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Louis FOURNIER
“Léa ROBACK :
30 ans de militantisme
communiste.”
Un article publié dans le livre de Robert Comeau et Bernard Dionne, LE DROIT DE SE TAIRE. Histoire des communistes au Québec, de la Première Guerre mondiale à la Révolution tranquille, pp. 386-406. Montréal: VLB Éditeur, 1989, 545 pp. Collection : Études québécoises.
- L'adhésion au Parti
- Les militants du P.C.
- La Crise
- Une librairie « rouge »
- Les midinettes
- La grève de 1937
- La « Loi du Cadenas »
- La Deuxième Guerre
- RCA Victor
- Le syndicat
- Le P.O.P.
- Les Ouvriers unis de l'électricité
- Le départ du Parti
Léa Roback a 80 ans.
C'est une petite femme énergique, chaleureuse, l'œil vif, le ton clair, la parole drue. Vous pouvez parfois la rencontrer à l'occasion d'une manifestation ouvrière ou progressiste, où elle marche d'un bon pas. Elle est toujours active, militante des grandes causes comme la paix, le mouvement des femmes, les droits et libertés en général et, en particulier, les droits des travailleuses et des travailleurs qui ont été au centre de son combat, de sa vie.
Léa Roback a été, pendant près de 30 ans, militante du Parti communiste - qui s'est aussi appelé à l'époque le Parti ouvrier-progressiste. Elle a adhéré au Parti au début de la Grande Crise, en 1929, et l'a quitté en 1958 peu après les révélations sur le stalinisme et les événements tragiques de Hongrie et de Pologne.
C'est son expérience de militante, et de militante communiste, qu'elle nous raconte ici pour la première fois, en espérant de tout son cœur - qui est grand - qu'elle puisse servir aux jeunes générations [1]. Léa Roback est née, le 3 novembre 1903, dans un modeste logement de la rue Guilbault, près de Saint-Laurent, au cœur du quartier juif de Montréal.
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Son père avait quitté la Pologne pour venir s'établir dans la métropole, vers 1895. Comme la plupart des travailleurs immigrants membres de la communauté juive, il se trouve du travail dans l'industrie de la confection pour hommes où il exerce le métier de tailleur. En 1900, il épouse une compatriote issue d'une famille de petits commerçants.
M. Roback est à sa façon un « intellectuel » qui aime beaucoup lire, notamment des ouvrages de philosophie, et discuter. Il n'est pas socialiste - bien que plusieurs de ses camarades de l'industrie du vêtement le soient à cette époque - mais c'est un esprit progressiste, ouvert, tolérant. Ainsi, juif pratiquant, il n'est absolument pas sioniste.
Deux ans après la naissance de Léa, la famille quitte Montréal pour aller s'établir, en 1905, en plein milieu canadien-français, dans le village de Beauport près de Québec. « Nous étions la seule famille juive dans un patelin catholique, raconte Léa Roback, mais nous avons été bien acceptés finalement. Les gens étaient pauvres comme nous. J'ai appris, toute jeune, qu'il ne doit pas y avoir de barrières ethniques ou religieuses entre les travailleurs. J'ai appris que les francophones formaient un peuple majoritaire au Québec et qu'ils avaient des droits. »
Pendant que son père continue d'exercer son métier de tailleur, sa mère ouvre à Beauport un petit commerce. On y pratique notamment le troc (vêtements, tissus, prélarts, etc.). En 1919, madame Roback tombe malade et la famille reprend le chemin de Montréal.
À 18 ans, Léa commence à travailler dans une boutique de nettoyage et de teinturerie, la British-American Dye Works. Une semaine de 6 jours et de 54 heures, un salaire de 8 $, des conditions de travail pénibles. Elle fera ce métier pendant plus de trois ans. Cette première expérience de travail en milieu ouvrier la marque profondément. Elle y découvre l'exploitation, en particulier celle des travailleuses. En même temps, elle lit beaucoup, curieuse de tout, notamment de littérature française et de théâtre.
C'est ainsi qu'elle devient caissière dans un théâtre où elle se passionne pour les pièces du répertoire français. Elle discute avec des gens de théâtre et finit par se convaincre qu'elle doit aller en France. D'une nature très indépendante et aventureuse, Léa Roback quitte donc Montréal pour Paris en 1925, à l'âge de [388] 21 ans. Elle réussit à s'inscrire comme étudiante en littérature à l'Université de Grenoble où elle fait aussi du théâtre amateur. Pour gagner des sous, elle donne des leçons privées d'anglais.
Elle passe deux ans à Grenoble puis, toujours aventureuse, retraverse l'Atlantique pour aller vivre à New York, où elle travaille surtout comme vendeuse dans les magasins.
L'adhésion au Parti
En 1929, on la retrouve étudiante à l'Université de Berlin où son frère aîné, Henri, est inscrit en médecine. Elle suit des cours d'allemand et devient membre d'une association d'amitié franco-allemande. Elle assiste, inquiète, à la montée du fascisme et participe, avec ses camarades de l'université, à des manifestations des syndicats et de la gauche.
