Hubert Gerbeau [1937- ] *
Poète et romancier, Agrégé d’histoire et docteur d’État,
professeur d’université
Chercheur au CERSOI depuis 2002.
“LES INDIENS DES MASCAREIGNES.
Simples jalons pour l'histoire d'une réussite
(XVIle-XXe siècle)”. **
Un article publié dans l'Annuaire des pays de l'Océan indien, XII, 1990-1991, pp. 15-45. Éditions du CNRS / Presses universitaires d'Aix-Marseilles, 1992.
- Abréviations
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- Introduction
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- I. Liberté et esclavage des indiens aux Mascareignes
- II. D'un "nouveau système d'esclavage" à de nouvelles libertés
- III. L'intégration dans les sociétés locales
Ce texte est publié, dans sa version française, en 1992, mais nous devons rappeler qu'il tire sa substance d'une communication faite en 1989 devant des Indiens anglophones, parfois prévenus contre les acteurs et les résultats de la diaspora indienne, et peu familiers des Mascareignes. Il fallait présenter à ce public à la fois un bref panorama de l'histoire de l'archipel et quelques détails sur des sujets susceptibles de l'intéresser. Ceci n'excuse pas - mais explique - le caractère hétérogène de l'ensemble. Bien des aspects contemporains auraient, par exemple, mérité d'être développés : à Maurice, la diversité interne, les castes, l'Arya Samaj, l'impact de l'industrialisation, les relations internationales... ; à la Réunion, la "sanskritisation", les courants contradictoires face à la modernité, les relations avec l'Inde et Maurice ... Mais un volume n'y aurait pas suffi et on pourra se reporter aux travaux de spécialistes, qui se multiplient sur ces sujets. On fera une place spéciale à ceux qui travaillent sur la musique et les danses indiennes au Mahatma Gandhi Institute. On écoutera aussi des enregistrements : une partie de ceux réalisés par Monique Desroches, professeur d'ethnomusicologie à l'Université de Montréal, et par Jean Benoist ont été reproduits sur disque compact (Musiques de l'Inde en pays créoles, UMMUS, UMM 201, Canada, 1991)
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Abréviations
AAML
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Archives de l'Arrondissement Maritime de Lorient
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ADR
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Archives Départementales de la Réunion, Le Chaudron, Réunion
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ADR, Not
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Minutier des notaires conservé aux Archives Dép. de la Réunion
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AM
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Archives de 1’île Maurice, Coromandel, Mauritius
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AMAE
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Archives du Ministère des Affaires Étrangères, Paris
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AN
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Archives Nationales, Paris
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ANOM
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Archives Nationales d'Outre-Mer, Aix-en-Provence
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AP
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Archives de la Congrégation de la Propagande, Rome
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ASE
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Archives privées de la Congrégation du Saint-Esprit, Chevilly
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CERSOI
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Centre d'Études et de Recherches sur les Sociétés de l'Océan Indien, Aix-en-Provence
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CHEAM
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Centre des Hautes Études sur l'Afrique et l'Asie modernes
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CNRS
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Centre National de la Recherche Scientifique
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IGN
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Institut Géographique National
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IHPOM
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Institut d'Histoire des Pays d'Outre-Mer, Aix-en-Provence
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IOL
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India Office Library and Records, London
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MSA
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Maharashtra State Archives, Bombay
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P. P.
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Parliamentary Papers
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PRO, FO
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Public Record Office, Foreign Office Records, London
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PUAM
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Presses Universitaires d'Aix-Marseille
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Relations
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Actes de la Conférence Internationale France-Inde, 21-28 juillet 1986 (voir supra, no 35)
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RD
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Recueil de documents et travaux inédits pour servir à l'histoire de la Réunion, ADR, no 1-4, Nérac, G. Couderc, 1954-1960.
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RT
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Recueil trimestriel de documents et travaux inédits pour servir à l'histoire des Mascareignes françaises, 8 vol., A. Lougnon (éd.), Saint-Denis ou Tananarive, 1932-1949.
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SOAS
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School of Oriental and African Studies, London.
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Introduction
Localisé sur des cartes arabes avant l'arrivée des Européens, l'archipel des Mascareignes est connu précocement mais semble être resté désert jusqu'au XVIle siècle. Les Portugais le visitent entre 1511 et 1538. Les Hollandais prennent possession de Maurice en 1598, mais ne s'y installent qu'en 1638 [1]. Un fait troublant est rapporté lors de la prise de possession : on trouve sur l'île "300 livres de cire auxquels estoyent escriptes certaines lettres grecques". S'il semble douteux que ces caractères soient grecs, il n'est pas impossible qu'ils soient indiens, arabes ou phéniciens [2]. Faut-il y voir le signe d'une occupation antérieure ou d'un bref passage ? Les fouilles archéologiques et les textes occidentaux n'ont encore rien révélé sur ce point. Existe-t-il en Inde quelque tradition, quelque texte, qui feraient allusion à une présence indienne ancienne dans l'archipel ? La question pourrait aussi être posée pour les migrations malayo-polynésiennes, qui ont contribué au peuplement de Madagascar mais dont aucune trace n'a été retrouvée à Maurice ou à la Réunion. Quand les Français commencent à coloniser ces îles, elles sont, en tout cas, vides d'habitants. Maurice a été abandonné par les Hollandais en 1710, alors qu'après plusieurs prises de possession et occupations éphémères, Bourbon a vu s'installer de façon durable, en 1663, un petit noyau d'habitants. Ceux-ci s'intéressent à file voisine. En 1721, ils y envoient quelques hommes qui reçoivent, l'année suivante, des renforts de France [3].
Les hésitations et la modestie de ce début de colonisation s'expliquent par la petite taille de l'archipel et son éloignement de l'Europe, autant que par la médiocrité des ressources que l'on peut y commercialiser. Situées à l'est de Madagascar et traversées par le 20e degré de latitude sud, les Mascareignes représentent moins de 5 000 km2 de terres émergées, réparties entre trois îles. Rodrigues, la plus petite avec ses 110 km2, connaît elle aussi des tentatives malheureuses de peuplement, avant de recevoir un début d'implantation stable, dans la deuxième moitié du XVIlle siècle. Possession française jusqu'en 1809, elle est alors prise par les Anglais. Le même sort est réservé à Maurice (2 100 km2), en 1810. L'île, après s'être appelée pendant près d'un siècle Île de France, reprend le nom que lui avaient donné les Hollandais et conserve ses liens avec Rodrigues. La Réunion, ainsi appelée pendant la Révolution française, reprend son ancien nom de Bourbon jusqu'en 1848. Prise également par les Anglais en 18 10, elle est restituée aux Français en 1815. Malgré ses 2 512 km2 et la diversité de ses productions agricoles, elle intéresse en effet peu un colonisateur qui n'y trouve pas de port naturel pour ses navires.
L'immigration indienne est attestée dans l'archipel dès le XVIle siècle. Provoquée par la colonisation européenne, elle suit ses vicissitudes et ses progrès. Elle paie son tribut à l'institution servile dans les trois îles, mais naît à la Réunion alors que celle-ci ignore encore l'esclavage. Plus tard, elle s'insère dans le régime du travail sous contrat. Au cours d'une dernière étape, la population indienne s'intègre aux sociétés locales, avec des pourcentages et selon des modalités propres à chaque île.
I - LIBERTÉ ET ESCLAVAGE DES INDIENS
AUX MASCAREIGNES
Au cours de leur brève installation à Maurice, les Hollandais ont utilisé des esclaves, dont beaucoup venaient du Bengale et de la côte de Malabar. Le total en reste cependant modeste puisqu'on estime que l'ensemble de la population servile représente une vingtaine d'individus en 1656 et un peu plus de 80 en 1706 ; à cette date le peuplement culmine, atteignant quelque 300 habitants. Lors de leur départ de Maurice, en 1710, les Hollandais abandonnent des fugitifs qui s'étaient cachés dans les bois. Des esclaves indiens se trouvaient vraisemblablement parmi eux. Combien de temps survécurent-ils [4] ? À l'arrivée des Français, en 1721, un de ces Robinsons fut-il rejoint dans sa solitude par les premiers esclaves marrons de l'époque française, leur transmettant le souvenir de ses origines et la connaissance du milieu ? Rien n'atteste ce pont entre les deux colonisations, mais il serait piquant qu'il ait été établi par le peuple de l'ombre, victime - plus encore que les esclaves de la domesticité ou de la plantation - du silence de l'histoire. En 1728, en tout cas, la présence d'esclaves indiens est à nouveau attestée dans l'île [5]. Sous l'impulsion de La Bourdonnais (gouverneur des Mascareignes de 1735 à 1746), la population indienne augmente, tant par achat d'esclaves que par immigration volontaire. C'est à son époque qu'on voit, par exemple, ouvrir à Port-Louis des boutiques tenues par des orfèvres, des cordonniers et des tailleurs indiens [6]. Ces artisans viennent du sud de l'Inde [7]. Les relations commerciales nouées par La Bourdonnais avec la côte du Bengale favorisent en même temps une traite, dont les résultats vont être favorablement jugés. Ainsi l'amiral Kempenfelt note-t-il en 1758 :
- « The slaves who are from Bengal are generally for home service, they are of a docile character, therefore better qualified for domestic purposes than others [8]. »
L'intérêt rencontré à Maurice pour ce double courant venu de l'Inde se retrouve à Bourbon, où l'expérience du colonisateur français est plus ancienne. Le premier noyau de peuplement, qui comprenait en 1663 deux Français et dix Malgaches (sept hommes, trois adolescentes), a été renforcé, au cours des deux années suivantes, par l'arrivée de 20 puis de 200 Français, dont cinq jeunes filles [9]. En 1672, quinze "prisonniers noirs" sont débarqués par le Jules, qui revient de l'Inde [10]. En 1678, la présence d'au moins treize "Indiennes" est attestée [11], Le R.P. Bernardin, responsable spirituel, puis temporel de Bourbon - où il remplace deux gouverneurs morts à la tâche -écrit, que l'île comprend en 1686, outre 102 Blancs, douze "négresses indo-portugaises", douze "noirs indiens", 71 Malgaches, dont quatorze femmes mariées à des Français, et enfin 92 métis, dont beaucoup d'enfants, soit 187 personnes de couleur [12].
Le statut des premiers Indiens de Bourbon reste mal connu. Pendant un quart de siècle, la population blanche de l'île semble à la fois accepter les unions légitimes avec des femmes de couleur et ignorer l'usage du terme "esclave". Celui-ci apparaît pour la première fois dans un texte de 1687, qui concerne la vente faite à un habitant de Bourbon par un moine portugais de passage. L'objet de la transaction est un jeune Indien [13]. En 1708, sur les 268 esclaves adultes présents dans l'île, on compte 197 hommes, dont 36% viennent de l'Inde ; la même origine est attribuée à 20% des 71 femmes [14]. Des libres ne tardent pas à grossir cet apport : le gouverneur Dumas ramène en 1729, de Pondichéry, 150 esclaves mais aussi 95 ouvriers volontaires. Parmi ceux-ci figurent de nombreux maçons et charpentiers. En 1733-1734, sont recensés sur un domaine agricole que Dumas vient de vendre, treize Indiens "engagés". Munis d'un contrat, ces travailleurs préfigurent les "coolies" du XIXe siècle. On leur garantit nourriture, salaire et retour en Inde. Celui-ci tarde parfois et la famille exprime son inquiétude auprès des autorités de Pondichéry. Plus que des conditions de travail, certains de ces Indiens se plaignent qu'on leur interdise de pratiquer leur religion [15].
Cette religion est, pour une majorité d'entre eux, l'hindouisme, mais les musulmans sont précocement présents, surtout à l'île de France. La Bourdonnais, en effet, conscient des qualités portuaires de l'île, a décidé d'y favoriser la vie maritime. Il a fait lui-même appel à des "Lascards", tant pour le cabotage que pour les réparations navales. "Un grand nombre de "musulmans Lascards" se voient à tort désigner du terme de "Malabards", écrit Musleem Jumeer, qui ajoute qu'une "entente parfaite règne entre ces deux groupes d'origine indienne" [16]. Plus libres peut-être de leurs mouvements que les travailleurs restés à terre, les "matelots Lascards" respectent jalousement "leur mode de vie indienne islamique" [17]. Quant aux Indiens catholiques, libres ou esclaves, leur nombre est difficile à préciser, en raison de problèmes méthodologiques que nous évoquerons plus loin.
