Professeure titulaire, département d’anthropologie,
Université Laval
“L'anthropologie du développement
au temps de la mondialisation”. [1]
Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 24, no 1, 2000, pp. 57-78. Numéro intitulé : Terrains d'avenir. Québec : Département d'anthropologie, Université Laval.
- Résumé / Abstract
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- Introduction
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- Anthropologie du développement et économie politique
- L'objet et les méthodes de l'anthropologie du développement
- La mondialisation, l'État et le genre
- Les champs du développement
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- Le champ structurel et la globalité
- Le champ du local, des organisations et des catégories sociales
- Le champ des individus et du quotidien
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- Conclusion
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- Références
RÉSUMÉ / ABSTRACT
L'anthropologie du développement
au temps de la mondialisation
Écrit du point de vue de l'économie politique féministe et basé sur une expérience ethnographique en Amérique latine (surtout au Mexique), cet article porte sur l'anthropologie du développement et son objet, la relation de développement. Le premier objectif de l'article est d'effectuer un retour sur les contributions récentes de différents auteurs dans le domaine et de cerner l'objet de l'anthropologie du développement dans le contexte des processus de mondialisation. Le deuxième objectif est de faire ressortir l'aspect « genré » du développement et de la restructuration économique, tout en faisant le lien avec la question de l'État. Enfin, l'auteure montre que l'approche méthodologique de la relation de développement gagnerait à envisager son déploiement selon différents champs du social.
Mots clés : Labrecque, anthropologie du développement, mondialisation, genre, État, économie politique
Development Anthropology
in Times of Globalization
Written from a feminist political economy standpoint and with a Latin American ethnographic experience in mind (especially Mexico), this article deals with development anthropology and its main concern, the study of development as a social relation. On the one hand, it takes into account recent contributions on the subject and shows how different authors revisited development as a social relation in the context of globalization. On the other hand, the article seeks to show the gendered aspect of development and economic restructuring while discussing the question of the state. Finally, from a methodological point of view, the author argues that development as a social relation should be dealt with in different social arenas.
Key words : Labrecque, development anthropology, globalization, gender, state, political economy
Introduction
Dans une conférence donnée en automne 1998 à Montréal, Susan George, présidente de l'Observatoire de la mondialisation à Paris et auteure de nombreux ouvrages critiques sur le développement (dont George 1992 ; George et Sabelli 1994) affirmait que « la grande victoire des ultra-libéraux, c'est d'avoir réussi à marginaliser et à isoler les gens qui ont des idées contraires au discours économique dominant » (Le Devoir 19 octobre 1998). Elle ajoutait qu'elle faisait partie de ces gens, mais ne baissait pas pavillon pour autant. Elle continue aujourd'hui à tenir un discours que l'on pourrait qualifier d'alternatif.
Le défi est grand pour qui tient ce type de discours. L'anthropologue Arturo Escobar explique en effet que la domination du discours économique est liée en grande partie au fait qu'il se rattache à cette institution qu'est « l'économie occidentale », liée à la montée du marché et qui s'est constituée en domaine autonome dès le XVIIIe siècle. Cette institution est composée de systèmes de production, de pouvoir et de sens, trois éléments intimement liés au développement du capitalisme et de la modernité, de telle sorte que plusieurs aspects de la vie sont devenus « économisés », comme la biologie humaine, les rapports sociaux et les rapports entre les gens et la nature. Ainsi, le corpus théorique de l'économique sert de substrat à tout un univers discursif, et s'est constitué en un ensemble de pratiques (de planification notamment) au service des institutions internationales de développement. La consolidation de l'économique occidental et sa constitution comme culture sont donc centrales pour l'histoire de la modernité (Escobar 1995 : 58-60, 85).
Dans cette histoire, une discipline comme l'anthropologie est quasiment vouée à occuper une place marginale. Cela a d'ailleurs des conséquences sur la reconnaissance professionnelle des anthropologues. Comme Ranc (1988) et Rey (1993) l'ont montré respectivement pour les États-Unis et la France, les anthropologues n'ont nullement été absents du monde du développement, au contraire. Cependant leur intégration s'est effectuée au sein d'une structure surdéterminée par les économistes qui avaient déjà défini le développement en termes de problèmes, l'avaient balisé selon des secteurs et avaient conçu des solutions sous forme de programmes et de projets (Escobar 1984-1985, 1991).
Les débats relatifs à l'insertion de l'anthropologue sur le marché du travail, particulièrement dans le domaine du développement international, sur son engagement politique et social, de même que sur les questions éthiques s'y rapportant ont déjà été abordés dans les pages de cette revue, il y a une douzaine d'années et, sur le plan des questionnements généraux et de la pratique professionnelle, ils demeurent tout à fait d'actualité [2]. Aussi n'y reviendrai-je pas. Il s'agit plutôt d'examiner un autre aspect de la question, plutôt négligé par les divers participants au débat, celui de la recherche dans le domaine de l'anthropologie du développement, tout en essayant de ne perdre de vue ni les rapports de pouvoir dans lesquels cette recherche s'inscrit ni les défis posés par le discours alternatif.
L'objet de la recherche en anthropologie du développement comporte de multiples dimensions. Il inclut les structures et les pratiques du développement institutionnel, les processus par lesquels les populations se les réapproprient et les réinterprètent [3], autant que les histoires et les trajectoires des acteurs sociaux et des individus engagés au quotidien dans ces processus et qui contribuent, de façon parfois souterraine, à définir l'action. Il s'agira de faire ressortir la spécificité de cette recherche dans le contexte de la mondialisation et de la modernité, avec les éclairages particuliers de l'économie politique en anthropologie et des études féministes.
J'expliquerai plus loin que la relation de développement, tout autant que la production au temps de la mondialisation, est un processus marqué par une multiplicité de rapports hiérarchiques qui peuvent être abordés, des points de vue théorique et méthodologique, dans différents champs [4] du social, et qu'il s'agit de rapports au sein desquels le genre est particulièrement significatif. Comme la production, le développement est un processus « genré ». Cette réalité n'est cependant guère reflétée dans la littérature anthropologique se rattachant au développement et l'un des objectifs de cet article est de faire ressortir l'importance de la prise en compte de cette dimension des rapports sociaux. Mon appréhension de l'anthropologie du développement s'est effectuée à travers l'étude critique des politiques internationales d'intégration des femmes au développement et de l'effet de ces politiques sur des populations paysannes et indiennes en Amérique latine. Aussi les quelques exemples auxquels j'aurai recours proviennent-ils de cette partie du monde, particulièrement du Mexique. De façon plus générale, cet article voudrait contribuer à la vision critique du changement social qu'un certain nombre d'anthropologues d'horizons divers élaborent et qui pourrait bien finir par constituer une voie/voix alternative au discours hégémonique sur le développement.