C'est alors qu'elle décide d'adhérer au Parti communiste. « C'était les débuts de la grande crise mondiale, raconte-t-elle, et le capitalisme semblait en pleine décomposition. C'est à ce moment-là que je me suis vraiment politisée, que j'ai eu ma première formation politique, grâce au marxisme. J'avais des camarades extraordinaires, étudiants et ouvriers. J'ai beaucoup appris auprès d'eux. »
La situation devenant de plus en plus dangereuse par suite de l'ascension du nazisme, Léa Roback doit quitter l'Allemagne à la fin de 1932, peu avant l'arrivée de Hitler au pouvoir. En 1933, le P.C. allemand est mis hors la loi, des milliers de ses membres sont arrêtés. C'est le début de l'escalade de l'horreur qui jettera le monde entier dans la guerre.
À son retour à Montréal, Léa Roback travaillera durant deux ans pour la Young Women's Hebrew Association, qui œuvre auprès des jeunes filles de la communauté juive. En même temps, elle adhère au Parti communiste. Elle doit le faire clandestinement car le P.C. a été déclaré hors la loi au Canada, en août 1931. Ses principaux leaders sont en prison en vertu de l'« infâme article 98 » du Code criminel, qui rend passible d'emprisonnement quiconque appartient à une association soupçonnée de prôner le renversement, par la violence, de l'ordre établi. [389] Le Parti ne redeviendra « légal » qu'en 1935, à la suite de l'abrogation de l'article 98 par le nouveau gouvernement libéral de Mackenzie King, sous les pressions du mouvement ouvrier.
- La clandestinité ne me faisait pas peur, dit Léa Roback. J'avais déjà connu la répression contre le Parti en Allemagne et je savais que je m'engageais dans une vie difficile, un travail de longue haleine, surtout au Québec où le socialisme apparaissait comme la fin du monde pour les pouvoirs en place !
Au début, elle travaille surtout auprès des femmes de la communauté juive et des travailleuses immigrantes. Elle donne des cours de formation politique, aide à la syndicalisation des travailleuses dans l'industrie du vêtement, rédige et distribue des tracts. À cause de sa connaissance du français, elle fait aussi des travaux de traduction : « L'anglais était la langue de travail et de communication dans le Parti. La plupart des documents nous arrivaient de Toronto. Entre nous, les militants juifs, dans nos cellules, on parlait le yiddish. On était nombreux dans le Parti, sans doute la majorité. Chaque communauté ethnique avait sa section pour se regrouper. Les Canadiens français, qui n'étaient pas encore nombreux, avaient aussi leur section, avec des leaders comme Évariste Dubé, Jean Bourget, Léo Lebrun. Le professeur Stanley Ryerson, qui avait étudié à Paris, s'est joint à eux vers 1934. Chez les militants d'origine juive, Fred Rose parlait bien français et il assurait la liaison avec les francophones. »
Les militants du P.C.
À cette époque, le Parti communiste ne compte encore que quelques centaines de membres au Québec, en quasi-totalité à Montréal.
Les femmes sont alors peu nombreuses au P.C., bien que certaines d'entre elles aient été parmi les pionnières, les fondatrices du Parti en 1921 : Bella Hall-Gauld, Annie Buller, Bebecca (« Beckie ») Buhay et d'autres militantes appartenant surtout à la [390] communauté juive. Ce n'est qu'en 1929 qu'une première Canadienne française, Bernadette Lebrun, une ouvrière de la chaussure, a adhéré au Parti. Au début des années trente, elle y est rejointe par d'autres camarades comme Berthe Caron, Yvonne Bourget, Blanche Gélinas.
- Quand une femme s'inscrivait au Parti, se rappelle Léa Roback, en général son mari y était déjà. C'était comme ça dans tous les groupes ethniques. Il y avait peu d'exceptions et j'en étais une : je ne crois pas qu'il y avait de femme à la direction du Parti à Montréal dans ce temps-là. Mais c'était pareil partout, même dans le mouvement syndical. Les femmes elles-mêmes disaient qu'elles n'étaient pas assez instruites pour occuper des positions dirigeantes. Au fil des années, la situation a changé un peu.
En 1933, les Canadiennes françaises du P.C. se donnent une organisation, Solidarité féminine, présidée par Yvonne Bourget, qui fait du travail auprès des familles frappées par la crise. En 1934, plusieurs militantes juives du Parti sont très actives lors de la première grande grève déclenchée par près de 4 000 ouvrières et ouvriers de l'industrie du vêtement. La grève est dirigée par le Syndicat industriel des ouvriers de l'aiguille qui est affilié à la Ligue d'unité ouvrière, une organisation syndicale créée par le P.C. Lors d'une autre grève déclenchée en 1934 par la Ligue dans les mines de cuivre de Rouyn-Noranda, en Abitibi, on retrouve une autre militante du Parti comme organisatrice, Jeanne Corbin, 26 ans, une institutrice d'origine française. Elle est condamnée à trois ans de prison pour « sédition ». Pendant son incarcération, elle est atteinte de tuberculose et en mourra quelques années plus tard.