La petite île Rodrigues offre un exemple intéressant de cohabitation entre Indiens de religion, de spécialité et de statut différents. Parmi eux, on rencontre, comme à l'Île de France, des matelots. S'ils sont libres, ceux-ci reçoivent 25 livres par mois ; esclaves, ils en touchent encore cinq [18]. En l'occurrence, l'étonnant n'est pas qu'un homme libre gagne cinq fois plus d'argent qu'un esclave, mais que ce dernier reçoive un salaire - dont son statut le prive habituellement. Prime accordée à la spécialisation, ou somme attribuée à l'esclave marin pour qu'il participe à son propre entretien ? L'une et l'autre hypothèse sont valorisantes pour des hommes qui, malgré l'esclavage, reçoivent ce signe monétaire de la reconnaissance d'un talent et, peut-être, d'une relative autonomie. Les travaux de la mer apporte souvent une liberté d'allure que la société coloniale se résigne à tolérer. Ceci est visible même à Bourbon, dont la fonction est plus agricole que maritime mais où l'océan reste perçu comme l'indispensable lien avec le monde. C'est bien ainsi que le conçoivent les esclaves eux-mêmes qui, malgré les précautions prises, obtiennent parfois une complète émancipation grâce à un voyage en France ou à un séjour, légal ou illégal, dans une île voisine [19].
L'activité indienne aux îles ne se limite pas à la mer et aux secteurs de l'artisanat et du commerce déjà évoqués. Les archives notariales et les témoignages laissés par les habitants et les voyageurs permettent de constater l'étendue des domaines où interviennent des Indiens. Libres, on les verra aussi bien forgerons que surveillants, garçons de course ("pions") qu'hommes de peine ("coulis"), ou interprètes. C'est d'ailleurs un "chef interprète", appelé Raina qui, en 1773, parvient à acheter un terrain à l'île de France. A cette époque bien d'autres Indiens sont déjà propriétaires d'esclaves. Le fait ne semble guère indigner que des religieux, lesdits esclaves se trouvant baptisés et achetés par des "païens" [20]. Quand les Indiens sont eux-mêmes esclaves, on tire volontiers parti de leur aptitude pour les travaux domestiques (cuisinier, lingère...) ou artisanaux (cordonnier, maçon...). Certes, les travaux agricoles, tâche servile par excellence, leur sont aussi confiés ; mais, dans les cas que j'ai pu étudier à Bourbon, seulement la moitié des esclaves venus de l'Inde travaillaient la terre, alors que s'y consacraient, toutes ethnies confondues, environ les cinq sixièmes de la population servile [21].
Un observateur attentif, comme l'est Milbert au début du XIXe siècle, insiste sur la douceur, l'honnêteté, la propreté des domestiques choisis parmi les esclaves indiens. Certains de ces derniers, ajoute-t-il, sachant lire, deviennent de très bons ouvriers que l'on emploie de préférence "à des ouvrages qui demandent du soin et du raisonnement", car "leur adresse et leur intelligence surpassent de beaucoup leurs forces corporelles" [22]. Cette spécificité contribue-t-elle à leur rendre la servitude plus insupportable ? Le suicide semble plus fréquent dans leur groupe que dans les autres ethnies [23]. Ainsi, tel maître qui avait fait "donner bien légèrement 25 coups de fouet" à une jeune esclave, arrivée depuis deux semaines de l'Inde et soupçonnée de vol, s'en avoue marri : Frasie, 16 ou 17 ans, s'est pendue le lendemain de la punition [24], Plus avisés, certains employeurs savent adapter les sanctions : pour le tout-venant du capital servile, le fouet ou la prison ; pour les Indiens, des mesures vexatoires. On leur retire leur fonction :
- "(the) sense of honor prevails, especially in those of Indian origin Degradation from the rank of commander is their punishment" [25].
On bafoue une de leurs traditions :
- "La plus grande punition qu'on puisse infliger à un esclave indien, c'est de lui couper les cheveux" [26].
Par ces cheveux, portés longs, mais aussi par les traits du visage, les Indiens sont semblables aux Européens, estime d'Unienville [27]. Le compliment, adressé par un insulaire blanc à ses voisins asiatiques, est de poids, dans la perspective ethnocentriste de l'époque.
Sur le chapitre de l'esthétique, Milbert ne tarit pas d'éloges : les esclaves indiens sont "les plus beaux et les mieux faits" et les femmes indiennes le jettent dans l'hyperbole Il en rencontre une dont un planteur a fait son esclave et sa compagne. Sa peau, écrit-il, est "plus blanche que cuivrée", ses formes sont telles que "le ciseau d'un Phidias" n'aurait pu. les arracher au marbre, "aussi élégantes, aussi parfaites" [28]. Les Européennes apprécient d'ailleurs peu ces dangereuses rivales. La tradition orale reste prolixe sur le combat mené pour limiter les occasions de rencontre entre le chef de famille et les jeunes domestiques indiennes. Une des victoires, dont se félicitent ces dames, est la suppression des "loges", petites pièces situées à l'écart de la maison principale. Des lingères y travaillaient, auxquelles le maître venait trop souvent confier des ourlets à refaire ou des boutons à recoudre [29].
Quelques Européens se souviennent aussi que leur religion à donné comme justification à l'esclavage d'y compenser la servitude du corps par la libération de l'âme : ils s'employent donc à sauver celle-ci. Mais, si les relations que le travail ou la luxure inclinent à nouer exigent peu de vocabulaire, l'apprentissage d'un Dieu nouveau en réclame davantage, surtout quand les intéressés rechignent à changer de religion. En 1829, un seul des dix prêtres catholiques que compte Maurice est apte à réaliser un véritable apostolat auprès des Indiens. Il est en effet le seul qui possède "quelque connaissance de la langue Malabare et s'exprime parfaitement dans le patois du pays" [30]. Il y a peu de mérite, étant né dans l'île.
L'ordre étant assuré, les Européens sont assez convaincus de la supériorité de leur modèle culturel pour l'offrir en idéal -voire pour le partager dans des limites qui les gênent peu. Leur Dieu est du nombre. À Port-Louis, l'action auprès des Indiens libres est facilitée par leur regroupement dans un faubourg, auquel ils ont donné leur nom dès 1781 [31]. La paroisse catholique de la ville dispose pour sa part d'une Il succursale appropriée aux Indiens Malabares" [32]. Ce "Camp des Malabars" est une tentation pour les esclaves indiens fugitifs, qui doivent espérer que la similitude physique leur permettra d'échapper aux poursuites [33]. Comptent-ils aussi sur une certaine solidarité ethnique ? Il n'est pas certain qu'ils rencontrent beaucoup d'Indiens libres prêts, pour les aider, à enfreindre les lois du pays d'accueil ? Celui-ci les pare de toutes les qualités tant qu'ils restent soumis ou minoritaires. Si le nombre ou les prétentions des immigrants augmentaient, qu'en serait-il ?
Pour peu nombreux que les Indiens soient à Saint-Denis à la fin du XVIlle siècle, il est clair que des réticences se manifestent dès qu'ils prétendent - profitant des décisions des Révolutionnaires parisiens - se mêler plus étroitement à la population d'origine européenne. La Réunion répond par l'inertie à l'arrêté de la Constituante du 15 mai 1791 et aux pétitions rédigées par les "Créoles et indiens libres" de Saint-Denis en octobre de la même année. Manifestement, l'Assemblée coloniale ne souhaite pas régler dans l'île la question du statut politique des Libres de couleur. Le service dans la Garde nationale est l'occasion d'incidents qui surviennent entre Blancs et non-Blancs mais aussi entre membres de ce dernier groupe, par exemple à l'occasion d'incorporations dans la "compagnie des malabards". Au théâtre, des "femmes de couleur mariées à des blancs" veulent-elles s'installer aux places où, d'habitude, ne viennent que des Blancs, le tumulte éclate, La municipalité dionysienne ramène le calme en décidant, en février 1792, qu'au moins provisoirement ces femmes n'auraient accès qu'aux "places réservées aux Libres de leur race" [34].
Ces incidents, même s'ils restent sans gravité, témoignent de la complexité des relations établies aux Mascareignes entre groupes d'origines diverses. Les Indiens, libres et esclaves, sont utiles, donc bien acceptés, mais la société blanche entend maintenir les barrières qui garantissent sa suprématie. Ceci étant rappelé, individus et influences circulent. Plusieurs des communications présentées à la "Conférence internationale France-Inde", tenue à la Réunion en 1986, ont apporté sur ce point des précisions capitales [35].
Urbain Lartin a montré la diversité des métiers exercés par les Indiens de Bourbon et la réussite précoce de certains. A côté des travailleurs venus avec des contrats de trois et, parfois, six ans, figure une population d'Indiens créolisés, dont certains sont métis. Cette population fixée dans l'île provient aussi bien d'ouvriers libres qui ont prolongé leur séjour et d'esclaves affranchis, que d'Indiens venus à titre individuel exercer la profession de leur choix. Ces derniers arrivent assez nombreux après le traité de Paris de 1763, familles ou individus partis des Comptoirs français, mais aussi de Madras, de Bombay et du Bengale. Ainsi, en 1815, Marie-Suzanne, née à Chandernagor, et à Bourbon depuis 1769, est couturière ; Marie Casaubon, née au Bengale et arrivée en 1794, exerce la même profession et possède six esclaves. Moussdine, né à Bombay est "pion du gouvernement", Marie Louise, de Madras, est marchande. David, comme sa femme, vient du Bengale, ils ont trois enfants ; arrivé en 1794, David est perruquier et, en 1815, est déjà propriétaire de deux maisons à Saint-Denis. Certaines familles sont fières de l'ancienneté de leur présence dans l'île, comme les Ramalinga, dont un des descendants emploie, en 1777, un économe européen pour gérer ses biens, qui comprennent des terres et 28 esclaves, dont deux Indiens [36]. Installées à Bourbon dès novembre 1678, douze Indiennes figurent même, avec quelques Malgaches, de "Portugaises des Indes" et de Françaises, parmi les épouses des premiers colonisateurs européens [37]. Une partie de leur descendance, d'abord qualifiée de métisse, semble se trouver bientôt rangée parmi les Blancs. J'ai émis l'hypothèse que ce tour de passe-passe avait pu être préparé par des Blancs, désireux de renforcer leurs rangs devant les menaces d'anéantissement que les complots des Malgaches de Bourbon faisaient peser sur eux ; le changement se situerait entre 1686 et 1690. Estimée, on l'a vu, par le R.P. Bernardin, à 102 Blancs et 187 personnes de couleur en 1686. la population passe à 212 "Blancs" et 102 "Noirs" dans le dénombrement de 1690. Rare exemple, sans doute, dans l'histoire, d'une manipulation génétique qui, pour n'avoir été réalisée que sur le papier, a pu modifier un équilibre de forces [38]. Ce glissement vers la blancheur pourrait, s'il n'était décrypté, faire supposer qu'en quatre ans une centaine de Blancs ont immigré et que presque autant de gens de couleur ont disparu. À cette première erreur, la multiplication de prénoms chrétiens chez les Indiens de l'archipel risquerait d'en faire ajouter une seconde, celle de conversions systématiques. En fait, comme le note Mgr Amédée Nagapen, dans la population servile toutes les femmes indiennes et nombre d'hommes portent un tel prénom, mais qu'il n'est "aucunement signe de baptême" [39]. Il n'est même pas certain qu'il le soit pour la population libre. Certains de ses membres sont en effet issus, par affranchissement, du groupe esclave. Or les prêtres lazaristes, qui ont la charge des Mascareignes jusqu'au début du XIXe siècle, préfèrent renoncer à baptiser les esclaves adultes, plutôt que de courir le risque de les faire vivre dans l'état de péché mortel, dont la condition servile - notamment par le concubinage - est souvent l'occasion [40]. Certes, il y a aussi des Indiens catholiques : esclaves baptisés à la naissance ou convertis ; libres qui ont suivi le même itinéraire, ou qui sont arrivés de l'Inde, étant déjà catholiques. Parmi ces derniers figurent les Topazes, métis francophones nés en Inde de mère indienne et de père français, mais aussi des Indiens des Comptoirs, notamment ceux de Pondichéry. Cette communauté exprime une dévotion particulière à Saint-François-Xavier, apôtre de l'Inde du Sud. Si, chez les libres, la déculturation est moins poussée que chez les esclaves, l'équilibre reste difficile à maintenir entre les apports indiens et la culture européenne dominante. Aspirant "à un christianisme à visage indien (...) les indo-catholiques" semblent avoir réussi "une expérience de transculturation" à l'île de France [41].
