude
La vie intellectuelle exige la solitude.
Vie intellectuelle et amis
Si vous avez trop de gens, trop d'amis à protéger, vous n'arrivez pas à exprimer l'essentiel (dans vos écrits). Les intérêts financiers, de carrière ou encore sentimentaux influent sur la vie intellectuelle.
Vie, son sens (1)
Nous sommes toujours maîtres du sens que nous donnons à nos vies. Et ce sens dépend de la lecture que nous faisons de notre passé.
Vie, son sens (2)
Je suis un Frère éducateur... Je veux le demeurer parce que j'y trouve un sens à ma vie.
Violence
Je sais que l'on peut faire des jeux de mots. On peut dire que la révolte des révoltés est une violence en réponse à une autre violence.
Vocation (1)
C'est quoi la vocation ? C'est un mystère. C'est comme un germe. Au début, ça tient à rien, à presque rien. Un amour enfantin peut tout changer.
Vocation (2)
Si on parle de vocation religieuse, on l'a quand Dieu nous donne cette vocation-là ; c'est Lui qui appelle. Il fait son travail. Mais ensuite, quand est-ce que, de son côté à soi, on décide de l'avoir et de la maintenir ?
Voix des autres
Il y a chez moi cette préoccupation, cette ambition d'être, à ma façon, la voix de ceux et celles qui n'en n'ont pas eu et qui encore actuellement n'en ont pas.
F I N
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