La Crise
Les militantes et les militants du P.C. ont été très actifs à Montréal pendant la crise, malgré la répression. Ils ont organise un mouvement d'appui aux sans-travail, des clubs de chômeurs et une association pour les regrouper. Ils ont aussi mené des [391] actions de soutien aux familles ouvrières touchées par la crise. Léa Roback se souvient, entre autres, de l'appui donné aux locataires :
- Pendant la dépression, des centaines de familles se faisaient chasser de leur logement parce qu'elles ne pouvaient plus payer leur loyer. L'huissier venait saisir les meubles et le ménage et les vendait à l’encan, sur place, pour payer le propriétaire. Nous, au Parti, quand on apprenait qu'il y avait un encan, on s'organisait pour être là. On contrôlait les enchères et on achetait pour presque rien. L'huissier était obligé de faire la vente et nous, on remettait les meubles aux locataires.
C'est à l'occasion d'une éviction qu'est survenu, en mars 1933, un événement tragique que Léa Roback n'est pas près d'oublier. Un militant d'origine polonaise, Nick Zynchuck, qui protestait contre une saisie par huissier, a été abattu à bout portant, dans le dos, par un policier de Montréal. Zynchuck a eu droit à des funérailles « rouges » qui ont rassemblé près de 15 000 personnes et qui se sont terminées par des affrontements violents avec la police.
Léa Roback se souvient également que les Canadiennes françaises de Solidarité féminine avaient pris le tramway sans payer pour aller occuper l'hôtel de ville de Montréal, afin de réclamer une aide accrue aux familles de chômeurs. Elles ont dit au contrôleur. « Le maire de Montréal paiera la note ! »
Une librairie « rouge »
En 1935, le Parti confie à Léa Roback une tâche importante : la responsabilité de gérer la première librairie ouverte par le Parti communiste à Montréal.
- C'était la première librairie rouge, raconte-t-elle, mais elle se présentait comme une librairie ordinaire. Ça s'appelait le Modern Bookshop et elle était située rue Bleury, près de Dorchester, dans le quartier des ateliers de vêtement. On [392] vendait toutes sortes de livres, des romans, en anglais, en français et dans d'autres langues, mais aussi tous les classiques du marxisme, du socialisme, du communisme, des revues, des journaux. Chaque cellule du Parti venait y chercher des livres et de la documentation. On était très sérieux sur la question de la formation, du développement des connaissances politiques et sociales.
La librairie a aussi une clientèle d'étudiants et même de professeurs : « J'avais parfois la visite de l'abbé Lionel Groulx, qui achetait beaucoup. Il s'est sûrement constitué une très belle bibliothèque marxiste ! » Léa Roback a aussi, évidemment, la visite de la police, qui ne peut l'empêcher de tenir une librairie même si le Parti est considéré comme hors la loi.
D'ailleurs, c'est à la fin de 1935 que le Parti communiste redevient « légal », à la suite des élections qui portent au pouvoir le nouveau gouvernement libéral de King à Ottawa. Léa Roback se souvient bien de ces élections fédérales car elle a été l'une des organisatrices de la campagne de Fred Rose, un des dirigeants du Parti. Il se présentait comme candidat ouvrier dans le comté cosmopolite de Cartier, en plein centre de Montréal. Rose, qui était d'origine polonaise et électricien de son métier, recueille 3 378 voix, ce qui est énorme pour l'époque. C'est justement dans cette circonscription ouvrière de Cartier qu'il sera élu député en 1943, devenant ainsi le premier représentant du Parti communiste à siéger au parlement du Canada.
- Léa Roback se rappelle : Nous avons reçu beaucoup d'aide et des dons de travailleurs et de travailleuses. Certains nous donnaient des paquets de cennes noires pour financer la campagne de Fred. Des Ukrainiens, des Polonais, des Russes, des Allemands, des Finlandais, des Tchécoslovaques, des Italiens antifascistes qui avaient quitté l'Italie de Mussolini, beaucoup de Juifs et des Canadiens français aussi, car Fred pouvait leur parler dans leur langue. Mais c'est sûr que nos plus gros appuis venaient de travailleurs qui avaient émigré ici, surtout ceux qui avaient connu la répression contre la gauche dans leur pays et qui savaient que les communistes étaient les plus ardents adversaires du fascisme.
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Selon Léa Roback, cette campagne électorale a bien montré jusqu'où les vieux partis et la répression pouvaient aller :
- J'ai vu comment ils volaient les élections, avec leurs passeurs de télégraphes et leur argent. J'étais responsable du secteur de la rue Prince-Arthur. C'était à vous dégoûter de la démocratie bourgeoise dans ce temps-là. J'ai aussi appris que la violence est permise quand on est du côté des plus forts. Notre local était situé au 254 est, de la rue Sainte-Catherine. Un commando d'étudiants de l'Université de Montréal, située tout près rue Saint-Denis, est venu briser toutes les vitres du local et l'a envahi pour le saccager. J'ai protesté auprès de leur recteur, Mgr Chartier, qui s'en est lavé les mains. La police aussi.