Dans l'ensemble de l'archipel, non seulement les formes de piété mais le simple comptage des fidèles et, bien sûr, la nature et l'intensité de leur foi posent problème aux chercheurs. L'habitude de l'époque de confondre, sous le même terme "Malabards", hindous et catholiques, complique toute tentative de classement. Parfois, un document apporte une précision intéressante mais inattendue : l'exploitation statistique en reste impossible. Ainsi, Suzanne Combra, arrivée à Bourbon en 1792, est désignée comme "bonne chrétienne", dans la rubrique "Profession" de la feuille de recensement de 1815. Jean-Baptiste Tandraya, en revanche, semble être resté hindou, puisque son acte de décès mentionne que c'est selon ce rituel qu'il a été marié. Or non seulement le prénom mais le fait qu'il soit né à Pondichéry auraient pu faire penser que cet Indien, mort à Saint-Denis en 1794, était chrétien [42]. Les hindous, écrit Mgr Nagapen, "conservèrent leur religion à leur arrivée" mais, pour des raisons pratiques et légales, "se cantonnèrent dans une religion pratiquée au sein du foyer et de la famille, sans pouvoir déboucher sur la voie publique" [43] Ce caractère quasi-confidentiel du culte, joint à quelques interpénétrations sur les franges des deux religions, incite donc à nuancer toute affirmation.
Les musulmans, nous l'avons vu, sont parfois confondus eux-mêmes avec les autres Indiens, sous l'appellation globale de "Malabards". Leur groupe pourtant est mieux délimité. À Bourbon, les "lascars de religion mahométane" pratiquent leur culte librement et ont leur propre cimetière [44]. À l'île de France, les musulmans, qui opposent une "fin de non-recevoir à toute pression sociale d'acculturation", reçoivent en 1805 de Decaen l'autorisation d'acheter un terrain pour y édifier leur première mosquée [45].
Ainsi l'apport des premières générations d'Indiens arrivés ou nés aux Mascareignes est loin d'être négligeable. Sans doute, la déculturation des esclaves y est-elle plus marquée que celle des libres et, parmi ces derniers, les musulmans résistent-ils mieux que d'autres aux sollicitations du groupe dominant. Au début du XIXe siècle, les communautés indiennes, comme l'a montré Sadasivam Reddi, font preuve de leur attachement à bien des traditions, dans le domaine de la religion, de l'organisation sociale, de la langue, des habitudes alimentaires, du costume et des loisirs [46]. Certes la vitalité peut en sembler menacée à brève échéance : la créolisation, le retour en Inde de nombreux libres, le ralentissement des arrivées serviles sont autant de signe du fléchissement d'une population. Son poids démographique reste d'ailleurs difficile à chiffrer. Entre les débuts de la traite, au XVIle siècle, et 1810, Jean-Michel Filliot estime que 160 000 esclaves ont été introduits dans l'archipel ; parmi ceux-ci, 13% seraient indiens, soit plus de 20 000 individus [47] En 1826, pour autant que les estimations, souvent fantaisistes du nombre d'esclaves permettent ces précisions, ils seraient 2 351 à Maurice pour une population totale de 87 000 habitants - dont 64 000 esclaves [48]. À Bourbon, la même année, ils seraient environ 1 800, sur une population de quelque 85 000 personnes - dont 63 000 esclaves, soit moins de 3% de ces derniers [49]. Il est difficile de préciser quel est, vers la même époque le nombre d'Indiens libres dans l'archipel. Tout au plus peut-on supposer que, dans les années 1 800, à l'Île de France, ils sont plus nombreux que les Indiens esclaves [50]. Le quasi-silence des documents sur l'évolution de leur groupe signifie-t-il que le grand moment des relations entre l'Inde et les Mascareignes appartient déjà au passé ?
Au XVIlle siècle, une dizaine de vaisseaux français pénétraient dans l'Océan Indien chaque année, et la plupart allaient jusqu'en Asie [51]. Cependant le grand dessein indien, auquel La Bourdonnais avait voulu associer l'archipel, base militaire et commerciale, s'achevait dans la désillusion [52]. Certes, à la fin du siècle, quelques Français pouvaient encore rêver à des projets indiens. Mais, en décidant, en 1784, d'installer à Port-Louis, et non plus à Pondichéry, le siège du gouvernement général des établissements français au-delà du cap de Bonne-Espérance, le roi paraissait trancher en faveur d'une stratégie où l'Inde serait moins présente [53]. Il appartenait à une nouvelle époque de ramener l'attention des habitants de l'archipel, et avec eux d'une partie de l'opinion européenne, vers les immenses ressources de l'Inde.
II. - D'UN "NOUVEAU SYSTÈME
D'ESCLAVAGE" À DE NOUVELLES LIBERTÉS
Pendant les premières décennies du XIXe siècle, l'orientation des Mascareignes vers une production sucrière exigeante en main-d'œuvre pousse les planteurs à réclamer toujours plus de bras à la traite négrière. L'interdiction de celle-ci conduit à un trafic illégal d'esclaves mais aussi à des formules de travail libre quand il devient certain que, pour les métropoles, la fin de la traite est le prélude à la fin de l'esclavage. Madagascar et l'Afrique, les pourvoyeurs les plus proches, ne suffisent pas à satisfaire l'appétit de planteurs qui, comme l'avaient fait leurs ancêtres, songent à l'Inde pour en recevoir un renfort de peuplement. Poursuivant leur quête plus loin encore vers l'est, les trafiquants vont aussi ramener aux Mascareignes de pleines cargaisons humaines de l'archipel malais.
Nous avons vu dans un précédent article combien ces apports clandestins ajoutent d'incertitudes aux estimations que l'on voudrait tenter du groupe indien [54]. À Bourbon, par exemple, lors des recensements, esclaves indiens et malais sont confondus dans une même rubrique. Ce regroupement peut se justifier de diverses façons : faible total des deux groupes, proximité supposée de l'Inde et de l'Insulinde vues de la Réunion sous un commun dénominateur asiatique, laisser-aller des auteurs de déclarations. La raison la plus impérieuse est sans doute moins innocente : en entretenant la confusion entre des individus depuis longtemps installés dans l'île et d'autres, qui ne devraient pas s'y trouver, on masque d'autant mieux les entrées frauduleuses. Mais les archives notariales aident à déceler ce que les recensements dissimulaient, et mettent en évidence la présence de jeunes esclaves malais des deux sexes aux côtés d'esclaves indiens en voie de disparition. Des documents consacrés aux zones de départ, et conservés en Inde et au Royaume-Uni, confirment l'ampleur d'un trafic que j'avais essayé d'appréhender dans la zone d'arrivée [55]. Plus important encore s'avère un autre amalgame pour qui veut comprendre la genèse du regard que les insulaires vont porter sur la communauté indienne à partir du XIXe siècle.
L'ambiguïté qui s'attache aux notions de "noir" et d'“esclave” est manifeste, non seulement dans les traditions orales mais aussi dans les textes. Une confusion générale semble présider à la distribution des statuts et de la couleur ; les uns affirment esclaves des travailleurs indiens qui sont libres ; d'autres disent libres des esclaves [56]. On désigne comme "noirs" des gens qui sont clairs, voire blancs [57]. Comme pris dans un jeu de miroirs, la servitude, la couleur, le travail de la terre se renvoient leurs images et mêlent les attributs dont la société coloniale les charge. D'un même élan est proclamé infâme mais indispensable à la survie des îles celui qui en assure la subsistance. Qui saisit l'outil est saisi par lui : l'Indien libre que l'on fait venir pour remplacer l'esclave sur la plantation est assimilé à l'homme dont il accomplit le travail, c'est-à-dire au "pioche", considéré comme le plus fruste des produits de la traite. Certains de ces Indiens et de leurs descendants semblent eux-mêmes douter de leur liberté, surtout sur une plantation sucrière, où le conscient et l'inconscient se sont longtemps donné la main pour perpétuer des rituels de soumission, d'autant plus prégnants qu'ils s'insèrent dans une prise en charge totale de l'individu au sein dune société bipolaire. Société de plantation bien étudiée aux Antilles, précocement vouées au sucre, société dont le poids économique et politique est mieux connu à la Réunion, depuis les travaux de Jean Benoist [58]. Que pèsent de telles structures, que l'analphabétisme, la misère, renforcent le mépris que l'on a de soi-même, parce qu'on le lit dans les yeux de l'autre, qui s'en étonnerait ? Fanon, dans son Peaux noires, masques blancs, a bien montré que criant : "Sale nègre !", le Nègre adopte les canons d'évaluation du Blanc. Aliéné, au point d'oublier parfois, ou de nier, qu'il appartient au groupe maudit, il y est ramené à tout instant, "nègre" malgré lui. Ainsi en est-il peut-être du travailleur de la plantation réunionnaise avec la notion d'esclavage, jusque vers une époque comprise entre le début et le milieu du XXe siècle.
Dès le 15 février 1840, Lord Russell ne suggérait-il pas, du côté des colonies britanniques, un itinéraire de même nature, quand il déclarait :
- "I should be unwilling to adopt any measure to favour the transfer of labourers from British India to Guiana... I am not prepared to encounter the responsibility of a measure which may lead to a dreadful loss of life on the one band, or, on the other, to a Dew system of slavery" [59].
Formule inspirée, qui allait servir d'axe, et fournir son titre, au livre d'Hugh Tinker. À plus de 130 ans de distance, on pouvait supposer le débat clos, par la formule même qui l'avait pratiquement inauguré. Des travaux, présentés en 1982 au colloque de Leiden ont montré qu'il n'en était rien, qu'il s'agisse de ceux de J.-L. Miège sur Maurice [60] ou de P.C. Emmer sur le Surinam [61]. Sans avoir la violence des controverses soulevées par des travaux qui remettaient en cause le dogme de la non-rentabilité de l'institution servile [62], les désaccords continuent à s'exprimer sur le bilan de l'engagisme. La diversité des situations locales, le mélange de la subjectivité et des indicateurs mesurables, le fossé qui existe entre le droit et le fait, ne facilitent pas les recherches. Le silence des intéressés est moins profond que celui des esclaves, ne serait-ce que grâce à l'obligeance des consuls britanniques qui flétrissent dans les colonies françaises et hollandaises, l'esclavagisme des employeurs, En 1884, le consul en poste à Paramaribo estime que "the Surinam planters... found in the meek Hindu a ready substitution for the negro slave he had lost" [63]. À Saint-Denis, le langage est analogue : trop de planteurs réunionnais maltraitent leurs engagés et, refusant de recruter suffisamment de femmes. sont responsables de l'augmentation de la prostitution et de l'homosexualité [64].
La contamination du travail libre sous contrat par les pratiques du travail servile a été d'autant plus facile aux Mascareignes que les premiers engagés furent appelés à Bourbon dès 1828, c'est-à-dire vingt ans avant l'abolition de l'esclavage, et dès 1829 à Maurice. Certes, on l'a vu, des travailleurs sous contrat étaient venus au XVIIIe siècle, mais la situation de l'archipel était désormais très différente. D'une part, l'institution servile était menacée : Londres imposait le bill d'émancipation en 1833 ; Louis-Philippe préparait une mesure analogue, que faisait voter, peu après la chute du roi, la Seconde République. Il ne s'agissait donc plus de faire venir quelques centaines d'artisans mais, par dizaines de milliers, des travailleurs agricoles. Le coolie trade naissait et Bourbon avait donné, sans le savoir, le coup d'envoi d'un gigantesque mouvement d'émigration asiatique. D'autre part, les Mascareignes étaient en train de mettre en place un nouveau paysage, celui du sucre. La canne, qui avait été l'objet d'une modeste exploitation jusqu'au début du XIXe siècle, envahissait les meilleures terres, exigeant, ainsi que les moulins à sucre, toujours plus de bras, comme on l'avait observé, dès le XVIle siècle, aux Antilles. Mais le contexte était fondamentalement différent : aux Antilles, une traite encouragée, un esclavage en plein essor, aux Mascareignes, une traite interdite, un esclavage moribond. Seul un trafic clandestin y soutenait encore une institution, sur laquelle était tentée, en même temps, une greffe de travailleurs libres. Ces deux apports d'hommes nouveaux ignorant tout des coutumes locales, se mêlaient sur les plantations, confondus dans un même mépris, soumis à la même pédagogie, rude et expéditive [65].
André Scherer décrit ainsi ces débuts :
- "La vie quotidienne de l'engagé indien était la même que celle de l'esclave (...). Il a même dû arriver souvent que l'Indien prenne dans l'échelle sociale une place inférieure (...), les 'bandes' d'Indiens étaient commandées par des esclaves, situation juridiquement curieuse mais qui découlait de la connaissance qu'ont les vieux serviteurs des habitudes de la maison. Cette position inférieure, cette assimilation de l'homme libre à l'esclave dut être fortement ressentie par les Indiens qui tentèrent d'y échapper soit par la force soit par le vagabondage." [66]
Vagabondage et révolte, deux des voies par lesquelles les engagés affirment leur dignité d'hommes libres - et préparent, d'une certaine façon, leur future promotion - sont durement réprimés. Répression exercée sur les plantations par les commandeurs esclaves, à l'extérieur par les autorités [67].