Anthropologie du développement
et économie politique
Il ne s'agit pas, dans le présent article, d'aborder le développement en tant que tel mais bien l'anthropologie du développement. Arturo Escobar a effectué une distinction fort utile entre l'anthropologie associée au développement et l'anthropologie du développement. Ainsi, les anthropologues de la première tendance « [...] préconisent un engagement actif avec les organismes de développement en faveur des pauvres afin de transformer la pratique du développement de l'intérieur » ; ceux de la seconde tendance, dans laquelle s'inscrit cet article : « [...] prennent parti pour une critique radicale et une distanciation des "pouvoirs établis" en matière de développement » (Escobar 1997 : 540). Bien entendu, il est possible d'établir des ponts entre les deux tendances ou de passer de l'une à l'autre, mais j'ai trouvé la distinction provisoirement utile pour situer d'emblée mes propos au sein de l'économie politique et culturelle en anthropologie.
Dans un article publié en 1988, William Roseberry montre que l'économie politique en anthropologie est une approche caractérisée par un large éventail d'intérêts de recherche, d'idées, de méthodes et de travaux qui, aux Etats-Unis, ont été inaugurés par Wolf et Mintz dans les années 1940. La suite de ces travaux a été profondément marquée par le radicalisme des années 1970, puis par les théories de la dépendance et du système-monde. Des auteurs français s'inscrivent aussi dans cette approche, leur influence s'étant fait sentir dans les débats qu'ils ont provoqués sur le concept de mode de production. Au cours des années 1980, les anthropologues se tournèrent davantage vers les formes de production que vers l'identification des modes de production et s'engagèrent dans une série d'études sur la petite production marchande. Un retour vers l'ethnographie et l'histoire a renouvelé l'intérêt pour le « sujet anthropologique » à l'intersection de l'histoire locale et de l'histoire globale. À la fin des années 1980, Roseberry décrivait l'économie politique en anthropologie comme étant marquée par une tension théorique et méthodologique entre l'intérêt porté à la globalité, la détermination et la structure, d'une part, et le local, l'arbitraire et l'agencéité (agency), d'autre part (Roseberry 1988 : 174).
Les préoccupations féministes n'ont pas été totalement absentes de l'approche de l'économie politique en anthropologie. En témoignent les travaux d'Eleanor Leacock (1981) jusqu'à sa disparition en 1987, et ceux de June Nash (Roseberry 1988 : 164), cette dernière ayant été particulièrement interpellée par la révolte des Zapatistes au Chiapas, sur laquelle elle continue d'ailleurs de publier (Nash 1997, 1995). Plus précisément, ces préoccupations se sont combinées à un débat plus approfondi sur les concepts de genre et de culture pour produire une approche appelée « économie politique féministe et culturelle »dans laquelle la tension dont parlait Roseberry est toujours présente. Ainsi, des féministes de cette tendance affirment que « l'analyse de genre est essentielle à la compréhension des processus globaux et de l'importance de la culture dans l'expérience quotidienne » (Lamphere et al. 1997 : 3) [5].
Dans le résumé que fait Micaela di Leonardo de l'économie politique féministe et culturelle, il ressort un rejet radical de l'évolutionnisme social [6] et de l'essentialisme. Il s'agit de laisser la place à tout l'éventail possible d'expressions des rapports de genre selon les sociétés. L'approche doit être constructiviste et permettre d'envisager toutes les variations dans les comportements humains, y compris dans le domaine de la sexualité [7]. Il importe de situer les populations dans l'histoire régionale, nationale et globale et de reconnaître que le genre, dans ses aspects matériels, institutionnels et idéologiques, est enchâssé dans la société. Toutes les formes d'inégalité méritent d'être analysées de façon à rendre compte de leur complexité, précisément à l'intersection de stratifications multiples. Enfin, toutes les couches du contexte à travers lesquelles la réalité culturelle est perçue et qui sont révélatrices des relations de pouvoir, doivent aussi être analysées : cela va de la relation entre les chercheurs et les sujets de la recherche à laquelle, bien entendu, les féministes n'échappent pas, jusqu'à la relation néo-coloniale (di Leonardo 1991 : 28-32). En somme, l'économie politique féministe et culturelle choisit une approche globale du fait social.
Dans le domaine du développement, au moment où les préoccupations environnementales remettent plus que jamais à l'ordre du jour la question de l'accès aux ressources, l'économie politique revêt les habits de l'écologie politique. Escobar définit cette approche comme « l'étude des relations entre culture, environnement, développement et mouvements sociaux »(1997 : 553). Des féministes ont proposé, quant à elles, une approche d'écologie politique féministe qui s'inscrit au cœur des débats de la mondialisation tout en accordant une importance très grande à l'expérience locale et aux mouvements sociaux (Rocheleau et al. 1996). Tout en rappelant que le genre est une construction sociale qui façonne les rôles et les rapports que les êtres humains entretiennent entre eux et ce, dans tous les aspects de leurs activités, ces féministes mettent l'accent sur les dimensions politiques de l'accès différencié des hommes et des femmes aux ressources naturelles, du contrôle qu'ils en ont, de l'usage qu'ils en font et de la responsabilité qu'ils ont envers elles (Thomas-Slayter et Rocheleau 1995 : 79-80, 94, 97 ; Jackson 1993 : 399). En somme, à l'aube du nouveau millénaire, l'économie politique continue de rallier les chercheuses et les chercheurs intéressés simultanément aux débats globaux et à l'expérience locale. Enrichie par les apports féministes, tout en restant attachée à l'étude des rapports de production, l'approche ouvre sur la multiplicité de formes que prennent ces rapports traversés par le genre.
L'objet et les méthodes
de l'anthropologie du développement
L'anthropologie du développement qui m'intéresse ici est donc celle qui s'inscrit dans le cadre général de l'économie politique. Mais quel est donc, plus précisément son objet ? Actuellement, il semble se situer du côté du concept même de développement. C'est du moins ce que suggèrent Dahl et Hjort, par exemple, en affirmant que :
- dans le cadre d'une anthropologie critique, engagée dans l'examen approfondi des processus de changement socio-économique et politique, il y a de la place pour une anthropologie du développement qui « exotise » le concept de développement, documente et analyse des situations sociales particulières parce qu'elles sont définies par les participants comme étant des situations de développement.
- Dahl et Hjort 1984 : 169, les auteurs soulignent
Ils proposent d'ailleurs d'étudier à la fois les « développeurs » et la « population cible » (ibid. : 174).