Les midinettes
C'est à cette époque, en 1935, que le P.C. décide, suivant en cela la stratégie de l'Internationale communiste, de mener une politique de « Front populaire » avec les autres éléments progressistes. Il tente alors un rapprochement difficile avec les sociaux-démocrates de la C.C.F. qu'il avait dénoncés auparavant à cause de leur « réformisme ». En même temps, le Parti dissout sa propre organisation syndicale, la Ligue d'unité ouvrière, et enjoint ses militants d'adhérer aux syndicats existants, en particulier ceux qui pratiquaient un syndicalisme de type industriel dans la mouvance du nouveau C.I.O. américain.
C'est ainsi qu'en 1936, on retrouve Léa Roback à l'Union internationale des ouvriers du vêtement pour dames (U.I.O.V.D.), alors proche du C.I.O., qui tente d'implanter un syndicat durable parmi les midinettes de l'industrie du vêtement à Montréal, réparties dans des centaines de petits ateliers. Pour mener cette campagne d'organisation, l'Union a notamment envoyé de New York « une militante admirable », dit Léa Roback, une socialiste libertaire, Rose Pesotta.
- C'est elle qui m'a embauchée pour l'aider car elle ne parlait pas français et la majorité des midinettes étaient des Canadiennes françaises. J'ai été engagée comme organisatrice, [394] avec la responsabilité particulière de bâtir un comité d'éducation. On a commencé par une bibliothèque et des cours où on donnait une formation syndicale de base. On faisait des réunions, on rédigeait un journal et des tracts qu'on distribuait aux portes des ateliers tôt le matin. Il y avait un groupe de femmes décidées, une en particulier, Yvette Cadieux. Il fallait convaincre les ouvrières une par une, aller les voir chez elles.
Les communistes forment un noyau solide au sein de l’U.I.O.V.D. Ils viennent pour la plupart du Syndicat industriel des ouvriers de l'aiguille qui a mené une première grève dans le vêtement en 1934. Ils ont alors obtenu certains gains mais pas la reconnaissance syndicale.
- Nous étions bien organisés, se souvient Léa Roback. On se levait le matin avant le Bon Dieu et on distribuait des tracts pour l'Union. On avait de l'aide des membres des Jeunesses communistes qui étaient infatigables à leur âge. D'autres militants du Parti nous donnaient un coup de main. On avait surtout le soutien des tailleurs juifs qui étaient déjà syndiqués et dont plusieurs étaient communistes. Ils participaient à nos réunions de formation et expliquaient aux couturières, dans leur « franglish », pourquoi elles devaient s'organiser.
Alors que les ouvriers de métiers syndiqués comme les tailleurs, les coupeurs, les presseurs, en majorité d'origine juive, avaient réussi à améliorer de beaucoup leurs conditions, les midinettes, en grande majorité francophones, travaillaient dans des conditions misérables. Par exemple, alors que les tailleurs avaient gagné en avril 1936, par la grève, la semaine de 44 heures et un salaire minimum de 30 $, les ouvrières travaillaient à la pièce plus de 50 heures par semaine de 6 jours, pour un salaire minimum variant de 7 $ à 12,50 $. Plusieurs devaient travailler à domicile, le soir, pour joindre les deux bouts.
- Le salaire n'était jamais pareil et jamais assuré. On venait le matin, avec son lunch sous le bras, pour se faire dire par le contremaître : pas de travail pour toi aujourd'hui ! Et quand on avait de l'ouvrage, c'était parfois parce qu'on se laissait tâter par le boss. Et tout ça dans des ateliers sales, [395] le Lenner Building, le Wilder, le Jacob sur la rue Bleury, des nids à « coquerelles » avec des toilettes affreuses. Il fallait travailler et manger là.
La grève de 1937
Malgré la peur, malgré l'intimidation des patrons, « l'union » fait des progrès dans sa campagne de syndicalisation. Elle se sent assez forte pour déclencher la grève. Le 15 avril 1937, en pleine saison de production, 5 000 ouvrières et ouvriers du vêtement quittent le travail et dressent des lignes de piquetage aux abords des ateliers. La grève durera 25 jours, au cours desquels le syndicat verse à ses membres des secours financiers de 5 à 8 $ par semaine, presque autant que ce que les midinettes gagnaient en travaillant !
« C'est la solidarité qui nous a permis de gagner, dit Léa Roback. Pour l'époque, ce fut une victoire ». Les grévistes obtiendront la semaine de 44 heures et de cinq jours et demi et un salaire moyen de 16 $ pour les midinettes, les heures supplémentaires payées à taux et demi, le droit de fixer les taux du travail à la pièce, une procédure de griefs et, surtout, la reconnaissance du syndicat. Malgré cette percée, le contrat signé n'est pas respecté partout par les patrons. L'U.I.O.V.D. devra mener une autre grève de ses 5 000 membres, en 1940, pour consolider ses acquis.
En réalité, pendant ces trois ans, le patronat a profité des divisions qui ont éclaté au sein de « l'union » et qui ont conduit à l'exclusion des militants et militantes communistes. Léa Roback raconte :
- Il y avait dans l'union des communistes, des socialistes sionistes du Workmen's Circle, des sociaux-démocrates, des militants du Parti libéral comme Claude Jodoin (le futur président du Congrès du travail du Canada). Mais il y avait surtout des délégués syndicaux qui faisaient leur travail et d'autres qui collaboraient avec les patrons, qui se laissaient acheter. Quand on a commencé à dénoncer ça, Bernard Shane (le leader de l'union), Jodoin et d'autres se
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Photo 26.