- "Dans quelques quartiers, écrit le gouverneur Duval d'Ailly, le mécontentement des Indiens a été tellement excité par le défaut de solde et même de nourriture que ces hommes d'un caractère si paisible et si timide dans leur pays en sont venus à des voies de fait et presque à une révolte que l'on n'a pu calmer que par l'emploi de la force". [68]
Un autre gouverneur, Graeb, note - l'année de l'abolition de l'esclavage - qu'un esclave sur 300 a été déféré à la justice, alors que parmi les libres, un Chinois sur 13 et un Indien sur 60 l'a été [69]. Des conclusions sur la délinquance des engagés asiatiques se sont multipliées à partir de telles statistiques. La réalité est plus complexe. D'une part, elle inclut la justice domestique que le maître exerce sur ses esclaves, et qui échappe au décompte des autorités ; d'autre part, elle comporte, dans le cas des engagés, les ripostes aux injustices dont ils s'estiment victimes. L'analyse de Duval d'Ailly montre bien par quel processus on passe des fautes des employeurs à la révolte des travailleurs libres et à l'intervention des autorités. Celles-ci peuvent avoir conscience que les coupables, qu'elles punissent pour rétablir l'ordre public, sont parfois des victimes. D'ailleurs la justice domestique s'exerçant - bien qu'illégalement - aussi sur les engagés, nombre de leurs fautes sont, comme celles des esclaves, punies par l'engagiste sans publicité. SI la publicité existe, elle peut surtout témoigner du bon droit de "coupables", auxquels on reproche surtout de ne pas être assez esclaves, Cette hypothèse, que j'avais eu l'occasion de formuler au colloque de Sénanque, en 1978, se trouve confirmée et illustrée par l'étude de J.-C. Laval. [70]
Alors que les conditions de vie évoquent l'esclavage, les conditions de transport évoquent la traite : le voyage du Striana Pourana en témoigne. Parti de Yanaon il met 105 jours pour atteindre Bourbon, avec 98 engagés, "un chargement de riz, dattes et toileries" et son équipage, alors que son port n'est que de 78 tonneaux. L'entassement ayant favorisé la contagion, les Indiens souffrent d'une "affection galeuse affreuse" quand ils débarquent [71].
Si, à Maurice, la cohabitation avec les esclaves est moins longue, le poids des habitudes pèse sur les employeurs :
- "The planters of Mauritius, long accustomed to a mentality of coercive control over slaves, tended to overlook the fundamental difference between. these new recruits and their former labourers. Nicolay found that he had to inform prospective importers that Sunday work, unlimited hours, and corporal punishment were illegal". [72]
La différence entre les deux îles tient surtout aux ensembles rivaux dont elles font désormais partie. Seule l'île Bourbon est rendue à la France en 1815. Maurice et sa dépendance Rodrigues restent anglaises. Si la fin des guerres de la Révolution et de l'Empire marque un relatif apaisement entre les deux puissances coloniales, elle laisse la France bien affaiblie, notamment dans l'océan Indien. La remise en cause du traité de Paris de 1763 semble définitivement écartée. Tandis que Maurice peut espérer recevoir des travailleurs de vastes secteurs de l'Inde, Bourbon ne pourra compter que sur les minuscules comptoirs français et sur la fraude, jusqu'aux accords franco-anglais de 1860-1861, qui lui accorderont un droit de recrutement en territoire britannique. A partir de cette date, nombre de départs se font de Pondichéry, mais aussi de Calcutta et de Madras [73].
Comprenant, après l'émancipation de 1848, que des apports indiens aussi limités ne pourraient suffire à leurs plantations, les Réunionnais avaient entrepris une quête à travers le monde pour trouver des engagés. Sollicitant l'Irlande et la France, le secteur de la mer Rouge, la Chine et même les îles du Pacifique, pour finalement découvrir que leurs principaux fournisseurs d'esclaves du XIXe siècle, l'Afrique Orientale et Madagascar, pouvaient aussi devenir leurs meilleurs fournisseurs d'engagés. Le système avait fonctionné pendant une dizaine d'années, à la satisfaction des planteurs. Moins satisfaite, l'opinion internationale, notamment en Angleterre, cri aient à la traite illégale. Interdites, les arrivées d'“Africains” n'avaient pu continuer qu'à petite échelle et plus ou moins clandestinement [74]. Cette interdiction avait poussé les planteurs à accepter les exigences britanniques, à partir de 1860, c'est-à-dire à s'accommoder d'Indiens dont les droits étaient plus étendus et dont la protection était mieux assurée [75]. Mais de nouveaux abus allaient se produire et le recrutement en Inde allait, à son tour, se trouver interdit [76]. Au total, en 1885, 117 813 engagés indiens avaient été immatriculés par le service de l'Immigration. Ils étaient les principaux artisans de la progression sucrière de la Réunion, passée de 21 tonnes en 1815 à 30 000 tonnes en 1846 et à 73 000 tonnes en 1860, avant de connaître une crise due à de multiples facteurs [77]. Dans les auréoles sucrières qui ceinturent la Réunion, on pouvait suivre la concentration de ce peuplement indien, commune par commune, grâce aux statistiques et aux rapports fournis chaque année par les maires [78].
Les Tamouls formaient la plus grande partie des immigrants indiens de la Réunion, mais à Maurice ces derniers venaient surtout du Nord de l'Inde et en particulier du Bihar. Après les timides essais de 1829, les planteurs franco-mauriciens, profitant de leur implantation dans une colonie britannique, avaient pu, beaucoup plus que leurs cousins et leurs amis de Bourbon, se lancer dans un recrutement massif. En 1907, le total des engagés indiens arrivés depuis le XIXe siècle frôlait les 450 000. Le premier flux important - quelque 25 000 travailleurs - datait des années 1834-1838. Ces immigrants, des "hill coolies", recrutés "parmi les populations de castes inférieures et tribales de l'Inde" avaient été installés par les employeurs dans les "camps" des plantations [79]. Les conditions de vie des engagés suscitèrent à la fois des protestations dans leur pays d'origine et parmi les abolitionnistes anglais. Le résultat en fut l'interdiction par le Gouverneur général de l'Inde, en 1839, de tout départ de travailleurs vers Maurice, mais aussi vers Ceylan, la Guyane et la Réunion [80]. En 1842, l'engagement recommença sur de nouvelles bases, et sous le contrôle d'un Protecteur des immigrants. Les archives du Mahatma Gandhi Institute, à l'île Maurice, fournissent pour les années 1835-1910, une documentation détaillée sur les arrivées et les départs de ces Indiens, souvent illustrée de photographies. Elle permet de suivre les incidents, les interruptions de l'immigration, l'évolution de la législation et de mettre en relation la croissance du nombre de travailleurs et celle de la production sucrière. Les courbes et tableaux de l'étude de J.-L. Miège permettent d'apprécier la richesse de cette source. L'auteur insiste sur l'importance du nombre de contrats renouvelés et sur les possibilités d'installation dans l'île, avantageusement saisies par certains Indiens au terme de leur engagement. Au total, le bilan de cette immigration est jugé positif pour l'économie et pour des travailleurs, dont beaucoup ont échappé à des conditions de vie plus dures dans leurs régions d'origine, notamment lors des périodes de famine connues par l'Inde au XIXe siècle Certains, d'ailleurs de ces immigrants, qui choisissent de retourner au pays natal, le font avec un pécule en argent qui n'est pas négligeable [81]. H. Tinker, pour sa part, continue à souligner les traits communs aux systèmes d'engagement et d'esclavage : vie quotidienne, unité sociale close de la plantation, contrôle hiérarchique sévère, stimulation par les sanctions et non par le salaire, abus constatés tant dans le recrutement que lors du renouvellement des contrats [82].
L'importance des sources conservées aux Mascareignes, mais aussi éparses à travers le monde, notamment en Inde, en Angleterre et en France suscite sur le sujet des travaux de plus en plus précis et nombreux. On soulignera, à ce propos, l'intérêt des thèses soutenues par de jeunes chercheurs, américain comme Richard B. Allen [83], ou anglais comme Marina D. Carter [84]. On se félicitera aussi de la tenue de colloques comme ceux organisés à Maurice, sous l'impulsion d'U. Bissoondoyal, directeur du Mahatma Gandhi Institute, ou à la Réunion, à l'initiative de C. Wanquet, président de l'Association Historique Internationale de l'Océan Indien [85]. On a déjà cité plusieurs des textes nés de ces rencontres. Il reste à se pencher sur quelques-uns de ceux qui ont apporté une contribution particulière à notre connaissance de l'insertion des Indiens dans les sociétés d'accueil et aux influences réciproques qui s'y sont manifestées au XIXe et, plus encore, au XXe siècle.
Des chercheurs mauriciens ont montré comment les travailleurs immigrés avaient pu, dans leur île, affirmer leur qualité d'hommes libres, revendiquant la totalité des droits qu'on s'était engagé à leur reconnaître [86]. Incompréhensions et affrontements peuvent entraîner, pour les deux parties, à la fois un sentiment de peur et de frustration. La société coloniale des Mascareignes, qui avait trouvé aux Indiens tant de qualités au XVIIIe siècle, leur trouve au XIXe beaucoup de défauts, mais affirme en même temps ne pouvoir s'en passer. Ce paradoxe s'inscrit dans le droit fil des analyses qui viennent d'être faites. L'expérience montrant finalement aux sociétés d'accueil que, malgré leur grand nombre et leur état de liberté, ces Indiens ne sont pas dangereux, un rapprochement sera possible. Il se réalisera d'autant mieux que les engagés avaient su, en affirmant, au besoin par la force, leur dignité, préparer un dialogue que leurs descendants réaliseraient, d'individu à individu et de culture à culture, de façon de plus en plus égalitaire.
III. - L'INTÉGRATION
DANS LES SOCIÉTÉS LOCALES
Les phases de cette ascension allaient être longues. Raj Mathur expose comment, sous le régime de la constitution de 1885 (en vigueur jusqu'en 1947), la plupart des Indiens se trouvent écartés de la vie politique, par la combinaison d'exigences de cens et d'alphabétisation en langue anglaise. Ainsi, en 1886, il y a, sur une population totale de 359 874 habitants, 248 983 Indiens ; seuls 293 de ces derniers peuvent participer aux élections législatives organisées à Maurice cette année-là, alors que le total d'électeurs est de 3 931 [87]. Pour modeste qu'elle soit, cette poussée politique indienne, manifestée sur fond de vigueur démographique va servir de catalyseur à un éphémère mouvement mauricien de rétrocession de l'île à la France. Désavoué aux élections de 1921, ce mouvement utilise comme principaux arguments les inconvénients de l'indianisation de Maurice et le risque de son rattachement à l'Inde, réalisé avec la complicité britannique [88]. Cet épisode a ravivé de mutuelles méfiances. L'évolution constitutionnelle et politique va néanmoins s'accomplir. La constitution, mise en place en 1948 est suivie en 1958, 1964 et 1966 de nouvelles constitutions, qui vont dans le sens d'une autonomie de plus en plus grande. Le suffrage universel a été institué en 1958 et le parti travailliste a obtenu en 1959 la majorité. Après que des troubles aient éclaté, l'indépendance est proclamée le 12 mars 1968, en même temps que se trouve promulguée une nouvelle constitution [89] Certes, la fraction indo-mauricienne de la population est désormais largement majoritaire non seulement dans les champs de cannes, mais aussi lors des consultations électorales. Cependant, ni l'annexion par l'Inde, ni le bain de sang, redoutés par certains, ne se réalisent.
En même temps que se modifie le paysage politique de l'île Maurice, les immigrants indiens passent "du camp au village", et achètent des terres [90]. Accédant en plus grand nombre à l'instruction, leurs enfants peuvent prétendre à de nouvelles activités [91]. La religion et les traditions du pays des ancêtres restent le ciment de communautés, dont les solidarités remontent parfois aux liens noués sur les navires de l'émigration. À la Réunion, où les Indiens sont à la fois moins nombreux et plus sollicités par l'idéal d'assimilation prôné par le colonisateur français, traditions et religion sont utilisées comme moyen de lutter contre la marginalisation sociale et, finalement, de s'affirmer en position de force dans certains secteurs : "Les Indiens, écrit Jean Benoist, dépossédés du domaine matériel s'assurèrent la maîtrise des pouvoirs spirituels" [92].
