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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Laurent Mucchielli, “L’enquête de police judiciaire en matière d’homicides”. (2004) Laurent Mucchielli, chargé de recherches au CNRS, directeur du CESDIP, travaille sur l’histoire de la criminologie, sur la délinquance juvénile et sur les homicides. [M. Laurent Muchielli, sociologue et historien de formation, est chargé de recherche au CNRS et directeur du Centre de recherche sociologique sur le Droit et les institutions pénales au CNRS]. [Autorisation formelle des auteurs accordée le 8 septembre 2005] 1. Le comportement de l’auteur après le crime 2. Les conditions de succès de l’enquête de police judiciaire 3. Les leçons de la non-élucidation Tableau 1: comportement de l’Auteur Laurent Mucchielli (2004) Laurent Mucchielli, chargé de recherches au CNRS, directeur du CESDIP, travaille sur l’histoire de la criminologie, sur la délinquance juvénile et sur les homicides. Ce travail s’inscrit dans le cadre général de notre programme de recherches sur les homicides en France et fait suite à une première série de publications relatives au contenu des affaires jugées [1]. Notre intérêt se déplace maintenant vers les affaires qui n’aboutiront jamais à un procès, faute d’avoir été élucidées. Nous avons voulu comprendre en quoi consiste le travail des enquêteurs de police judiciaire en la matière, à partir de deux corpus. Le premier a consisté dans le dépouillement de 102 affaires jugées dans une Cour d’Assises de la région parisienne dans les années 1990, pour des meurtres, tentatives de meurtres, infanticides et coups et blessures volontaires suivis de mort sans intention de la donner, commis entre 1987 et 1996 dans le ressort de cette juridiction [2]. Le second a consisté en deux séjours dans des services d’enquête judiciaire. Le premier séjour a eu lieu dans la cellule Homicides d’une Section de recherches de la Gendarmerie Nationale, où nous avons pu à la fois consulter l’intégralité des dossiers de 5 affaires non élucidées à ce jour et nous entretenir longuement avec les enquêteurs, à la fois de ces affaires et de l’ensemble de leur métier. Ce travail du côté des gendarmes a été complété par la consultation de 7 autres dossiers plus anciens d’affaires non élucidées (remontant jusqu’à 1994) et archivés dans divers services de la gendarmerie [3]. Le second séjour a eu lieu, en compagnie d’une étudiante, dans une brigade criminelle de la Police nationale, pour y réaliser également des études de dossiers et des entretiens. Au total, le travail auprès des enquêteurs de police judiciaire s’appuie sur l’analyse de 21 dossiers criminels (dont 15 affaires non élucidées) et sur des entretiens semi directifs approfondis réalisés avec 9 fonctionnaires, complétés par des conversations informelles préalables ou postérieures aux situations formalisées d’entretien. 1. Le comportement de l’auteur après le crime À partir des 102 affaires jugées, nous avons composé d’abord le tableau 1 qui présente l’attitude de l’Auteur après son crime et qui renseigne en même temps sur la façon dont la police a été informée du crime [4].
L’analyse de ce tableau livre une série de constats majeurs. D’abord, dans six affaires sur dix, les enquêteurs ont pu identifier immédiatement et sans la moindre résistance le ou les auteurs du crime. Passons sur les deux situations (une tentative de meurtre et des coups mortels en réalité involontaires) dans lesquelles des policiers ou des gendarmes étaient présents sur les lieux au moment des faits et ont pu de la sorte interpeller l’auteur en flagrant délit. Dans tous les autres cas de figure, l’auteur soit s’est livré lui-même aux forces de l’ordre (environ 15 % des cas), soit a prévenu lui-même le tiers généralement un membre de la famille de l’auteur et/ou de la victime qui a prévenu ensuite la police (dans 5 % des affaires), soit a attendu sur le lieu du crime l’arrivée des forces de l’ordre, qu’il savait presque prévenues par un ou plusieurs témoins (38 % des cas). Et si l’on ajoute les 5 % d’affaires dans lesquelles l’auteur, reconnu par des témoins, avait pris la fuite mais s’est rapidement ravisé et a décidé de se rendre de lui-même aux forces de l’ordre, on conclut que ce sont en réalité près des deux tiers des cas qui sont en pratique élucidés immédiatement par l’attitude des criminels. Logiquement, on constate en outre que ces derniers n’ont opposé aucune résistance à leur interpellation (3 ont par ailleurs tenté de se suicider entre le moment des faits et l’arrivée des forces de l’ordre) et sont ensuite « passés aux aveux » dès leur premier interrogatoire. Ce premier constat est fondamental. Il indique que, dans la grande majorité des affaires élucidées, les enquêteurs n’ont pas eu à réaliser le moindre travail pour identifier le ou les auteurs. Leur enquête a consisté