Léa Roback, au cours des années 1980. Archives François Touchette.
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- sont mis à voir des communistes partout, même en dessous de leur lit ! La chasse a commencé...
Comme les patrons avaient concédé l'atelier syndical fermé et qu'il fallait être membre de « l'union » pour travailler, l'exclusion du syndicat signifiait que les dissidents, inscrits sur une liste noire, ne pouvaient plus obtenir d'emploi dans le secteur de la robe à Montréal.
- Des dizaines de militants et de militantes ont perdu leur job, surtout des Juifs. Il y avait parmi eux de bons ouvriers, expérimentés, des tailleurs, des presseurs, des opératrices. J’ai pour mon dire que ces expulsions ont considérablement affaibli l'union. D'ailleurs, vous savez qu'après 1940, il n'y a pas eu de grève dans la robe à Montréal pendant 30 ans et que les conditions se sont détériorées terriblement.
Léa Roback, elle, a quitté l'U.I.O.V.D. en 1939.
- Je suis partie avant de me faire expulser. De toute façon, on rejetait tout ce que je voulais faire au comité d'éducation. Ça m'a fait mal de quitter après tout le travail qu'on avait fait, mais je n'avais pas le choix, même si j'ai été critiquée dans le Parti. Je me suis fait reprocher mon geste, notamment par Sydney Sarkin, un des dirigeants du syndicat dans le vêtement pour hommes (les travailleurs unis du vêtement d’Amérique) et l'un des leaders du Parti depuis les années vingt. Mais vraiment, je n'avais pas le choix.
La « Loi du Cadenas »
La « chasse » aux militants communistes de l’U.I.O.V.D. a coïncidé avec la grande offensive anticommuniste menée par le régime Duplessis, par suite de la promulgation en 1937 de la « loi du Cadenas », de sinistre mémoire. Cette loi, qui interdit toute propagande communiste sous peine d'emprisonnement, permet de cadenasser les locaux où la police soupçonne que l'on tient des réunions « communistes » ou « bolcheviques » et où l'on peut [398] distribuer des documents de même nature. Or, le sens des mots « communiste » et « bolchevique » n'est défini nulle part dans cette loi arbitraire qui permet au pouvoir de frapper toute opposition progressiste, ce qui sera le cas. La « loi du Cadenas » sera jugée inconstitutionnelle vingt ans plus tard, en 1957, par la Cour suprême du Canada.
À nouveau, la répression s'abat donc sur les membres du P.C. qui doivent travailler dans une sorte de semi-clandestinité. À l'automne 1937, l'escouade « antirouge » de la Police provinciale (la « P.P. » de Duplessis) entreprend une série de descentes dans des locaux et des résidences de militants du P.C. et d'autres organisations de gauche. C'est ainsi que la librairie autrefois gérée par Léa Roback, le Modern Bookshop, est cadenassée, en même temps que d'autres locaux du Parti. Léa Roback ne compte plus les perquisitions qu'elle a dû subir en vertu de la « loi du Cadenas » : « La police m'avait repérée quand je m'occupais de la librairie et le harcèlement a continué. Je regrette surtout les livres, de toutes sortes, qu'ils m'ont saisis et que je n'ai jamais retrouvés, entre autres les ouvrages de littérature ... »
La répression frappe aussi la campagne du Parti en faveur de l'appui aux républicains pendant la guerre civile en Espagne, campagne à laquelle Léa Roback participe activement, tant sa haine du fascisme est vive. « On n'arrivait pas à louer de salles pour tenir des assemblées, même quand le grand écrivain français Georges Bernanos est venu à Montréal pour parler en faveur des républicains. »
La Deuxième Guerre
La Deuxième Guerre mondiale éclate en septembre 1939 et peu après, le Parti communiste est à nouveau déclaré hors la loi en vertu de la Loi sur les mesures de guerre. Plusieurs de ses dirigeants sont arrêtés et les autres doivent entrer dans la clandestinité.
Le Parti est interdit parce qu'il s'oppose à l'effort de guerre, suivant en cela la stratégie de l'Internationale communiste. Staline a, en effet, signé avec Hitler un pacte de non-agression. [399] « On a eu du mal à comprendre ce pacte, dit Léa Roback, mais on nous a expliqué que c'était pour protéger l'Union soviétique contre les nazis, que c'était pour des raisons de haute stratégie, pour mieux permettre à l'U.R.S.S. de se préparer à lutter contre le fascisme. » Le pacte sera d'ailleurs dénoncé, en juin 1941, par l'attaque allemande contre l'U.R.S.S. Les communistes décident alors de soutenir à fond l'effort de guerre. Bien qu'encore officiellement interdit, le Parti soutient la politique de Mackenzie King et la « coalition des forces antifascistes ». La répression à son égard diminue et, en 1943, le P.C. reprend légalement ses activités sous le nom de Parti ouvrier-progressiste.