À la Réunion, le spirituel est souvent considéré comme le domaine réservé du christianisme. La conversion est un des moyens prévus pour intégrer les populations colonisées. L'Islam, comme dans l'île voisine, offre des résistances auxquelles les "Lascards" du XVIIIe siècle ont accoutumé la population, et dont il semble vain de vouloir triompher [93]. Les Hindous, en revanche, semblent plus disposés à se laisser convaincre, même si le clergé catholique est parfois inquiet de la survivance de certaines croyances et de certaines pratiques chez les convertis [94]. Mais, comme au temps de l'esclavage, les planteurs sont pris dans les contradictions d'un système qui oppose leur intérêt aux pressions de leur conscience de bons chrétiens, et parfois aux vues du colonisateur parisien. L'idéal n'es-il pas pour eux de maintenir, éternellement rivée à la "pioche", une population étrangère, ne bénéficiant ni des droits, ni de la formation que peuvent espérer recevoir des citoyens français ? En offrant aux fils d'immigrants indiens nés dans l'île l'accession à la citoyenneté, la loi du 26 juin 1889 accélère un processus de promotion, que les Indiens, menant simultanément le combat sur deux fronts, avaient déjà commencé à réaliser. Au terme du contrat d'engagement, certains ont gravi un échelon en devenant métayers ; d'autres, préparés par une activité artisanale exercée sur la plantation, ont tenté d'échapper à celle-ci. L'île n'avait-elle pas accepté la réussite d'une poignée d'Indiens au XVIIIe siècle ? Ne tolérait-elle pas, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, l'installation de commerçants chinois et, à partir de 1880, d'Indiens musulmans venus du Gujerat, souvent comme tailleurs, puis marchands de tissus ? Devenus citoyens français, les descendants d'engagés peuvent, par l'école ou l'argent, s'élever dans la hiérarchie, en usant des armes du colonisateur. Sur un autre front, celui des cultes hindous, des positions sûres sont maintenues : rites familiaux, représentations du surnaturel et moyens de communiquer avec lui, image des causes et du traitement des maladies, notions de pureté et d'impureté. En les tolérant, la société créole n'en saisit pas l'importance et offre aux Indiens "une revanche symbolique sur leur si difficile intégration" [95].
Analysant la situation réunionnaise, une dizaine d'années après avoir évoqué cette "revanche", J. Benoist le fait en des termes qui montrent à quel point le "symbole" a été puissant :
- « La vitalité culturelle des Tamouls (...) s'exprime dans la vie familiale, et dans la pratique religieuse au foyer et dans les temples. Depuis quelques années elle prend un nouvel essor en s'appuyant sur les classes moyennes (...). On vient (au pôle hindou) par plusieurs itinéraires. Les uns conduisent à la transformation, à la 'réindianisation' des pratiques villageoises sous l'influence des contacts accrus avec l'île Maurice et avec l'Inde et cela concerne aussi des non-Indiens. D'autres (...) sont le fait de jeunes gens qui ont acquis une culture religieuse et linguistique indienne et qui introduisent celle-ci à la Réunion à travers diverses associations qui s'inspirent de la grande tradition hindoue et de ses écritures [96]. »
Il y a un quart de siècle, une telle vitalité aurait inquiété les autorités françaises, craignant de voir remettre en cause l'unité de la République. En effet, alors que la transformation en département d'outremer avait été accueillie avec enthousiasme par la quasi-totalité de la population en 1946, le désenchantement n'avait pas tardé et, dans les années 1960, le gouvernement pouvait craindre l'action de forces centrifuges, dont la plus puissante était le Parti Communiste Réunionnais, auquel certaines autres, prenant appui sur des minorités culturelles, risquaient d'ajouter leurs effets. Michel Debré, ancien Premier ministre du Général de Gaulle, devenu député de la Réunion en 1963, ministre de 1966 à 1973 puis, à nouveau, député jusqu'en 1988, s'attachait avec passion au renforcement politique des liens entre la métropole et l'île et à la promotion socio-économique de cette dernière.
Malgré le chemin parcouru et, paradoxalement, en partie à cause de celui-ci - et alors qu'un considérable effort financier est consenti par la métropole depuis une trentaine d'années -l'inquiétude revêt aujourd'hui un nouveau visage. La croissance de la consommation a accompagné la mise en place d'une infrastructure que les crises sucrières et l'isolement avaient fait négliger depuis les dernières décennies du XIXe siècle. Rançon d'un développement mal maîtrisé, disent certains, le taux de couverture des importations par les exportations a décru de façon alarmante, passant en 1988 en dessous de la barre des 10%. D'autres font observer que la notion de continuité nationale rend peu signifiante celle de "taux de couverture". Reste le malaise, ressenti par beaucoup, que suscite une fracture géographique de quelque dix mille kilomètres au sein de la continuité... Inquiétude plus répandue encore, celle provoquée par un chômage qui a fait tache d'huile : il touche maintenant 40% de la population active d'origine réunionnaise résidant dans l'île. D'autre part le solde migratoire est redevenu positif entre le recensement de 1982 et celui de 1990. La soupape de sécurité qu'avait représentée l'installation en métropole de près de cent mille Réunionnais en un quart de siècle joue moins que naguère. Les troubles qui ont éclaté dans le quartier du Chaudron en février 1991 traduisent un malaise que la droite et la gauche ont tenté d'utiliser à leur profit. Rares dont cependant ceux qui s'en tiennent à la seule dimension politique de problèmes, dont les données démographiques et économiques pèsent d'un poids évident. Les gouvernements socialistes qui, à part une brève interruption, ont dominé la vie politique française depuis 1981, semblaient avoir calmé bien des revendications, tant par la décentralisation et l'attention portée à certaines spécificités locales que par les mesures sociales ou par la valorisation de la langue créole et des cultures orientales. Le revif de contestation s'est avéré brutal et multiforme. Dans l'explosion de 1991, le mal des banlieues est présent, comme il peut l'être en Europe, mais les difficultés de l'île et leur spécificité sont sans doute plus présentes encore [97]. Us descendants d'immigrés indiens, répartis sur tout l'échiquier politique et tout au long de l'échelle sociale, sont désormais si bien intégrés dans la société qu'ils se retrouvent, lors des émeutes, dans les deux camps, pillards et pillés, acteurs et victimes. Immergés, comme le reste de la population, dans les difficultés de la conjoncture, ils ont su aussi tirer parti de toutes les phases favorables de celle-ci.
Ainsi, suivant des impulsions données par des métropoles, poussant l'une à l'intégration, l'autre à l'indépendance, les Indiens des Mascareignes ont-ils été associés à des évolutions où ils semblent avoir trouvé, les uns et les autres, un épanouissement d'autant plus remarquable que le chemin à parcourir a été pour eux souvent plus ardu que pour d'autres communautés.
À Rodrigues, la population, qui compte en 1989 quelque 35 000 habitants, ne comprend pratiquement pas d'Indo-Mauriciens. Ceux-ci forment en revanche 70% environ de la population totale de l'île Maurice, qui dépasse le million d'individus. Cette population se répartit entre de nombreuses religions. Les Indo-Mauriciens sont en majorité de religion hindoue, mais comptent aussi un certain nombre de chrétiens et une forte minorité musulmane (qui atteignait près de 45 000 personnes en 1921 et dépassait les 110 000 en 1962) [98]. À la Réunion, les Indiens musulmans, appelés "Z'Arabes" en créole, ne sont qu'environ 6 000 (le recensement de 1921 en dénombrait 709). Dans cette île, il est difficile de proposer une estimation du nombre d'habitants d'origine indienne qui penchent plus vers l'hindouisme ou plus vers le christianisme. L'usage de tout critère ethnique étant prohibé dans les recensements, il est même impossible d'assigner un nombre précis à la communauté d'origine indienne. Celle-ci, partiellement métissée, représente peut-être 120 000 habitants, sur les 600 000 que compte la Réunion en 1991.
Moins nombreux et plus mêlés à la société créole qu'à Maurice, les Indiens musulmans de la Réunion ont pu tout de même affirmer leurs valeurs, face à la culture occidentale dominante. À Saint-Denis et à Saint-Pierre, d'imposantes mosquées témoignent de la vitalité de l'islam. Nous avons vu combien l'hindouisme, après un certain repli, avait su manifester un pouvoir de séduction qui s'exerce aujourd'hui dans des milieux socioculturels très divers, au-delà même des individus d'ascendance indienne. Le voyageur qui visite la Réunion est frappé de la présence de nombreux temples, dont certains, situés près d'anciennes sucreries, dans de modestes bourgades, rappellent les tâches qu'exerçaient, jusqu'à une date récente, la plupart de leurs fidèles. Si ce voyageur est attentif, il trouvera aussi l'empreinte de l'Inde dans les domaines les plus divers, allant des recettes de cuisine à l'expression artistique [99]. À Maurice, il éprouvera bien plus encore, l'impression, que l'Inde est constamment présente, dans la nourriture, le vêtement, l'art et jusque dans ses repères mystiques avec, par exemple, la désignation d'un substitut du Gange.
S'insérant dans l'archipel, au fil des décennies, les Indiens sont passés du camp au village puis, progressivement, à la ville. Aujourd'hui, la diversité sociale de leurs descendants est extrême dans les deux îles : nombre d'entre eux sont restés de modestes travailleurs agricoles ou sont devenus ouvriers d'industrie ; d'autres appartiennent aux classes moyennes (commerçants, fonctionnaires, professions libérales...). Quelques-uns sont arrivés au sommet de la hiérarchie sociale, ajoutant à la puissance foncière ou à la richesse procurée par le grand commerce et l'industrie, le prestige apporté par les études supérieures et le pouvoir politique. Une partie de la jeune génération des leaders a reçu sa formation dans les universités locales et, dans le cas mauricien, assez souvent en Inde, parfois dans d'autres pays, comme l'URSS. L'Université de la Réunion est, depuis une vingtaine d'années en développement constant : elle accueille non seulement davantage de Réunionnais mais des ressortissants des pays voisins, dont Maurice. Dans les deux Îles, les universités britanniques ou françaises conservent leur prestige : certains des étudiants les plus riches ou les plus brillants continuent à y être formés. Autrefois, donnant à quelques descendants d'immigrés indiens la formation de type européen qui leur permettrait de parler le langage des maîtres du moment, ces universités ont contribué, peut-être plus que tout, à l'émergence d'une élite politique.
Le cas de sir Seewoosagur Ramgoolam illustre parfaitement le propos. Né en 1900 dans une famille de modestes paysans, le futur Premier ministre de Maurice fait de bonnes études secondaires au collège royal de Curepipe et, en 1921 se rend en Angleterre pour étudier la médecine. En 1932, il rencontre Gandhi à Londres. En 1935, docteur en médecine, il rentre à Maurice, adhère au nouveau Parti travailliste et participe à la fondation du journal Advance. Député, plusieurs fois ministre, il dirige le gouvernement de 1962 à 1982. Écarté de cette fonction par le succès d'un parti de gauche, le MMM, sir Seewoosagur devient la même année Gouverneur Général, et le reste jusqu'à sa mort, survenue en 1985 [100] "Hindou, dans une société pluriethnique", il a su, comme l'écrit Louis Favoreu, "mener son pays sans heurts à l'indépendance et ensuite préserver un équilibre difficile entre les 'communautés' tout en ne mettant pas en cause le caractère démocratique d'un régime qui est l'un des rares de son espèce dans le Tiers Monde" [101].
Un des supports et des régulateurs de la démocratie mauricienne est constitué par la presse. Le nombre, la qualité et la diversité des journaux surprennent dans une île aussi petite, tout autant que la vitalité de la production littéraire. Les Indo-Mauriciens participent à cette production en diverses langues, dont le créole et le français. Nombre d'entre eux s'expriment en anglais, comme Azize Asgarally, Deepchand Beeharry ou Anand Mulloo. Mais les langues orientales sont très utilisées. Le dialecte indien le plus répandu est le bhojpuri, qui est à l'hindi ce que le créole est au français. Par ailleurs sept des quinze langues reconnues officiellement en Inde sont utilisées à Maurice (sanscrit, urdu, tamil, telegu, marathi, gujrati et hindi), L'hindi a notamment permis à plusieurs auteurs mauriciens d'acquérir une certaine réputation en Inde. Parmi ceux-ci, le professeur Basdeo Bissoondoyal - revenu dans son île en 1939 après avoir effectué ses études universitaires en Inde - fait autorité par ses écrits et ses sermons. Honoré du titre de Sahitya Vachaspati, par le Hindi Sahitya Sammelan, B. Bissoondoyal a consacré une part importante de ses ouvrages à évoquer l'héritage culturel de l'Inde à Maurice. La production d'œuvres en hindi est encouragée par des institutions comme le Hindi Pracharini Sabha ou des sociétés littéraires comme le Hindi Parishad. Un romancier d'une cinquantaine d'années, Abhimanyu Unnuth, est peut-être actuellement l'auteur mauricien de langue hindi le plus lu en Inde - avec des titres comme Andolan ou Jam Gaya Suraj [102].