À son tour, Escobar propose de « défamiliariser le familier »(1997 : 546) et de soumettre la notion de développement à l'examen anthropologique. Tout en s'inspirant de Foucault, il pousse un cran plus loin des idées évoquées par Dahl et Hjort sur le développement comme message et créateur de sens (c'est le titre de leur article) et aborde le développement comme formation discursive. La méthode qu'il préconise transcende la dichotomie entre « développeurs » et « population-cible » par l'analyse des caractéristiques et des relations entre trois axes du développement : 1) les formes de connaissances qui l'ont créé et qui se sont concrétisées dans des objets, des concepts, des théories ; 2) les systèmes de pouvoir qui régulent sa pratique et 3) les formes de subjectivité entretenues par ce discours et par lesquelles les gens en viennent à se considérer comme développés ou sous-développés (Escobar 1995 : 10).
Certains auteurs trouveront que l'insistance d'Escobar sur le discours et l'analyse textuelle est trop appuyée, et que les pratiques de développement méritent autant d'être déconstruites que les discours (Gow 1996 : 166, 171). Jean-François Baré, notamment, tout en considérant le développement comme catégorie d'un système sémantique et comme mythe d'origine, s'attache davantage aux formes institutionnelles du développement qu'il considère comme des faits culturels et sociaux du même ordre que ceux qui intéressent les anthropologues (Baré 1987 : 267, 272, 281). Insistant davantage sur l'examen des politiques de développement, il affirme qu'elles sont : « [...] un ensemble d'interactions complexes entre des lieux de réflexion ou de décision macroéconomique, des bureaucraties et des administrations, des groupes ou des acteurs sociaux » et s'emploie à montrer que l'étude de ces interactions est aussi un « terrain » de l'anthropologie (Baré 1997 : 144).
Pour circonscrire davantage l'objet de l'anthropologie du développement, Olivier de Sardan affirme que le développement n'est « qu'une des formes du changement social » et se définit comme :
- l'ensemble des processus sociaux induits par des opérations volontaristes de transformation d'un milieu social, entreprises par le biais d'institutions ou d'acteurs extérieurs à ce milieu mais cherchant à mobiliser ce milieu et reposant sur une tentative de greffe de ressources et/ou techniques et/ou savoirs.
- Olivier de Sardan 1995 : 7 [8].
C'est ce qu'il appelle la « configuration développementaliste ». Sur le plan de la méthodologie, il insiste sur la complexité du social et voit la dialectique (on pourrait dire la tension) entre les « macro/structures » et que les « micro/stratégies sociales »comme un problème à résoudre (ibid. : 14, 41).
En somme, on semble s'entendre sur le fait qu'au cœur même du concept de développement, il y a un ensemble de rapports sociaux qu'il importe de démystifier, autant sur le plan du discours, de la rhétorique ou du sens que sur celui des pratiques institutionnelles ou sur les deux simultanément. Sabelli le dit clairement : « [l]e développement comme relation est de plus en plus l'objet d'étude de l'anthropologue moderne » (Sabelli 1993 : 8). Il propose de tenir compte du fait que cette relation est opacifiée par les mythes qui nous séparent de l'Autre tout en s'éloignant lui aussi des approches dichotomiques. Le développement est en effet envisagé comme altérité anthropologique et non pas comme une opposition, par exemple, entre tradition et modernité. Il insiste à la fois sur la complexité de cette relation et sur les difficultés qui en découlent sur le plan de la communication (Sabelli 1993 : 25, 31). En raison de ces difficultés, il estime nécessaire le recours à une théorie de la pratique et à une théorie de la personne qu'il définit comme l'examen de ce qui relève de la situation contingente et de ce qui se trouve incorporé dans les systèmes de pensée et dans les structures sociales. On peut voir là une approche méthodologique qui permettrait d'« atteindre la complexité de la relation de développement » (ibid. : 33). Or, cette relation est unique et oblige à « concevoir à chaque occasion une démarche adaptée aux contraintes inhérentes à la nature de la relation » (ibid. : 35).
L'objet de l'anthropologie du développement est donc la relation de développement. Cette relation a certes des dimensions multiples, et les éléments méthodologiques qui ont été évoqués serviront un peu plus loin à préciser certaines modalités de la recherche dans le domaine. Lorsque l'on campe plus directement l'étude de cette relation dans le contexte de la mondialisation, on pense spontanément aux relations entre le Nord et le Sud. Cependant, on réalise de plus en plus que ces relations sont en changement constant et, bien que les inégalités se creusent sans cesse, on ne sait plus trop bien ce qu'on entend par ces deux pôles. On peut très certainement se demander si cette dichotomie régionale est encore valable à l'heure où de nouveaux blocs régionaux sont en train de se constituer et transcendent, du moins dans leur configuration, ces oppositions traditionnellement acceptées. L'objet de l'anthropologie du développement a gagné en complexité dans la mesure où les relations régionales sont de moins en moins dichotomiques et de plus en plus multidimensionnelles. Les propos des scientifiques sociaux sur la mondialisation peuvent sans doute éclairer cette question.
La mondialisation, l'État et le genre
La mondialisation semble faire référence au fait que l'intégration économique atteint maintenant des sommets inédits. Les auteurs qui s'y sont intéressés s'entendent sur le fait qu'il s'agit d'un processus (économique, social, démographique, culturel). Certains affirment que c'est d'abord un processus social (Hoogvelt 1997 : 131) ; d'autres pensent qu'il est déterminé par l'économie « dont l'emprise est renforcée par les techniques de communication » (Rist 1997 : 24). Partout, le phénomène dépasse le cadre national (Kearney 1995 : 548) et parmi ses caractéristiques, on retrouve l'ouverture des marchés à la concurrence internationale, la perte du pouvoir d'État, la fin des territoires et le triomphe de l'idéologie « sans frontière »(Rist 1997 : 24).
Les conséquences de la mondialisation sont complexes et contradictoires. De prime abord, le déclin des formes hiérarchiques d'organisation, la décentralisation du contrôle politique peuvent nous donner l'illusion d'une homogénéisation (Long 1996 : 40). Mais en fait, des fossés se creusent, la marginalisation s'intensifie. Nous vivons dans un monde d'hétérogénéité que nous ne savons pas toujours comment analyser parce que, selon Rist, « la mondialisation ne répond à aucun modèle culturel connu jusqu'ici » (Rist 1997 : 35-36). Par ailleurs, les contradictions ne s'expriment pas toujours de la même façon. Rist donne l'exemple de la dilution du lien social et du déficit d'État qui accompagnent partout la mondialisation. Il montre qu'au Nord, la logique du marché l'emporte sur le lien social. Au Sud, l'échec du développement vient se superposer au déficit d'État : la logique de l'identité et les revendications « culturelles » (les guillemets sont de Rist) prennent le dessus et provoquent une crise de régime (Rist 1997 : 26-28). Même les formes que revêt cette crise de régime sont très hétérogènes.