Depuis qu'elle a quitté le syndicat du vêtement pour dames en 1939, Léa Roback exerce divers emplois comme vendeuse dans des magasins. Elle continue de travailler au Parti dans la clandestinité, surtout auprès des femmes de la communauté juive avec Bella Gauld, et aussi avec les Canadiennes françaises.
RCA Victor
Au début de 1942, le Parti lui demande de reprendre son travail syndical, cette fois dans les industries de guerre qui sont en pleine expansion. Elle est embauchée comme ouvrière dans l'une des grandes usines converties à la production de matériel militaire, RCA Victor de Saint-Henri, propriété d'une multinationale américaine. L'usine emploie près de 4 000 personnes dont environ 40% sont des travailleuses.
- La compagnie avait de gros contrats, très payants, du gouvernement fédéral. On fabriquait des appareils radio pour l'armée et d'autres produits d'« engineering » militaire. On continuait, aussi, de fabriquer de petites radios de maison et des disques. Je travaillais sur la « ligne », la chaîne d'assemblage. On mettait les entrailles dans les radios avec un fer à soudure et des pinces.
En entrant à RCA Victor, l'objectif de Léa Roback est évidemment d'implanter un syndicat industriel dans cette vaste [400] usine qui avait résisté, jusque-là, à toutes les tentatives de syndicalisation. Elle sera aidée notamment par une autre militante du Parti, Rae Ruttenberg, qui s'était fait engager un peu auparavant.
Léa Roback parle avec passion de cette période où les femmes étaient embauchées en grand nombre dans les industries de guerre, accédant souvent au marché du travail pour la première fois, dans des emplois autrefois réservés aux hommes - mais à des salaires qui restaient largement inférieurs.
- À RCA Victor, on commençait sur la chaîne au salaire minimum de 25 cents l'heure pour les femmes et 35 cents pour les hommes. Le rythme de production était infernal. Tout était chronométré et on avait les « time-study men » aux fesses. Il fallait toujours aller plus vite à cause du « speed-up », de l'accélération des cadences. La chaleur était parfois insupportable. Les contremaîtres criaient des ordres en anglais. Toute la gérance était anglaise.
C'est dans ces conditions que Léa Roback commence son travail militant auprès de ses camarades :
- On entendait souvent les ouvrières dire : je prends les nerfs ! Et l'infirmière de la compagnie leur distribuait des pilules... Moi je disais aux filles : vas prendre un verre d'eau. Elles s'en allaient aux toilettes en pleurnichant et je filais avec elles pour essayer de leur faire comprendre : il y a moyen de s'en sortir, pas en pleurnichant mais en se donnant une union, un syndicat.
Le syndicat
Peu à peu, un noyau de militants et de militantes se forme. On commence à tenir des réunions d'organisation et à distribuer des tracts, souvent préparés dans la nuit.
- On a recruté de vrais unionistes. Je me rappelle de Charles Cormier, un bon machiniste. On le voulait comme président du syndicat mais il a fini par nous avouer qu'il ne [401] savait ni lire ni écrire. Eh bien, on lui a appris ! Finalement, le président a été Victor Walker, un coupeur de métal. Il avait commencé à travailler à l'âge de 14 ans comme mineur au Pays de Galles, puis au Cap-Breton. Il était secondé d'un autre homme extraordinaire, Albert Gauthier. On a formé un exécutif, avec autant de femmes que d'hommes. J'en étais membre.
Il a fallu un an de travail pour faire entrer le syndicat et signer un premier contrat en 1943. « Il n'y a pas eu de grève, dit Léa Roback, mais on a mis toute la pression à l'intérieur de l'usine. On arrêtait le travail, on manifestait dans les départements et on se rendait au bureau du directeur du personnel qu'on occupait. C'est une tactique qu'on a souvent utilisée dans les années suivantes. »
Le syndicat implanté à RCA Victor est affilié à la Fraternité internationale des ouvriers en électricité (A.F.L.), la « I.B.E.W. ». La fraternité était l'un des syndicats membres du Conseil des métiers de la métallurgie (« Metal Trades Council »), un regroupement d'unions de l'A.F.L. mis sur pied pour syndiquer les travailleurs et travailleuses des industries de guerre. Le Conseil était dirigé par Robert Haddow, un des leaders du Syndicat international des machinistes qui lança de grandes campagnes d'organisation et parvint à syndiquer au-delà de 20 000 ouvriers et ouvrières, notamment à l'immense avionnerie Canadair. « Bob » Haddow est également un militant du Parti communiste, tout comme d'autres dirigeants du Conseil (Jean Paré, Alex Gauld, Irving Burman, Phil Cutler, etc.). En fait, le « Metal Trades Council » était contrôlé par des militants du P.C. Son principal concurrent dans les industries de guerre, le Syndicat des métallurgistes unis d'Amérique (C.I.O.), était contrôlé par des militants du Parti social-démocrate (C.C.F.).
Les principaux leaders du Parti dans les syndicats sont également membres d'une commission syndicale du P.C. qui leur permet de coordonner leur travail. Selon Léa Roback, « c'est là qu'on a pris la décision d'aller syndiquer RCA Victor et d'autres grandes entreprises ».