Cette recherche des racines indiennes, nouveau "pèlerinage aux sources", se manifeste aussi, nous l'avons vu, à la Réunion. Si la spiritualité et les langues orientales y attirent l'attention d'un moins grand nombre d'adeptes qu'à Maurice, des romans historiques, comme Boadour, ont conquis le grand public. Un peu comme dans Roots, l'auteur retrace l'épopée d'une population transplantée, à travers les visages de quelques travailleurs des plantations [103]. Ces travailleurs retiennent aussi l'attention de Suresh Mourba qui, dans Misère Noire, évoque la naissance du peuple mauricien et établit des corrélations entre les dures années de l'esclavage et de l'engagisme et celles de la conquête de nouvelles libertés. Avocat formé à Londres, ministre à Maurice, travailliste, l'auteur considère que l'Histoire est indispensable à la construction de l'avenir, une histoire vécue comme plongée dans les "profondeurs maternelles". [104]
Une double dialectique s'établit ainsi dans l'archipel : le groupe d'origine indienne tente, peut-être actuellement plus que d'autres groupes, de retrouver ses origines au-delà de l'océan, mais aussi de décrypter dans chacune des îles d'accueil les formes et les étapes de son implantation. En même temps, ce groupe manifeste sa volonté d'être un élément moteur de la nécessaire unité insulaire, qu'elle prenne la forme d'un département français ou d'un État indépendant, membre du Commonwealth. L'idéal d'“èn peuple, èn nation”, que chantent en créole certains militants mauriciens, se heurte parfois aux contingences nées du passé. Le "communalisme" a été défini à Maurice de bien des façons [105]. Nourri d'un attachement respectable aux traditions et à l'identité de chaque Il communauté", il peut déboucher sur des tensions quand il pèse trop sur la vie quotidienne. Les Indo-Mauriciens, conçus comme entité par les groupes d'origine africaine, chinoise ou européenne, ont parfois laissé apercevoir eux-mêmes leurs divisions, sources de conflits possibles. Le clivage hindouisme-islam n'est pas le seul. En témoignent les tensions survenues en 1988-1989 entre le Premier ministre Jugnauth et l'ancien "Government Chief Whip", Raj Virahsawmy, animateur du mouvement TTM, c'est-à-dire Tamil-Telegu-Marathi [106]. Le succès électoral obtenu par M. Jugnauth en 1991 montre toutefois les limites de ces poussées de mauvaise humeur et l'aptitude de la démocratie mauricienne à gère ses différences. Dans la situation actuelle de plein emploi, une certaine euphorie économique peut contribuer à l'entente nationale. Mais les industries textiles de la zone franche de Port-Louis restent fragiles ; comptant pour deux tiers dans la richesse nationale, le sucre et le tourisme, sont eux-mêmes soumis aux lois du marché, même si la position internationale de l'île Maurice s'avère favorable.
Dépendant presque entièrement de ses relations avec la France métropolitaine, l'économie de la Réunion peut sembler encore plus fragile. Son statut de DOM (département d'outre-mer) ne soulève cependant, nous l'avons indiqué, presque plus d'opposition sur place. L'Inde, pour sa part, n'a jamais condamné la présence de cette "France de l'Océan Indien" [107]. La méfiance de certains voisins s'est apaisée, ainsi que l'opposition "anticolonialiste" de principe longtemps exprimée par divers pays [108]. Dans l'île même, il est frappant de voir aujourd'hui que des hommes politiques, situés dans l'opposition au gouvernement socialiste, s'affirment comme lui les défenseurs du système départemental, tout en dénonçant des abus qui, pour partie, tiennent au passé. Sont dans ce cas, des descendants d'immigrants indiens comme les deux frères Virapoullé, Louis, le sénateur et Jean-Paul, le député. Un autre sénateur, Albert Ramassamy, qui lui est socialiste, et à ce titre soutient la politique de François Mitterrand, a toujours été partisan de la formule "Réunion département français". Mais il a toujours condamné les séquelles de la colonisation dans les DOM-TOM. À l'époque où, sous le dernier gouvernement Chirac, la Nouvelle-Calédonie se trouvait sous les feux de l'actualité, M. Ramassamy, dans une intervention remarquée au Palais du Luxembourg, a déploré certaines survivances coloniales dans ce Territoire français du Pacifique. Ainsi, par un de ces va-et-vient dont l'histoire a le secret, les recommandations de l'actuel président de la République française sur la question canaque, se trouvaient cautionnées par un "Canaque" de l'océan Indien, élu du peuple français, dont les ancêtres avaient fait le voyage de l'Inde à la Réunion, il y a une poignée de décennies, uniquement pour couper la canne à sucre [109].
Avec trois des leurs, les descendants des Indiens de la Réunion sont, proportionnellement à leur nombre, bien représentés au Parlement français. Si bien même, qu'il est manifeste que les électeurs de Messieurs Virapoullé et Ramassamy, se recrutent au-delà de leur communauté d'origine. À Maurice, du Gouverneur général, sir Ringadoo, aux ministres, et notamment au Premier, les descendants des Indiens sont encore plus présents à la tête du pays. Coïncidence et, pour certains, symbole, l'année 1992 qui marque en France le bicentenaire de la proclamation de la République, est marquée à Maurice par l'instauration du régime républicain. Celui-ci, conçu comme le terme naturel d'une évolution, ne signifie pas plus pour ses promoteurs mauriciens, que naguère pour les dirigeants indiens, la rupture avec le Commonwealth.
En 1793, quand des navires arrivés d'Europe avaient apporté aux Mascareignes la nouvelle de la suspension de Louis XVI, puis celle de la proclamation de la République, l'Assemblée coloniale de l'Île de France avait manifesté son approbation dès le mois de février par un Te Deum et des serments de fidélité. Le 10 août 1793 une fête grandiose, dite de la "Conquête de la Liberté", célébrait le premier anniversaire de la chute du roi et le 21 septembre les festivités reprenaient en l'honneur de la République [110].
Deux cents ans après les événements des années 1789-1793, les Britanniques et les Français, longtemps rivaux aux Mascareignes et dans l'océan Indien comme en bien d'autres colonies et espaces maritimes, peuvent se souvenir du rôle pionnier que leurs ancêtres ont joué dans l'avènement des libertés. Magna Carta, Habeas Corpus, Siècle des Lumières, Révolution française ont jalonné des conquêtes dont l'outre-mer paraissait souvent absent. Ce dernier figure aujourd'hui de plain-pied dans le programme des partenaires de la construction européenne. N'est-ce pas, en partie, parce que ces jalons de liberté avaient été posés que les Indiens des Mascareignes ont pu faire admettre leur droit à un dialogue d'égaux ?
En contrepoint de l'histoire européenne et de celle de l'espace indianocéanique, l'originalité la plus manifeste de cet archipel n'est-elle pas finalement d'avoir su affirmer le respect des différences et la foi dans le progrès, d'avoir pu édifier des sociétés pluriethniques et pluriculturelles qui, aujourd'hui, fonctionnent souvent sans heurts ? Sociétés qui, en tout cas, échappent aux affrontements sanglants que connaissent certains pays nés de migrations où l'esclavage et la colonisation ont semé le poison.
Difficiles à appréhender dans leur présent, les Mascareignes, le sont plus encore dans leur passé : longtemps muettes ou livrées au seul discours officiel, terres de beauté et d'accueil, elles offrent un beau terrain à la recherche. Pour elles, encore plus que pour d'autres, s'impose la quête dans "cette sorte d'entre-deux où s'inscrit l'histoire inconsciente des hommes, celle même que les hommes écrivent sans savoir qu'ils le font" [111].
* Maître de conférences à l'I.E.P. d'Aix et à l'Université d'Aix-Marseille III, directeur du CERSOI.
** Texte remanié d'une communication présentée à Delhi sous le titre "THE INDIANS OF THE MASCARENES. A Success in Diaspora : Mauritius and Reunion (17th-20th centuries)", dans le cadre du colloque organisé par l'Indian Council of Historical Research et l'Ambassade de France pour le Bicentenaire de la Révolution française (27, 28 février et 1er mars 1989). L'Indian Council of Historical Research doit en publier la version anglaise.
[1] G. de NETTANCOURT, "Le peuplement néerlandais à l’Île Maurice (1598-1710)", in Mouvements de populations dans l'Océan Indien, Paris, Champion, 1980, p. 219-232.
[2] A. SCHERER, Histoire de la Réunion, Paris, PUF, 1974, p. 9.
[3] A. TOUSSAINT, Histoire des îles Mascareignes, Paris, Berger-Levrault, 1972, p. 44.
[4] G. de NETTANCOURT, op. cit., p. 221-222, 224, 227.
[5] J.-M. FILLIOT, La traite des esclaves vers les Mascareignes au XVIIIe siècle, Paris, ORSTOM, 1974, p. 179.
[6] P. CRÉPIN, Mahé de la Bourdonnais, gouverneur général des Îles de France et de Bourbon (1699-1753), Abbeville, Imp. F. Paillart, 1922, p. 80.
[7] J. BENOIST, "La 'diaspora' indienne", p. 9, in L'Inde grande puissance mondiale, Paris, CHEAM, 1988.
[8] H. LY-TIO-FANE PiNEO, Lured Away. The Life History of Indian Cane Workers in Mauritius, Moka, Mauritius, Mahatma Gandhi Institute, 1984, p. 5.
[9] A. SCHERER, Op. cit., p. 11-12.
[10] J.-M. FILLIOT, Op. cit., p. 177.
[11] J.-M. DESPORT, L'Inde et la Réunion, Région Réunion, Comité de la culture, de l'éducation et de l'environnement, Sainte-Clotilde, Impr. Cazal, 1986, p. 3.
[12] AN, "Mémoire (1687)", publié in RT, vol. 4, no 29, Tananarive, 1939, p. 57-72 (p. 63).
[13] J. BARASSIN, "L'esclavage à Bourbon avant l'application du Code Noir de 1723", RD, no 2, 1956, p. 19-20.
[14] A. SCHERER, op. cit., p. 26-27.
[15] R. LEGRAS, "Note sur l'immigration à la Réunion", RD, no 1, 1954, p. 53-54. A. LOUGNON, Correspondance du Conseil Supérieur de Bourbon. et de la Compagnie des Indes, vol. 1, Saint-Denis, 1934, p. 168. A. MARTINEAU, Correspondance du Conseil Supérieur de Pondichéry et de la Compagnie des Indes, Pondichéry, vol. 1, 1920, p. 238 ; vol. 2, s.d., p. 41 ; vol. 4, 1931, p. 338.
[16] M. JUMIER, "Les Affranchis et les Indiens libres à l'Île de France au XVIIIe siècle (1721-1803)", thèse de doctorat de 3e cycle, soutenue le 22 juin 1984, Faculté des Sciences Humaines, Université de Poitiers, p. 203-204. (dactyl.).
[18] AM, OC 3, fol. 51, "État des sommes qui ont été payées à divers employés, lascards et malabards libres et esclaves attachés au service du Roy sur l'isle de Rodrigues à compter du 1er Aoust 1767 jusques et compris le der(nier) avril 1769" (voir J.-F. DUPON, Recueil de Documents pour servir à l'histoire de Rodrigues, Mauritius Archives Publications, no 10, Port-Louis, 1969, p. 63-65).
[19] H. GERBEAU, "L'océan Indien et les esclaves de la Réunion : servitude, travail, liberté", Recherche, Pédagogie et Culture, Paris, no 67, 3e trim. 1984, p. 56-63.
[20] D. NAPAL, Les Indiens à l'île de France, Île Maurice, 1965, p. 36-39, 45, 50, 68-70. J.-M. Filliot, op. cit., p. 176-177. J.-F. DUPON, Contraintes insulaires et fait colonial aux Mascareignes et aux Seychelles, thèse de doctorat d'État, soutenue le 14 avril 1976, Université d'Aix-Marseille II, Atelier de reproduction des thèses, Lille, 1977, vol. 3, p. 1116.