Ce déficit d'État et cette dilution du lien social font partie de la restructuration liée au processus économique de la mondialisation. D'après Long, cette restructuration touche trois domaines : celui de la production, du travail et de la vie économique en général ; celui de l'État, du pouvoir, des mouvements sociaux et des identités socio-politiques et enfin, celui de la connaissance, de la science et de la technologie (Long 1996 : 38-39). La relation de développement ne peut échapper à cette restructuration. L'inscription de l'anthropologie du développement dans le processus de mondialisation pose donc des défis particuliers à la recherche sur les plans théorique et méthodologique puisque, comme le dit Long, l'étude de la mondialisation, c'est l'étude du changement social et celle de processus complexes et interreliés (Long 1996 : 37).
Une des dimensions rarement examinées de ce changement est celle qui est liée au genre. En dehors du domaine clairement circonscrit des études féministes qui ont donné lieu à un grand nombre de publications dans le domaine « femmes et développement », les analyses de genre brillent par leur absence en anthropologie du développement. En général, on semble croire que « genre » est un mot substitut pour « femmes », et si on l'aborde comme rapport social - ce qui est déjà conceptuellement plus juste - on se situe exclusivement au niveau des rapports entre individus (voir Carver 1996). Sa pertinence sur le plan des structures pose vraisemblablement problème. Escobar semble échapper à cette généralisation. En effet, pour illustrer la prégnance discursive de l'économique sur l'appareil de développement, il reconstitue le processus par lequel le développement a « découvert » les femmes ; il montre comment les connaissances féministes ont été bureaucratisées dans le contexte institutionnel et quelles sont les tensions entre les luttes des féministes et l'application des politiques de développement pour les femmes, spécifiquement dans le cas des paysannes colombiennes (Escobar 1995 : 171-192). Cependant, en l'absence d'une conceptualisation proprement dite du genre, il ne lui est pas possible de montrer que le développement est « genré ». Pourtant, il aurait probablement pu le faire de la même façon qu'il a expliqué le fait que, dans l'histoire de la constitution de l'économie occidentale, ce sont des économistes (eux spécifiquement et pas d'autres scientifiques sociaux) qui ont dominé le discours et les institutions de développement. Il est près de le faire lorsqu'il fait remarquer que les économistes du développement étaient presque invariablement des hommes (1995 : 85. Voir également sa note 26).
Il lui aurait donc fallu élucider le processus qui a conduit à l'appropriation du discours économique et des institutions, pas seulement par les économistes, mais aussi par des économistes qui étaient des hommes et non des femmes, donc une appropriation « genrée ». Connelly et ses collègues se sont attaquées à cette tâche tout en réfléchissant sur la mondialisation : la nature « genrée » de la restructuration (« the gendered nature of restructuring ») qui accompagne la mondialisation se manifeste, notamment, par une féminisation de la force de travail dans les années 1980, particulièrement dans les pays qui connaissent un processus accéléré d'industrialisation (Tiano 1994), ou encore par l'évacuation de femmes, auparavant sur le marché du travail, vers le secteur informel.
Une autre manifestation de la restructuration « genrée »réside dans l'accroissement du nombre de maisonnées dirigées par une femme. Ces manifestations ne sont pas propres aux pays dits en développement. Elles touchent aussi les femmes des pays industrialisés où la transformation de leurs conditions de vie, comparée à celle des hommes, montre que le réajustement économique s'est appuyé en très grande partie sur les différences de genre (Connelly et al. 1995 : 21-22). Plusieurs auteurs ont démontré que le poids des politiques d'ajustement structurel a été davantage ressenti par les groupes les plus vulnérables de la société dont les femmes et les enfants (Steans 1998 : 142 ; Simard 1994). Malgré tous ces changements, les hommes continuent d'être reconnus comme les gagne-pain des maisonnées (Safa 1995).
La nature « genrée » de la relation de développement ne peut être cernée correctement sans une approche de l'État qui en institutionnalise le fonctionnement. Dans ce domaine, R.W. Connell [9] fournit une analyse des plus pertinentes, particulièrement dans un article publié en 1996 sur la théorie de genre et la masculinité. Il rappelle d'abord que le genre n'est pas une autre expression pour désigner les femmes. Il se définit plutôt en termes relationnels et ces rapports forment une des structures les plus importantes de toutes les sociétés connues. L'institutionnalisation de ces rapports constitue ce que l'auteur appelle le « régime de genre », alors que la modélisation d'un ensemble de régimes de genre est appelée l'« ordre de genre »d'une société (Connell 1996 : 160-161). La reproduction de cet ordre est assurée par l'État qui constitue le site même des politiques de genre. C'est ce qui le distingue d'ailleurs des autres institutions. L'État est essentiellement patriarcal comme plusieurs auteurs, dont Fox (1988) et Connell (1990), l'ont montré. Comme l'a précisé Ehrenreich (1996), dans son sens commun, le patriarcat désigne certes la domination des hommes sur les femmes mais en même temps, il contient l'obligation pour les hommes de protéger les femmes. Transposé dans le contexte structurel de l'État, le terme, charriant toujours ses connotations contradictoires, est utilisé pour désigner « des situations de rapports de genre historiquement produites dans lesquelles la domination des hommes est institutionnalisée » (Connell 1990 : 514, c'est lui qui souligne).
L'État patriarcal entretient donc les contradictions de genre en même temps que, sous les pressions sociales diverses, il doit atténuer les aspects les plus flagrants de ces contradictions. Cette institutionnalisation de la domination des hommes sur les femmes (et de la subordination des femmes aux hommes -l'approche de genre nous impose de considérer tous les termes de la relation) a des conséquences directes sur l'établissement de hiérarchies bureaucratiques « genrées » (Connell 1990 : 525). En somme, le genre se situe au cœur même de l'ensemble des processus complexes et interreliés qui définissent la mondialisation. À ce titre, il fait partie intégrante de la relation de développement et doit nécessairement être inclus dans la recherche sur cette relation. La réticence avec laquelle le genre est pris en compte actuellement, même par un secteur de la recherche critique, suggère fortement qu'il fait partie des défis posés par le discours alternatif.
Les champs du développement
La recherche dans le domaine du développement doit donc être conçue comme l'étude de processus multiples et complexes, caractéristiques de la modernité. Il n'est guère facile de cerner cette complexité et de la rendre intelligible sans la réduire. L'objet principal de l'anthropologie du développement, on l'a vu, réside dans la relation de développement. Or, au temps de la mondialisation, cette relation s'étire (cette expression est inspirée de Giddens [1994]) singulièrement dans le temps et dans l'espace. À la faveur de la délocalisation des rapports sociaux, la relation de développement traverse elle aussi l'espace et le temps et exige des outils conceptuels qui nous permettent de mieux la cerner.