Léa Roback n'est que l'une des nombreuses militantes du Parti qui ont implanté l'organisation syndicale dans les industries de guerre. On en retrouve d'autres dans les usines d'armements, les avionneries, les manufactures de chaussure, de [402] textile. C'est le cas notamment d'une jeune militante de moins de 20 ans, Danielle Cuisinier (Danielle Dionne), ouvrière à Defence Industries de Verdun, qui sera parmi les dirigeants d'une campagne de syndicalisation réussie chez les 2 000 ouvrières et ouvriers de cette fabrique de munitions. Elle deviendra représentante du Syndicat des machinistes (A.F.L.). Il y a aussi Charlotte Gauthier et Bernadette Lebrun, militantes à l'Union des travailleurs du cuir et de la fourrure (C.I.O.), un syndicat contrôlé par des membres du P.C. Et d'autres figures plus connues comme Madeleine Parent, qui animera avec Kent Rowley la campagne de syndicalisation des Ouvriers unis du textile d'Amérique (A.F.L.) dans les filatures de Dominion Textile à Montréal et à Valleyfield.
Le P.O.P.
Le Parti communiste est alors en pleine ascension, surtout dans les syndicats. Ses militants participent à plusieurs grèves combatives, notamment celle de plus de 20 000 ouvriers et ouvrières de l'avionnerie Canadair et d'autres entreprises du secteur de l'aéronautique, en 1943. Les communistes s'opposent cependant aux grèves spontanées qui pourraient nuire à l'effort de guerre.
En même temps, le P.C. reprend légalement ses activités sous le nom de Parti ouvrier-progressiste (P.O.P.), à l'été 1943. Léa Roback participe activement à la campagne électorale de Fred Rose, leader québécois du Parti, lors des élections partielles du 9 août 1943 dans Montréal-Cartier. Coup de théâtre : Rose réussit à se faire élire député à Ottawa, par une majorité d'environ 300 voix. Il recueille au total 5 784 suffrages. Fred Rose sera réélu lors des élections générales de 1945, par une forte majorité, avec 10 463 voix, soit près de deux fois plus qu'en 1943. Pour Léa Roback, « l'élection de Fred nous a montré que le travail patient et acharné finissait par donner des résultats ». Le premier candidat communiste qui s'était présenté dans Cartier en 1926, Michael Buhay, n'avait' recueilli qu'un peu plus de 600 voix. Pendant la guerre, Buhay sera élu conseiller municipal dans le même secteur.
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Le Parti ouvrier-progressiste défend une ligne politique « réformiste » et rassurante pour les électeurs. Tout en continuant de lutter pour l'établissement à long terme d'une société socialiste, le Parti insiste sur la nécessité de réformes plus immédiates qui répondent aux besoins et aux intérêts de la classe ouvrière. Il souhaite une union large de toutes les forces progressistes - y compris les libéraux - pour vaincre le fascisme et gagner la guerre. Selon Léa Roback, c'était là une ligne parfaitement justifiée dans les circonstances, et c'est la raison pour laquelle le Parti a fait des progrès, particulièrement en milieu canadien-français. Elle admet, toutefois, que le Parti n'a pas fait assez d'efforts pour bien comprendre la réalité du nationalisme canadien-français, la réalité du Québec comme société distincte, ce qui a conduit à une grave scission en 1947, avec le départ d'une partie importante des membres francophones.
Par ailleurs peu après la fin de la Deuxième Guerre, le Parti commence à subir les effets délétères de la « guerre froide » qui s'installe entre le bloc capitaliste, regroupé autour des États-Unis, et le bloc communiste, autour de l'Union soviétique. Le gouvernement fédéral, en vertu de la loi arbitraire des secrets officiels, met en accusation pour « espionnage au profit de l'U.R.S.S. » le seul député du P.C. à Ottawa, Fred Rose, et d'autres militants du Parti. Condamné en 1946 à six ans d'emprisonnement, Rose devra s'exiler par la suite dans sa Pologne natale.
- Le coup qu'on a porté à Fred et au Parti m'a fait extrêmement mal, raconte Léa Roback. C'était l'un de nos meilleurs leaders. J'ai alors senti que la bataille serait encore plus longue que prévue et j'ai eu parfois des moments de découragement. La guerre froide, le maccarthysme aux États-Unis, la chasse aux sorcières contre les militants communistes jusque dans les syndicats...
Les Ouvriers unis de l'électricité
À cette époque, Léa Roback travaille toujours à RCA Victor où elle est devenue agent de griefs pour son syndicat. Malgré des gains appréciables pendant la guerre, les ouvriers et [404] les ouvrières ont de moins bonnes conditions de travail et de moins bons salaires que leurs camarades de la même compagnie en Ontario. Les travailleurs ontariens de RCA - ainsi que de General Electric et de Westinghouse - sont membres d'un syndicat combatif, les Ouvriers unis de l'électricité, de la radio et de la machinerie d'Amérique (C.I.O.), mieux connus sous les initiales anglaises de « U.E. » (United Electrical). C'est un syndicat dirigé par des militants du Parti communiste.