[21] H. GERBEAU, "Des minorités mal connues : esclaves indiens et malais des Mascareignes au XIXe siècle" in Migrations, minorités et échanges en Océan Indien, XIXe-XXe siècle, Aix-en-Provence, IHPOM, 1979, p. 160-242. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]
[22] J.G. MILBERT, Voyage pittoresque à l'Île de France, au Cap de Bonne Espérance et à l'Île de Ténériffe, Paris, A. Nepveu, 1812, vol. 1, p. 218, vol. 2, p. 170.
[23] M.-C. A. MARRIER, baron d'UNIENVILLE, Statistique de l'Île Maurice et ses dépendances, suivie d'une notice historique sur cette colonie et d'un essai sur l'Île de Madagascar, Paris, 1838 ; 2e éd., Île Maurice, 1885-1886, 3 vol. (vol. 1, p. 256).
[24] ADR, L 439 (voir C. WANQUET, Histoire d'une Révolution. La Réunion 1789-1803, thèse de doctorat d'État, soutenue le 28 mai 1978, Université de Provence, publ. Marseille, J. Laffitte, 3 vol., 1980, 1981, 1984 (in vol. 1, p. 197).
[25] C. TELFAIR, Some Account of the State of Slavery at Mauritius, since the British Occupation in 1810 (...), Port-Louis, Vallet and Asselin, 1830, p. 160.
[26] J.G. MILBERT, op. cit., vol. 2, p. 187.
[27] Statistique, op. cit., 2e éd., vol. 1, p. 256.
[28] Voyage..., op. cit., vol. 2, p. 170-172.
[29] Récit de Madame Luc Dupont-Hoarau, de Vallée (Saint-Pierre). Ce témoignage, et tous ceux qui sont cités dans cet article, ont été recueillis lors d'enquêtes personnelles effectuées à la Réunion, le plus souvent avec l'aide d'étudiants en histoire de l'Université de Saint-Denis (1968 à 1980 et 1984). Les principaux enregistrements ont été déposés aux Archives Départementales de la Réunion (ADR). Ils s'insèrent dans un fonds d'archives orales, créé à l'initiative de Jean Poirier et destinée à conserver les traces de la mémoire collective. Ces traces sont, notamment en ce qui concerne l'esclavage, en voie rapide de mutation ou de disparition.
[30] AP, Relaz. dell'isla Maurice, 1829, fol. 289 v., quaest. 38a, fol. 290, quaest. 54.
[31] A. TOUSSAINT, "Le rôle du commerce dans le peuplement de Maurice", in Histoire Générale de l'Afrique, Études et Documents 3, Relations historiques à travers l'Océan Indien, Paris, UNESCO, 1980, p. 125-132. "Camp des Malabars", aux maisons "tenues fort proprement (...),presque réservé" aux Indiens (MILBERT, op. cit., vol. 1, p. 217, vol. 2, p. 173.
[32] AP, Relaz. dell'Isla Maurice, 1829, fol. 289, quaest. 33a.
[33] Petites affiches de l'Isle de France, 12 septembre 1810, no 37, p. 3, "Effets perdus : un noir malabard, nommé Alexandre, ancien colporteur, réfugié dans le camp Malabar". Gazette de l'Isle Maurice, 15 janvier 1812, no 3, "Effets perdus l'Éveillé, marron depuis un mois de la Poudre d'Or (30 km), aperçu à Port-Louis".
[34] C. WANQUET, Histoire d'une Révolution..., op. cit., vol. I, p. 479-488.
[35] ASSOCIATION HISTORIQUE INTERNATIONALE DE L'OCËAN INDIEN : Relations historiques et culturelles entre la France et l'Inde, XVIIe-XXe siècles (actes de la Conférence internationale France-Inde de l'AHIOI, Saint-Denis, 21-28 juillet 1986), 2 vol., Sainte-Clotilde, Archives Départementales de la Réunion, 1987 (en abrégé : Relations...). Vol. I : I) Récits de voyage et relations économiques et commerciales (XVIIe-XIXe siècles) ; 2) Interactions culturelles ; 3) Le subcontinent indien et la politique étrangère française aux XVIlle et XIXe siècles. Vol. Il : 1) La diaspora indienne dans les territoires français et européens d'outre-mer ; 2) Le rôle de l'Inde et des Indiens dans l'histoire de la Réunion ; 3) Les relations contemporaines.
[36] U. LARTIN, "Les indiens dans la société bourbonnaise (depuis les débuts du peuplement jusqu'en 1815)", in Relations..., vol. II, p. 187-199.
[37] J. BARASSIN, "Étude sur les origines extérieures de la population libre de Bourbon", RD, no 4, 1960, p. 28-32.
[38] H. GERBEAU, "La Réunion et le temps : une respiration insulaire", in La Réunion dans l'Océan Indien, Paris, CHEAM, Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1986, p. 23-24 (AN, "Mémoire ... (1687)" ; ANOM, Dénombrement, 1690).
[39] A. NAGAPEN, "Les Indiens à l'Île de France : acculturation ou déculturation ?", in Relations.... vol. II, p. 25-51 (p. 41).
[40] C. PRUDHOMME, Histoire religieuse de la Réunion, Paris, Karthala, 1984, p. 22-24.
[41] A. NAGAPEN, "Les Indiens…, op. cit., p. 37-39.
[42] U. LARTIN, "Les Indiens…, op. cit., p. 194.
[43] A. NAGAPEN, "Les Indiens…, op. cit., p. 36.
[44] U. LARTIN, "Les Indiens…, op. cit., p. 194.
[45] A. NAGAPEN, op. cit., p. 36.
[46] S. REDDI, "Aspects of Indian culture in Île de France during period 1803-1810", in Relations, vol. II, p. 11-23.
[47] J.M. FILLIOT, La traite des esclaves vers les Mascareignes..., op. cit., p. 69.
[48] B. BENEDICT, "Slavery and Indenture in Mauritius and Seychelles", in Asian and African Systems of Slavery, ed. by J.L. Watson, Oxford, Basil Blackwell, 1980, p. 148 (voir aussi d'Unienville et Kuczynski).
[49] L. MAILLARD, Notes sur l'île de la Réunion, Paris, Dentu, 1862, p. 183. A. SCHERER, La Réunion, Paris, PUF, 1980, p. 57-58.
[50] D. NAPAL, Les Indiens à l'Île de France, op. cit., p. 52. Ces Indiens sont inclus dans le groupe des "Libres". Ils ne sont pas distingués, dans les statistiques, des autres gens de couleur, dont ils constituent un pourcentage variable. Les Libres (de couleur) sont estimés à Bourbon à 950 en 1788, 1 600 en 1797 et 5 300 en 1825 (L. MAILLARD, op. cit., p. 295) ; ils sont plus nombreux à l'Île de France, où on en dénombre les mêmes années, respectivement, 2 456, 3 703 et 14 831 (A. TOUSSAINT, Histoire des îles Mascareignes, op. cit., p. 335).
[51] Ph. HAUDRERE, "Les routes maritimes entre la France et les Indes Orientales au XVIlle siècle, au temps de la Compagnie des Indes", in Relations..., vol. I, p. 149-157.
[52] J. RYCKEBUSCH, "La Bourdonnais entre les Indes et les Mascareignes", in Relations..., vol. I, p. 293-299.
[53] C. WANQUET, "Pondichéry et/ou Port-Louis, ou les incertitudes de la stratégie française dans l'Océan Indien à la fin du XVIIIe siècle", in Relations..., vol. I, p. 343-362.
[54] H. GERBEAU, 'Les esclaves asiatiques des Mascareignes au XIXe siècle. Enquêtes et hypothèses, Annuaire des pays de l’océan Indien, vol. VII, 1980, Aix, Paris, CERSOI, PUAM-CNRS, 1982, p. 169-197 (texte revue et mis à jour d'une communication présenté à Perth en 1979 (ICIOS, section VI, 'Archives and Resources for Study').
[55] IOL, E/4/1052, proceedings of 20 July 1830 ; MSA, Political Dept., Bombay Govt. to Colebrooke and Blair, 24 March 1827 (a "considerable traffic in slaves", entre Sumatra et les colonies françaises, principalement Bourbon). Ces nouvelles pistes, que je dois à Marina Carter, universitaire britannique associée au CERSOI, d'avoir découvertes, pourraient confirmer l'hypothèse que j'avais proposée de la présence de musulmans parmi les révoltés malais des Mascareignes. Anthony Reid, de Canberra (cité dans mon article, APOI VII, p. 169), pensait au contraire que "the slaves Laken to Reunion and Maurice would not have been Malay in the narrow sense, meaning Muslims of Sumatra, Malaya and S.W. Borneo, but non-Muslim Indonesian predominately from Nias, the Batak area and Bali".
[56] H. GERBEAU, "Les esclaves asiatiques des Mascareignes au XIXe siècle. Enquêtes et hypothèses", art. cit., p. 189-190 (enquêtes effectuées sur le terrain et documents d'archives - par exemple des lettres que les missionnaires adressent à leur supérieur ou à leur famille : ASE, Bte. 232, A I, Bourbon, 13 déc. 1842, du P. Levavasseur au P. Libermann et A III, Bourbon, Rivière des Pluies, 6 nov. 1844, du P. Blampin à sa grand'mère).
[57] Clairs comme l'Indienne à la peau "plus blanche que cuivrée" admirée par Milbert, blancs comme certains créoles décrits dans des minutes notariales, tous sont dits noirs parce qu'esclaves ou assimilés à l'esclave (cf, par exemple, ADR, Not. Saint-Denis, minutes de Maître Manès, 6 oct. 1940, no 310, vente de Mme Vve Fréon aux Vves Sicre et Marchant : parmi les "noirs" vendus, on mentionne des individus dont les cheveux sont "châtain droits" ou "blonds" et dont la peau est "bistre" ou "blanche").
[58] Centre Universitaire de la Réunion, 1972, Séminaire de sciences sociales (Pour une connaissance de la Réunion) ; Un développement ambigu, Saint-Denis, Fondation pour la recherche et le développement dans l'Océan Indien, 1983, 195 p. ; "Paysans de la Réunion", Annuaire des Pays de l'océan Indien, vol. VIII, 1981, Aix, Paris, CERSOI, PUAM-CNRS, 1984, p. 145-240.
[59] Voir H. TINKER, A New System of Slavery. The Export of Indian Labour Overseas 1830-1920, London, Oxford University Press 1974, XVI-432 p. (p. V).
[60] J.-L. MIEGE, Indentured Labour in the Indian Ocean and the Particular Case of Mauritius, Leiden, Centre for the History of European Expansion, Intercontinenta, no 5, 1986, 62 p.
[61] P.C. EMMER, "The Meek Hindu : The Recruitment of Indian Labourers for Service Overseas, 1870-1916" in Colonialism and Migration ; Indentured Labour before and after Slavery, ed. by P.C. Emmer, Dordrecht, M. Nijhoff, 1986, p. 187-207 (et voir p. 13 : "W. Green argues that the Jamaican planters experienced Asian contract labour as something completely different from slavery").
[62] R.W. FOGEL and S.L. ENGERMAN, Time on the Cross, vol. 1, The Economics of American Negro Slavery, vol. 2, Evidence and Methods, Boston, Toronto, Little, Brown and Company, 1974.
[63] IOL, EP, 2278, p. 31 (voir P.C. Emmer, "The Meek Hindu in Colonialism..., op, cit., p. 187).
[64] IOL, EP, Consul Perry, 4th December 1874.
[65] M. CARTER and H. GERBEAU, "Covert Slaves and Coveted Coolies in the Early Nineteenth Century Mascareignes", Workshop on the Long Distance Trade in Slaves Across the Indian Ocean and the Red Sea in the 19th Century, SOAS, University of London, December 17-19, 1987 (publ. in Slavery and Abolition, vol. 9, no 3, 1988 December, p. 193-207 et in The Economics of the Indian Ocean Slave Trade, ed. by Gervase Clarence-Smith, London, F. Cass, 1989, Vll-222 p (p. 194-208).
[66] "L'immigration indienne à Bourbon avant l'abolition de l'esclavage 1828-49", Proceedings of the Fourth Pan Indian Ocean Science Congress, Section E, Karachi, Pakistan, November 1960, p. 135-144.
[67] ADR, 79 M 3 : Indiens battus (Rapports généraux de police, no 4, Janvier 1830) ; 79 M 4 : un Indien meurt sous les coups, il "ne marchait pas au gré du commandeur" (lettre no 748, 17 avril 1836, du commandant de gendarmerie de l'arrondissement sous-le-vent au directeur de l'Intérieur) ; 79 M 5 : révolte de 31 Indiens contre les mauvais traitements dont ils sont victimes (lettre no 144, 10 mai 1851, de Lambert, commissaire central de sûreté au directeur de l'Intérieur).