Les approches de l'économie politique en anthropologie nous aiguillonnent sans aucun doute sur une prise en compte simultanée de la structure et de l'individu, de la globalité et du local. Mais, on l'a vu, les processus de la mondialisation rendent de plus en plus caduques les approches qui évoquent les oppositions dualistes. Comment, en effet, rendre compte de la délocalisation de la relation de développement, de l'étirement des rapports sociaux dans le temps et dans l'espace, de la restructuration des identités et des transformations locales ? Comment rendre compte également de la complexité des rapports sociaux, de leur hétérogénéité croissante et de leur dynamisme ? Dans un contexte de recherche également marqué par la complexité, les réponses à ces questions sont très certainement multiples. Cependant, on remarque des convergences au sein de la recherche critique, en dépit de l'isolement dont parle Susan George et qu'elle attribue au caractère hégémonique du néo-libéralisme radical. Dans les lignes qui suivent, je tente de synthétiser ces convergences selon trois champs conceptuels du social dans lesquels je vois s'« étirer » la relation de développement et selon lesquels il me semble intéressant de l'aborder.
Le champ structurel et la globalité
Dans un premier temps, on peut situer la relation de développement dans le champ structurel. En gros, il s'agit du rapport que les appareils d'État, les institutions internationales et les corporations multinationales entretiennent entre eux. C'est le champ des politiques internationales de développement et de la formulation des programmes. Le discours du développement y est énoncé, des théories y circulent, de même que la critique de ces théories. L'institutionnalisation du développement et des rapports sociaux qui le constituent prennent place dans ce champ. Bien que l'histoire du développement montre que des individus précis ont influencé les politiques et les programmes, les dynamiques sociales qui marquent ce champ se déploient essentiellement entre des institutions.
Dans ce champ, les rapports sociaux significatifs sont désincorporés des acteurs sociaux et des pratiques sociales. Certes, ce champ n'est pas le contexte habituel de recherche des anthropologues du développement quoique plusieurs d'entre eux, dont notamment Escobar, s'y soient d'abord et avant tout situés. Selon cet auteur en effet, il est possible de faire l'ethnographie institutionnelle du développement. Il s'agit de « révéler le travail des institutions et des bureaucraties, de s'entraîner à voir ce qu'on nous a enseigne a ne pas voir, notamment la participation des pratiques institutionnelles dans le façonnement du monde » (Escobar 1995 : 113) [10].
La relation structurelle de développement constitue en elle-même un des processus de mondialisation. En effet, les politiques de développement, les programmes et les stratégies qui en découlent dépassent les frontières et contribuent à un nivellement du changement, du moins dans sa morphologie générale. On n'a qu'à se mouvoir quelque peu dans le « monde » du développement pour réaliser que des populations très différentes utilisent désormais le même langage, les mêmes concepts. Prenons simplement le langage du partenariat, de la participation et du développement durable qui, depuis la fin des années 1980, fait partie du vocabulaire des institutions de développement et de coopération où qu'elles soient. D'ailleurs, dans la mesure où les États nationaux sont en déficit de pouvoir, les interconnexions que suscitent les institutions de développement sont souvent susceptibles d'occuper l'espace vacant. Si l'on retient, avec Olivier de Sardan, que le développement fait référence à des processus sociaux volontairement induits, on doit admettre que le changement qu'on peut observer dans le champ social des structures tend vers une plus grande homogénéité.
L'analyse de genre dans ce même champ confirme cette tendance. Dans ce champ du social, le concept de genre doit être compris dans un sens général et abstrait alors que, comme nous le verrons plus loin, il peut aussi être considéré dans son sens spécifique, selon la localisation et la situation particulière (Schlegel 1990 : 24). Dans ce champ du social, les rapports de genre sont socialement et historiquement inscrits dans les institutions. l'État hégémonique et ses ramifications institutionnelles internationales en sont arrivés à synthétiser les revendications de féministes libérales pour émettre des politiques d'intégration des femmes au développement. Elles continuent de nos jours à s'appliquer à travers d'autres institutions et agences comme la Banque Mondiale, le Fonds monétaire international, particulièrement là où se manifeste le déficit d'État. Que ces politiques aient bouleversé les ordres de genre des différents pays et même remis en question le patriarcat à l'occasion n'est que le signe des contradictions existantes. Comme Connell le signale, il s'agit de modernisation de l'ordre de genre, non pas de sa disparition (1996 : 165-168) [11].
Le champ des structures est un champ délocalisé, déterritorialisé. Les théories, les politiques pourraient être énoncées n'importe où - en fait, elles le sont - et elles circulent indépendamment des frontières. Les façons de faire en matière de développement international sont probablement tout aussi standardisées que le sont les règles qui régissent les flux financiers, la circulation des marchandises, des personnes et des idées. Par contre, la réception ou le rejet de ces théories et de ces politiques s'effectuent différemment dans le champ du local et chez l'individu.
Le champ du local, des organisations
et des catégories sociales
Dans l'approche de la relation de développement, on peut aussi circonscrire un champ dans lequel cette relation prend forme par la mise en œuvre des politiques internationales de développement, des programmes, bref toute une série de pratiques qui font sens dans la logique dominante. On a affaire à des organisations socioculturellement définies et précisément situées historiquement et socialement. Pour prendre un raccourci, on pourrait dire qu'il s'agit du champ social du local ou de la localité. On peut parler ici de villages, de quartiers, de communautés, de coopératives, d'associations, de regroupements, de syndicats, d'organisations non gouvernementales, bref de toutes les organisations qui sont susceptibles de constituer la « cible » de projets de développement ou d'en être les « porteurs ». Certains désigneraient ce champ comme celui de la société civile (voir Hoogvelt 1997 à ce sujet ou Van Rooy 1998), mais, dans la mesure où plusieurs de ces organisations (y compris les ONG) reçoivent leurs fonds de l'État, sa spécificité réside plutôt dans le fait que les rapports sociaux qu'on peut y étudier ont à la fois des dimensions structurelles et des aspects contingents.
Le démantèlement de l'État donne une importance particulière à ce champ du social. Long signale que, dans le contexte de la mondialisation, on observe une émergence de nouvelles formes de coalition aux niveaux régional et local, et que de nouvelles identités sociales se développent désormais àpartir non seulement de la classe sociale, mais aussi du genre, de l'ethnicité, de la localité, de la religion. C'est ce qu'il appelle les « nouveaux » mouvements sociaux (Long 1996 : 38-39 ; 40-43 - les guillemets sont de lui). Même si certains de ces mouvements sont orientés vers les débats globaux, certains autres vont dans le sens de la fragmentation (ibid.). On peut donc dire que les phénomènes observés dans ce champ du social peuvent être producteurs à la fois d'hétérogénéité et d'homogénéité.