En 1946, les syndiqués de RCA Victor à Saint-Henri décident massivement d'adhérer aux Ouvriers unis de l'électricité. Léa Roback est évidemment à la tête de la campagne d'adhésion. Les négociations s'engagent peu après entre la compagnie et le nouveau syndicat qui obtiendra, dans les années suivantes, les mêmes conditions de travail qu'en Ontario. « Nous avons brisé le mur de l'inégalité entre l'Ontario et le Québec dans l'industrie de l'électricité. Ça n'était pas apprécié des patrons ni du gouvernement Duplessis qui disait aux investisseurs étrangers que les ouvriers québécois étaient du 'cheap labor' docile et que les coûts de production étaient moindres ici. »
Léa Roback rend hommage au directeur québécois des Ouvriers unis de l'électricité, Jean Paré, un militant du P.C., qui a participé aux négociations. Paré, devenu représentant des « U.E. » en 1945, avait fait ses premières armes syndicales avec les machinistes. Il est demeuré membre du Parti communiste jusqu'à sa mort, en 1977.
La présence d'un « syndicat communiste » à RCA Victor n'était pas sans mécontenter non seulement les patrons, mais le gouvernement Duplessis qui prendra tous les moyens pour l'éliminer, avec l'aide de certains dirigeants de syndicats rivaux. En 1950, les Ouvriers unis de l'électricité sont exclus du C.I.O. aux États-Unis, puis du Congrès canadien du travail. En 1951, Duplessis déclare : « Cette Union est sous la direction des communistes et je ne permettrai pas qu'elle existe au Québec ! » En 1952, par suite d'un maraudage de la nouvelle Union internationale des ouvriers de l'électricité, l'« I.U.E. », créée par le C.I.O., la commission des relations ouvrières du Québec - créature de Duplessis - enlève leur accréditation aux Ouvriers unis de l'électricité à RCA Victor, même s'ils restent majoritaires dans l'usine. La Cour supérieure ayant déclaré cette désaccréditation illégale, Duplessis riposte en 1954 en faisant voter la loi 19, une [405] des pires lois anticommunistes. Cette loi, d'autant plus odieuse qu’elle est rétroactive à... 1944, permet de refuser ou de retirer son accréditation à un syndicat qui compte parmi ses dirigeants des personnes présumées ou soupçonnées d'être « communistes » ou d'avoir des « idées communistes ». Comme dans la loi du Cadenas - toujours en vigueur - ces termes ne sont définis nulle part.
Après ce coup de massue, les Ouvriers unis de l'électricité perdent finalement la bataille à RCA Victor et dans d'autres usines où ils étaient implantés. Plusieurs de leurs militants sont congédiés dont, à Saint-Henri, le président du syndicat, Victor Walker. Quant à Léa Roback, elle est « partie avant d'être congédiée », comme au syndicat du vêtement en 1939. « Ils ont tout fait pour me décourager. Ils m'ont changée de départements : je les ai tous faits, y compris l'expédition où j'étais la seule femme ! »
Le départ du Parti
Léa Roback continue durant toutes ces années à militer au Parti communiste, malgré la répression qui s'intensifie en raison de la loi du Cadenas que Duplessis fait appliquer rigoureusement par sa police. « J'ai connu des camarades qui déménageaient tous les soirs », dit-elle. Elle soutient les luttes menées par d'autres syndicats, notamment les deux grandes grèves à la Dominion Textile à Saint-Henri en 1946 et 1952, alors que Madeleine Parent et son mari Kent Rowley affrontent la répression policière, patronale, gouvernementale et même syndicale. Peu à peu, les militants communistes perdront les positions qu'ils détenaient dans les syndicats.
En 1955, Léa Roback est engagée à la nouvelle mission commerciale de la Pologne, à Ottawa, où elle travaillera durant trois ans. C'est alors que surviennent les révélations du XXe Congrès du Parti communiste de l'U.R.S.S. sur le stalinisme, ainsi que la répression qui marque les soulèvements populaires en Hongrie et en Pologne, en 1956.
Mais on n'abandonne pas facilement un parti au sein duquel on a milité pendant près de 30 ans. Ce n'est qu'en 1958, après y [406] avoir beaucoup réfléchi et à l'instar de plusieurs de ses camarades, que Léa Roback décide de quitter le Parti communiste. Décision douloureuse mais qui s'imposait, dit-elle : ce n'était pas le genre de socialisme pour lequel elle s'était battue pendant si longtemps. Toutefois, elle ne regrette absolument rien du temps où elle a milité au P.C. : « C'est grâce au Parti que j'ai réussi à faire les choses que je voulais faire. »
Et d'ajouter : « En quittant le Parti, je me suis dit : je vais rester militante. » Elle avait alors 55 ans.
Et c'est ainsi que depuis 25 ans, Léa Roback a continué de militer pour diverses causes qui, pour elle, se résument en un mot : le socialisme.
[1] Ce texte est le fruit d'une longue entrevue réalisée en juillet 1983. Il s'inspire également d'une autre entrevue (inédite) menée par François Touchette, étudiant en histoire à l'Université du Québec à Montréal.
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