[68] ANOM, Réunion, C 85, d 558, mémoire, 8 Novembre 1832.
[69] ADR, 57 M 2, mémoire sur la situation de 1 île, 14 Octobre 1848.
[70] "Les problèmes liés à la 'criminalité indienne' pendant la période de l'engagisme à la Réunion", in Relations..., vol. II, p. 301-316.
[71] ADR, 49 M 7, lettre no 296, 16 août 1830, du gouverneur de Bourbon au gouverneur des Établissements français de l'Inde, Pondichéry.
[72] I.M. CUMPSTON, Indians Overseas in British Territories 1834-1854, London, Oxford University Press, 1953, reprint, Dawsons, 1969, p. 13.
[73] J.-F. DUPON, "Les Immigrants indiens de la Réunion. Évolution et assimilation d'une population", Les Cahiers d'Outre-Mer, Bordeaux, t. XX, 1967, p. 48-88, reprint, Cahiers du Centre Universitaire de la Réunion, no 4, Octobre 1974, p. 67-93 (p. 72). J. WEBER, Les Établissements français en Inde au XIXe siècle (1816-1914), thèse de doctorat d'État, Université de Provence, mars 1987, 9 vol., 11-3004 p. dactyl. Cf. vol. 4, ch. VII, p. 943-1323, "Émigration indienne et commerce maritime les facteurs externes du progrès" (Résumé dactyl. de Jacques Weber, p. 5-6 "L'émigration indienne est le fait le plus marquant de la vie des établissements entre 1848 et 1885 (...) elle est entachée de graves abus dont sont victimes les émigrants, originaires pour la plupart des présidences de Madras et du Bengale (...)
[74] 75. PRO, FO 84 1445, fol 235 r-v, consul Perry (secret), "in connection with the suppression of the Slave Trade..." (1877 February) ; 84/1410, fol 142 (confidential), reçu 650 F "pour services rendus au Consulat", signé Descombes, Saint-Denis, 3 Nov. 1875 ; 84/1445, fol 187 r-191 v, Confidential. Slave Trade no 1, Reunion January 1st. 1876 ; 84/1445, fol 231 r-234 r, Confidential, Slave Trade no 9, Reunion September 1st. 1876. P.P., Slave trade, vol. 90, "Correspondence respecting the 'Charles et Georges'...", p. 595-680. AMAE, Correspondance politique, Portugal, vol. 193-194, Zanzibar, vol. 2. AAML, 4C6/2C/1, affaire de la Céleste-et-Amélie ; 4C5/3C, trafic Lamu-Réunion ; 4C3/281, "remises de documents secrets et confidentiels" par les chefs de la Division navale. Voir aussi : H. Gerbeau, "Engagees and coolies on Réunion Island, slavery's masks and freedom's constraints", in Colonialism and igration..., 1986, op. cit., p. 209-236.
[75] A. SCHERER, "La convention franco-britannique du 25 juillet 1860 sur le recrutement de travailleurs indiens pour la Réunion", in Relations..., vol. II, p. 243-255.
[76] S. FUMA, "La suppression de l'immigration indienne à destination de la Réunion en 1882", in Relations..., vol. II, p. 257-268.
[77] H. GERBEAU, "Le rôle de l'agriculture dans le peuplement de la Réunion", in Relations historiques..., UNESCO, 1980, op. cit., p. 133-142.
[78] ADR, 120 M 1 à 120 M 22. Voir aussi : H. GERBEAU, carte et notice sur "La Réunion de 1815 à 1925", in Allas des Départements Français d'Outre-Mer, 1 La Réunion, Paris, CNRS et IGN, 1975.
[80] J.C. JHA, "Early Indian Immigration into Mauritius (1834-1842)", in Indian Labour Immigration, ed. by U. Bissoondoyal and S.B.C. Servansing, Moka, Mahatma Gandhi Institute, 1986, (XXII)-329 p. (p. 9-19 - voir p. 15).
[81] Indentured Labour.... Leiden, 1986, op. cit.
[82] "Continuity between Slavery and Indian Immigration ?", in Indian Labour Immigration, Moka, 1986, op. cit., p. 1-8 (voir aussi p. 20-72 : "Examination of Certain Aspects of the Slavery-Indenture Continuum of Mauritius Including a Scenario That Never was", by J. Manrakhan).
[83] "Creoles, Indian Immigrants and the Restructuring of Society and Economy in Mauritius 1765-1885", University of Illinois, 1983, XII-293 p. dactyl. (unpublished thesis, Ph.D.).
[84] "Indian Labour Migration to Mauritius and the Indenture Experience, 1834-1874", Oxford, St. Antony's College, 1987, XV-369 p. (unpublished D.Ph thesis).
[85] Voir supra, no 35 et 81. Voir aussi Indian Overseas. The Mauritian Experience, ed. by U. Bissoondoyal, Moka, Mahatma Gandhi Institute, 1984.
[86] S. PEERTHUM, "Forms of Protest and Resistance of Indian Labourers", S.J. REDDI, "Labour Protest among Indian Immigrants", in Indian Labour Immigration, Moka, 1986, op. cit., p. 88-94 et 116-135.
[87] "Indians' participation in Mauritian politics (1834-1934)" in Relations..., vol. II, p. 69-89 (p. 73-80).
[88] M. JUMEER, "Le mouvement de rétrocession et les cultures française et indienne à l'Île Maurice (1918-1921)" in Relations..., vol. II, p. 53-65.
[89] L. FACOREU, L'île Maurice, Paris, Berger-Levrault, Encyclopédie politique et constitutionnelle, 1970, 119 p. (p. 25-29).
[90] R. VIRAHSAWMY, "A Form of Liberation (From the Camp to the Village)", in Indian Labour Immigration, Moka, 1986, op. cit., p. 145-151.
[91] A.C. KALLA, "The Language Issue : A Perennial Issue in Mauritian Education" id., p. 165-178.
[92] J. BENOIST, "Religion hindoue et dynamique de la société réunionnaise", Annuaire des Pays de l'océan Indien, vol. VI, 1979, Aix, Paris, CERSOI, PUAM-CNRS, 1980, p. 127-166 (p. 133). [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]
[93] P. EVE, "Les péripéties d'une insertion : les indo-musulmans à la Réunion de la fin du XIXe siècle à 1939", in Relations..., vol. II, p. 333-360.
[94] C. PRUDHOMME, "Les indiens de la Réunion entre hindouisme et catholicisme", J. Benoist, "Usages et transformations du sacré indien dans la société réunionnaise", in Relations..., vol. I, p. 249-266 et 267-292.
[95] J. BENOIST, "Religion hindoue et dynamique art. cit., p. 163.
[97] H. GERBEAU, "La Réunion. Émeutes du "mal vivre" ou escarmouches pour l'indépendance ?", Universalia 1992, Paris, Encyclopaedia Universalis, 1992 (sous presse).
[98] R. DELVAL, "La communauté musulmane de l'Île Maurice", in Islam contemporain dans l'Océan Indien, Aix, Paris, CERSOI, PUAM-CNRS, 1981, p. 49-78. Cf. p. 52-53 : environ 1/6 des 450 000 travailleurs engagés arrivés à Maurice étaient musulmans ; ils venaient soit du nord (Bihar, Calcutta) soit du sud (Madras, Andhra Pradesh) de la partie orientale du sous-continent indien. Installés dans les zones rurales, ces cultivateurs se distinguent d'autres Musulmans, venus de la partie occidentale de l'Inde, qui vivent dans les villes comme commerçants, artisans ou travailleurs du port.
[99] M. VALENTIN, La cuisine réunionnaise, Saint-Denis, Institut d'Anthropologie et Fondation pour la Recherche et le Développement dans l'océan Indien, 1982, 132 p. ; T.N. CHRISTOPIIE-TCHAKALOFF, "L'apport de l'Inde comme foyer iconographique dans les arts décoratifs réunionnais aux XVIIIe et XlXe siècle", in Relations..., vol. I, p. 213-226.
[100] L. FAVOREU, "Seewoosagur Ramgoolam, 1900-1985", Universalia 1986, p. 593, Paris, Encyclopaedia Universalis, 1986.
[101] Ibid. Voir aussi : J. COLOM, "La Cour suprême de l'Île Maurice et le contrôle de constitutionnalité des textes fondamentaux de 1964 à 1984", thèse de doctorat d'État, soutenue le 30 janvier 1989, Université d'Aix-Marseille III, 283 p. dactyl. + annexes.
[102] J.G. PROSPER, Histoire de la littérature mauricienne de langue française, île Maurice, Éditions de l'Océan Indien, 1978, 346 p. (p. 305-309)
[103] F. LACPATIA, Boadour. Du Gange... à la Rivière des Roches, 1861-1863, SaintDenis, A.G.M., s.d. (1978), 140 p. Il est intéressant de lire, en contrepoint au roman, les communications de M.K. Gautam, "Immigration and identity : the French contribution to the formation of an Indo-French identity within the Indian culture of the Indian Ocean territories", et de M. Marimoutou, "Femmes indiennes et engagement au XIXe siècle à la Réunion", in Relations..., vol. II, p. 91-106 et 285-297.
[104] Misère Noire (ou Réflexions sur l'histoire de l'île Maurice), Maurice, Swan Printing, s.d. (c. 1980), 233 p.
[105] M.D. OODIAH, "Communalisme/Ethnicité : théories, concepts, notions, analyses : revue critique et nouvelles perspectives", Journal of Mauritian Studies, vol. 2, no 2, Moka, Mahatma Gandhi Institute, 1988, p. 86-134. Pour établir un parallèle avec l'insertion d'autres communautés indiennes dans le monde, on peut consulter : Overseas Indians. A Study in Adaptation, G. Kurian and R.P. Srivastava (ed.), New Delhi, Vikas Publishing House Pvt. ltd., 1983, XII-313 p.
[106] Week-End, lie Maurice, hebdomadaire, numéros du 25 septembre 1988, 2 et 9 octobre ("'L'affaire Virahsawmy"), 30 oct. 1988 etc., et notamment le numéro du 20 novembre 1988, p. 1, 5 et 8, article intitulé : "M. Raj Virahsawmy : 'Mon mouvement, le TTM, ne vise pas les 'Hindi speaking' (M. Virahsawmy déclare, par exemple, p. 5 : "... Se battre. À commencer par ceux qui sont victimes de l'injustice, du racisme, c'est à dire, les minorités ethniques. Ce que j'ai fait avec les Tamouls, les Télégous et les Marathis. En leur disant qu'ils méritent une part du gâteau"). Voir aussi : Le Nouveau Virginie, Île Maurice, mensuel d'information, no 21, novembre 1988, p. 3 : "L'apprenti-sorcier" et p. 5, 7 et 38 : “Raj Virahsawmy : 'Le TTM est un passage obligé'”.
[107] J. HOUBERT, "L'Inde : entre le continent et l'océan", in Relations..., vol. Il, p. 407-418 (p. 416).
[108] H. GERBEAU, "Mythes et stratégie. Le Sud-Ouest de l'Océan Indien du XVIle au XXe siècle : un espace français ?", à paraître dans le volume de Mélanges offerts à J.-L. Miège, Université de Provence, Aix, 1992.
[109] A. RAMASSAMY, Sénat, 30 avril 1987 (6 p. dactyl.), p. 1 : "Élu et originaire de l'Outre-Mer, la question calédonienne me préoccupe doublement. Farouchement opposé à une éventuelle indépendance de mon île natale, je ne peux être favorable à celle d'une autre île française (...). Je suis convaincu que la France d'aujourd'hui n'est pas colonialiste, et que sa politique d'outre-mer est généreuse (...) mais je suis convaincu aussi que Nouméa a fait dévier cette politique vers l'oppression coloniale". On lira du même auteur : La Réunion, décolonisation el intégration, Saint-Denis, AGM, 1987, 81 p. On pourra se reporter aussi à la thèse d'Helen Hintjens : "Réunion, France and the EEC : the State North-South Relations", doctoral thesis in Politics, University of Aberdeen, 1987, ainsi qu'à une de ses communications : "Decolonisation through integration into France : Réunion, Martinique and Guadeloupe" (meeting of the P.S.A. Plymouth Polytechnic, 12-14 April, 1988).
[110] A. CHELIN, Une Île et son passé : Île Maurice (1507-1947), Port-Louis, The Mauritius Printing Cy. Ltd., 1973, (VIII)-477 p. (p. 102-105).
[111] M. VOVELLE, Idéologies et Mentalités, Paris, Maspero, 1982, 331 p. (p. 115).
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