Quant aux identités locales qui se développent, il est intéressant de constater qu'elles peuvent incorporer des éléments complètement étrangers à l'environnement immédiat. Alors qu'elles interrogeaient des paysans indiens du Chiapas sur les risques de pollution qui leur semblaient les plus urgents, Arizpe et Paz ont eu la surprise de se faire répondre que c'était la pollution de l'air. Or, les populations de cette région sont situées à des centaines de kilomètres de toute source de pollution atmosphérique et, chez elles, le ciel est pur. L'explication réside dans le fait qu'elles reçoivent davantage de nouvelles télévisées en provenance de la ville de Mexico - dont on sait qu'elle est une des métropoles les plus polluées au monde - que de leur propre région. Mexico finit par faire partie du contexte immédiat de ces populations qui deviennent ainsi cosmopolitaines (Arizpe et Paz 1992 ; Arizpe et al. 1996).
Voilà un aspect pragmatique de l'interconnexion propre à la mondialisation. Ces études évoquent singulièrement le processus sur lequel a réfléchi Appadurai et par lequel des populations entières en viennent à se forger ces « mondes imaginés » (cité par Long 1996 : 43-44). Cet auteur s'interroge d'ailleurs sur la place de la localité dans le « flux culturel global » et la voit d'abord et avant tout relationnelle et contextuelle, plutôt que spatiale ou caractérisée par une dimension particulière (la localité n'est pas nécessairement sur une autre échelle que la globalité) (Appadurai 1995 : 204). Avec les multiples connexions qui caractérisent désormais la localité, on voit bien que les relations qui s'y déploient ne sont pas nécessairement contingentes ou limitées physiquement.
Une autre dimension des changements sociaux liés à la relation de développement est illustrée par Hernández Castillo et Nigh (1998) dans le cas des Indiens mam, également au Chiapas. Ces derniers se sont approprié les concepts de l'agroécologie véhiculés sur la scène mondiale pour produire un café organique hautement prisé par les clients américains et européens préoccupés de l'environnement. Cette appropriation s'est appuyée sur un processus de redéfinition d'une identité autochtone et lui a donné aussi une impulsion. Pour cette identité, qui n'était pas particulièrement forte auparavant - les Mam ayant été dispersés sur le territoire dès l'époque de la colonisation -, le respect de la nature est essentiel. D'après les auteurs, il s'agit d'un processus dialogique entre le local et le global. Ils rejoignent ainsi les considérations de Robertson (1995) sur la « glocalisation » (Hernández Castillo et Nigh 1998 : 144).
Ces études et les concepts qui en émergent sont également évocateurs du processus d'hybridation appliqué au changement social dans le contexte de la mondialisation et du dialogue entre le local et le global. En anthropologie du développement, on a pu se familiariser avec le concept d'hybridation grâce à Escobar (1995). Mais celui-ci tire son inspiration de García Canclini, spécialiste mexicain des études culturelles urbaines qui s'est intéressé aussi aux populations rurales. Dans son ouvrage publié en anglais en 1995, il fournit plusieurs exemples de processus d'hybridation qui ont contribué au renforcement d'une identité traditionnelle (faute d'un meilleur terme) et que l'on peut considérer comme s'inscrivant au sein de la relation de développement. J'en citerai un parce qu'il fait référence à une pièce d'artisanat qu'achètent presque tous les touristes au Mexique : le papier amate (fait d'une écorce d'arbre) sur lequel les artisans peignent des scènes de vie villageoise (ou des oiseaux, ou des fleurs). L'interaction des artisans de l'état de Guerrero avec le marché a contribué à améliorer leur situation économique en même temps qu'elle les a aidés à consolider leurs rapports sociaux internes qui, avec la crise économique, s'étaient détériorés. Avec l'argent ainsi gagné, les artisans peuvent investir à nouveau dans leurs activités d'agriculture et d'élevage et surtout maintenir leur cycle de fêtes, cycle indispensable à la définition communautaire (García Canclini 1995 : 158-170).
En somme, la mondialisation n'a pas nécessairement les mêmes effets dans le champ des structures où elle est productrice d'homogénéisation que dans le champ du local où elle peut susciter ou maintenir une plus grande hétérogénéité. Dans le cas du développement comme changement induit, sa spécificité se définit forcément sur un plan local. En effet, si les politiques internationales sont formulées dans des termes généraux, leur application concrète requiert ou provoque une traduction culturelle et sociale au moins minimale. On a dit du développement qu'il charriait des valeurs occidentales et néolibérales et c'est probablement juste, mais il ne faut pas minimiser les possibilités de réinterprétation de la part des populations, et surtout leur capacité de résistance [12].
Dans ce champ du social, ce sont des catégories sociales qui incarnent ces possibilités et cette capacité. Dans la recherche en anthropologie du développement, une telle approche entraîne une identification systématique de toutes les catégories sociales interpellées par la relation de développement. Certes, on pense forcément aux catégories sociales homme et femme, mais une multiplicité d'autres catégories peuvent se superposer les unes aux autres selon l'âge, l'ethnicité, la caste, la classe, la religion ou toute autre hiérarchisation structurelle ou situationnelle. D'ailleurs, si on embrasse une approche d'économie politique féministe et culturelle, il est impossible de ne pas s'inclure en tant que chercheuse ou chercheur dans cette hiérarchisation. L'essence même de la relation de développement s'y trouve comme en synthèse. La multiplicité de catégories entraîne une diversité de possibilités pour les rapports sociaux et les hiérarchies. Quant aux relations de genre dans ce champ du social, elles sont liées à la définition des rôles masculin et féminin dans un contexte local précis. Dans le domaine du travail notamment, on remarque que des modes particuliers d'exploitation de la main d'œuvre peuvent ainsi émerger.
Un exemple suffira pour illustrer cette dernière remarque : actuellement, on assiste à une « remasculinisation » de la main d'œuvre des maquiladoras (usines transnationales d'assemblage très présentes au Mexique) (Sklair 1995). Plus précisément, dans l'état du Yucatán, la proportion d'hommes employés dans les maquiladoras du secteur du textile, domaine traditionnellement réservé aux femmes, est en constante augmentation (INEGI 1996). Or, on n'est pas nécessairement à la recherche de travailleurs plus forts physiquement (quoique, contrairement à ce qu'on pense en général, il faille une certaine force physique pour la couture industrielle), mais bien à celle de jeunes travailleurs dociles et inexpérimentés, caractéristiques associées aux femmes certes, mais que l'on peut aussi retrouver dans la population masculine. Si les jeunes hommes du Yucatán sont intégrés au travail de la maquiladora, c'est donc en vertu de cette caractéristique propre à l'autre genre. Ce n'en est pas moins une caractéristique de genre.
Le champ des individus et du quotidien
Le risque potentiel d'une analyse qui ne s'en tiendrait qu'aux champs structurel et du local réside dans le fait que les individus peuvent être rendus invisibles dans les organisations ou amalgamés dans des catégories sociales plus ou moins abstraites. L'analyse de la relation de développement peut (et devrait) se déployer dans un troisième champ du social, celui des acteurs sociaux proprement dits, des individus avec leur histoire, leurs histoires, itinéraires et trajectoires singuliers. De plus, tout en redécouvrant la notion d'idéologie contradictoire de Gramsci (cité par Gutmann 1996), il importe de repérer les possibilités de variation individuelle au sein des définitions identitaires collectives. Dans son ouvrage sur la paysannerie de l'état d'Oaxaca, Kearney a bien montré à quel point les paysans qui migrent de façon saisonnière recomposaient leur identité ; ils le font par rapport à leurs concitoyens restés sur place au Mexique, sur la base individuelle de l'action de migrer (Kearney 1996). Cette identité est complexe, transnationale même, puisqu'il s'agit de migration saisonnière aux États-Unis, et qui, jusqu'à un certain point, varie au gré des situations.
L'examen du champ des individus est à même de faire ressortir les héterogénéités et les inégalités sociales que la relation de développement est susceptible de favoriser ou de transformer. Dans ce champ, la vie quotidienne constitue la scène principale des rapports sociaux et de l'accès aux ressources de toutes sortes. En ce qui concerne la relation de développement dans le contexte de la mondialisation, Giddens nous dit que « la vie personnelle et les liens sociaux qu'elle implique sont profondément imbriqués aux plus influents des systèmes abstraits (1994 : 127). Le simple fait de déguster une tasse de café (l'exemple est de Giddens) nous relie directement à l'impérialisme économique qui fait que le producteur direct ne se retrouve qu'avec une infime part de l'argent que nous avons déboursé pour acheter ce produit. L'inscription des individus dans le contexte de la mondialisation passe par une série de rapports sociaux, mais on commence à entrevoir les liens directs que ces individus auront à des phénomènes de la globalité par le biais, notamment, des technologies de communication. En ce qui concerne les changements sociaux, une chercheuse comme Okely semble penser que l'identification de points de résistance est forcément liée à l'examen des vies individuelles (1991 : 10).
Sur les plans théorique et méthodologique, la prise en compte du champ des individus et du quotidien oblige à une reconsidération des concepts utilisés dans les autres champs. Ainsi, l'utilisation du concept de genre dans le champ des individus, sans une transformation adéquate, peut être extrêmement réductrice et contribuer à rendre les individus invisibles, alors qu'on cherche à les révéler. Dans ce champ, il est probablement plus judicieux de parler des rapports sociaux de sexe pour bien marquer les dimensions sociales et sexuées des rapports entre les êtres humains. La relation de développement est tout aussi « genrée » que dans les autres champs du social, mais elle est liée aux trajectoires individuelles et circonstanciées, trajectoires dans lesquelles le corps et la sexualité deviennent des sites de répression et de résistance (Ong et Peletz 1995 ; Ong 1991).
Les anthropologues disposent de toute une panoplie de techniques très raffinées pour cerner ces trajectoires et de fait, elles ont été repérées par les institutions de développement grâce à des anthropologues qui y ont été intégrés (voir Cernea 1995 à ce sujet). Cependant, comme le suggère fortement Sabelli (1993), l'application décontextualisée de ces techniques trahit un des principes fondamentaux de la démarche, à savoir celui de la vision organique de la réalité sociale, et conduit à une réduction de la complexité. L'anthropologie du développement a donc encore des défis devant elle en ce qui concerne la prise en compte de toutes les dimensions du social, particulièrement celle des destins individuels.
Pour conclure sur l'approche des champs du social, il est entendu que les dimensions de la relation de développement sont multiples et n'ont pas la même configuration d'un champ à l'autre. Ainsi, les concepts doivent être redéfinis selon chacun de ces champs et appliqués différemment. L'examen de la relation de développement selon différents champs du social aide très certainement à en repérer les multiples dimensions et éventuellement à révéler davantage les aspects les plus susceptibles d'ouvrir sur l'action sociale.
Conclusion
L'anthropologie du développement, comme l'ensemble de la discipline d'ailleurs, est sans aucun doute engagée dans un processus de profonde remise en question. On peut bien poser que l'objet d'étude de cette anthropologie est la relation de développement et proposer des approches méthodologiques qui tiennent compte d'une multiplicité de dimensions, il demeure que les termes de la relation sont eux-mêmes en constant changement. Si le concept de Tiers-Monde est absent de cet article, comme on l'aura remarqué, c'est qu'il tentait de s'éloigner des approches dualistes. L'anthropologie du développement s'inscrit de plus en plus, me semble-t-il, au sein du courant postcolonial qui, justement, ouvre sur la diversité et la complexité. Certes, ce courant est grandement redevable aux études culturalistes, mais si ses concepts restent bien ancrés dans l'approche de l'économie politique en anthropologie, ils peuvent très certainement contribuer à raffiner la vision que nous pouvons avoir de la relation de développement et aussi à nous situer nous-mêmes en tant que produits intellectuels de la mondialisation dans cette relation [13].
Comme j'ai tenté de le montrer, en faisant ressortir qu'au sein des approches de la relation de développement, la prise en compte de son caractère « genré » était encore d'une timidité remarquable - pour le dire poliment -, il nous reste beaucoup de travail de recherche à faire sur les rapports de pouvoir qui nous lient dans les milieux académique et institutionnel. Cependant, parmi les nombreuses contradictions de la mondialisation se trouve un espace libéré par le désengagement de l'État, l'institution même qui assure l'ordre de genre. Il faut probablement en prendre avantage et conceptualiser nos remises en question dans l'ensemble des champs du social à la fois comme individus et membres de catégories sociales à l'intersection d'un ensemble de hiérarchies.
Il est de bon ton - et plusieurs auteurs tels qu'Escobar (1995), Hoogvelt (1997) et Rahmena (1996) l'ont fait dans leurs propres publications - de conclure par des propos sur le post-développement. Il est associé à l'émergence de la résistance et de nouveaux mouvements sociaux. La clé de ce courant étant bien entendu détenue par les populations concernées elles-mêmes, on évoque les possibilités de la recherche participative comme moyen de valoriser le discours de ces populations, recherche qui, lorsqu'elle contribue à une remise en question des rapports de pouvoir au sein du développement, est effectivement incontournable. Il est évident que nous sommes à la recherche de nouveaux paradigmes et il s'en faut de peu pour que des propositions utopiques, peut-être favorisées par le changement de millénaire, occupent à nouveau le devant de la scène. La recherche en anthropologie du développement pourrait contribuer à la découverte de ces nouveaux paradigmes si elle arrivait à se situer délibérément dans les nouveaux mouvements sociaux et si elle ne transigeait pas avec les approches du néo-libéralisme radical dont les anthropologues n'ont rien à attendre, pas même un emploi. Même les institutions internationales de développement intégrant des scientifiques sociaux dans leurs rangs ne souhaitent pas entendre des discours conservateurs sur le changement social puisqu'elles doivent, sous la pression des nouveaux mouvements sociaux, gérer les contradictions et moderniser la recherche sociale. En ce sens, le débat ne porte plus sur la pertinence pour les anthropologues de s'insérer dans l'entreprise du développement. Il porte sur la définition même de la recherche en anthropologie du développement et sur la portée plus large du discours qu'elle est susceptible de produire.
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Marie France Labrecque
Département d'anthropologie
Université Laval
Sainte-Foy (Québec) GIK 7P4
Canada
[email protected]
[1] Mes remerciements s'adressent d'abord à Serge Genest pour son invitation à participer à ce numéro ; je veux aussi remercier les étudiantes et les étudiants qui ont suivi mon cours Anthropologie et développement (automne 1998) d'avoir partagé avec moi leurs intérêts, leurs commentaires et aussi leur questionnement, ce qui m'a permis de clarifier certaines idées et surtout de préciser mes positions.
[2] On retrouvera ce débat dans Anthropologie et sociétés (1988 : 137-157). Les protagonistes en avaient été Mikhaël Elbaz, Yvan Simonis, Bernard Arcand, Serge Genest et Claude Bariteau. Voir également la remarque de Jean Copans (1989 : 294) sur le même sujet.
[3] Un des processus par lesquels les populations se réapproprient les pratiques de développement réside dans la recherche participative. Ce type de recherche tire ses racines de l'approche de la conscientisation de Paulo Freire (1974) et il est devenu une recherche-action-participation avec Fals-Borda (1979), notamment en Colombie. Chambers (1983), auquel fait d'ailleurs référence Copans (1989), a grandement contribué à l'introduction de cette approche au sein des institutions internationales et, depuis, plusieurs auteurs dont Sabelli (1993) ont questionné la portée de ce type de recherche alors que d'autres, comme Escobar (1984-1985 et 1995), continuent d'y voir un cheminement alternatif (voir également Freedman 1997 sur ce point). De toute évidence, ces auteurs ne parlent pas de la même chose et il faudrait plusieurs pages pour introduire toutes les nuances possibles. Pour ma part, je persiste à croire, en accord avec Escobar, qu'un certain type de recherche participative constitue effectivement une voie alternative au développement, mais je la considère comme faisant partie de la relation qui constitue l'objet même de la recherche en anthropologie du développement.
[4] J'ai commencé à adopter cette approche selon les champs du social dans Labrecque (1996 et 1997). J'y explique d'ailleurs qu'il n'y a pas de velléité théorique particulière dans l'utilisation de l'expression « champ du social » ou « champ social » (en référence aux concepts de Bourdieu, par exemple) et qu'elle pourrait aussi bien être remplacée par « plan du social » ou « arène » - ce qui a d'ailleurs été fait dans l'article de 1996 en anglais où j'ai utilisé « arena ».
[5] J'ai traduit les citations.
[6] Ici, il faut signaler que l'approche d'Eleanor Leacock et sa recherche sur la domination masculine (1981) sont implicitement critiquées par cet auteur.
[7] Comme on le verra plus loin, cet article se concentre davantage sur le genre que la sexualité, bien que les deux concepts soient interreliés. De nombreux débats sont toujours en cours sur la pertinence de distinguer genre et sexe et sur la façon de le faire (John 1996). Dans le cadre de cet article, le genre est abordé comme une construction sociale et culturelle des rapports entre des catégories sociales, comme un ensemble de processus. La sexualité, entendue comme comportement sexuel, pourrait, si on approfondissait cet aspect, être envisagée comme « un des sites de transformations politique, économique et culturelle » (Ong et Peletz 1995 : 1). C'est en ce sens d'ailleurs que le contrôle de la sexualité constitue un enjeu dans le processus de développement.
[8] En fait, Olivier de Sardan parle de la socio-anthropologie du développement ; il se réclame à la fois de la tradition anthropologique et de la sociologie qualitative.
[9] Il n'est probablement ni impertinent ni déplacé de mentionner que Connell se définit lui-même comme un « homme hétérosexuel travaillant sur des thèmes féministes et concernant la libération des "gays" » (Connell 1990 : 538).
[10] Le travail de Kathleen Staudt, une politicologue américaine qui s'est insérée dans la USAID (l'agence d'aide internationale américaine) pour observer et écouter les réactions des fonctionnaires devant l'insertion d'un bureau « femmes et développement », constitue un exemple d'ethnographie institutionnelle (Staudt 1985). On peut également citer St-Hilaire (1995) pour le cas philippin et Labrecque (1997) pour le cas colombien.
[11] C'est à ce processus que Connell attribue la résurgence récente des idéologies patriarcales du fondamentalisme chrétien et musulman (1996 : 168).
[12] Les concepts de réinterprétation et de résistance mériteraient certainement d'être explicités, étant donné leur importance. Les travaux portant sur la résistance, notamment, autant dans le domaine du développement que dans celui des études de genre commencent à s'imposer. Escobar (1995) lui a donné une place de choix dans ses travaux sur le développement. Dans le domaine du féminisme et du développement, on peut mentionner l'ouvrage de Marchand et Parpart (1995). Voir également Soares (1997).
[13] Hoogvelt rappelle que l'émergence de ce courant est liée aux études culturalistes, mais aussi à l'irruption des productions des intellectuels du Tiers-Monde en Occident. Nous lui sommes redevables d'une plus grande sensibilisation aux composantes culturelles - et pas seulement matérielles -de l'identité, à la complexité de la formation identitaire et au fait que le monde n'est plus structuré de façon binaire (1997 : 153-161). Comme le dit si justement Hoogvelt, nul n'est besoin d'acheter l'ensemble du discours des études culturalistes pour apprécier les mérites du concept de postcolonialisme qui nous signale la diversité des trajectoires du développement et du sous-développement (1997 : 159). Voir également Ong et Peletz (1995 : 2) à ce sujet.
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