à vérifier les déclarations des uns et des autres, à recueillir les preuves matérielles existantes et à « monter le dossier » selon les procédures en vigueur. Tournons-nous ensuite vers le gros tiers d’affaires restant, qui met en scène des auteurs ne reconnaissant pas immédiatement leurs crimes. Dans 20 % des cas, il s’agit de personnes ayant commis un crime sans témoin et qui ont apparemment pensé pouvoir échapper à la justice en reprenant leur vie quotidienne « comme si de rien n’était ». Dans 10 % des cas, les auteurs du crime sont allés plus loin en tentant de dissimuler leur crime, soit en essayant de faire disparaître le cadavre de la victime, soit en tentant d’effacer tout indice de leur présence sur les lieux du crime. A nouveau dans 10 % des cas le meurtrier qui a été vu prend la fuite (mais nous avons vu qu’une fois sur deux il se ravise et vient se livrer aux forces de l’ordre). 2. Les conditions de succès Débordant la question initiale de l’attitude des auteurs du crime pour embrasser du regard l’ensemble de l’enquête criminelle, il faut maintenant mettre en évidence les conditions de succès du travail de police judiciaire en matière d’homicide. Dans le discours des professionnels rencontrés au cours de la recherche, ce sont les éléments techniques qui sont mis en avant. Le travail des enquêteurs et de leurs auxiliaires de la police scientifique, de la médecine et de l’identité judiciaire, sur le lieu initial de la « scène de crime », est présenté comme la base de l’enquête criminelle, voire le cœur du travail d’élucidation. La recherche des empreintes digitales et désormais des empreintes génétiques, le relevé de toutes les traces matérielles, au besoin à l’aide de machines sophistiquées détectant ce que l’œil nu ne voit pas (par exemple des traces de sang lessivées sur une moquette ou sur un mur), l’usage des fichiers, la balistique, etc., tout cet appareillage participe en réalité de la qualification même de « professionnel » dans le discours de l’enquêteur sur sa propre activité. Ensuite, et seulement ensuite, viennent l’enquête de voisinage et la recherche de témoins. Toutefois, l’analyse des pratiques à travers les dossiers d’enquête des affaires élucidées et non-élucidées conduit à inverser cette hiérarchie entre les éléments clefs de l’enquête. S’ils se succèdent parfois dans le temps, leur importance respective dans la résolution des affaires se présente en réalité dans l’ordre inverse [5]. C’est ce que montre d’abord l’analyse des affaires élucidées dans l’ensemble des affaires jugées. Mettant entre parenthèses l’attitude du ou des auteurs du crime eux-mêmes, le tableau 2 compare le rôle respectif des trois facteurs évoqués (les preuves matérielles trouvées sur la scène de crime, les éléments recueillis à travers l’enquête de voisinage et enfin les témoins directs du crime) ainsi que ces autres facteurs également importants que sont les autres éléments matériels recueillis au cours d’investigations complémentaires en cours d’enquête (perquisitions, contrôles bancaires, relevés ou écoutes téléphoniques, recoupements avec d’autres affaires) et les aides extérieures (dénonciations signées ou anonymes, confessions tardives de l’auteur ou d’un des auteurs). Il répond en somme à la question : indépendamment de l’attitude du ou des auteurs analysée auparavant, quels éléments ont permis leur mise en accusation au terme de l’instruction ? Tableau 2 : facteurs déterminants de l’identification
Note : dans certains cas, l’on peut estimer que deux ou plusieurs facteurs ont joué un rôle également important, le tableau comprend donc quelques cumuls ou doubles comptages. Au total, 133 facteurs ont été retenus dans 102 affaires. * L’enquête de voisinage inclut ici l’interrogation des gendarmes ou des policiers locaux qui, en l’absence de casier judiciaire du suspect, peuvent avoir consigné sur des mains courantes ou bien simplement conservé en mémoire des faits intéressant l‘enquête (établissant notamment l’existence d’altercations préalables entre auteurs et victimes). ** nous qualifions de témoin indirect celui qui reçoit la visite ou le coup de téléphone de l’auteur qui vient de commettre le crime et le confesse au témoin. Le résultat de ce calcul est, on le voit, particulièrement net. Le constat majeur qui en ressort est la prépondérance massive de ce que nous appellerons les « éléments humains » de l’enquête criminelle (informations données par les témoins et par l’enquête de voisinage), par opposition aux « éléments matériels » (informations recueillies par l’analyse de la scène de crime et par les investigations matérielles en cours d’enquête). Au vu des dossiers, ce n’est que dans environ 7 % des affaires que le travail sur la scène de crime initiale a permis de récolter des preuves permettant d’inculper un ou des auteurs qui, sans cela, n’auraient pas pu être démasqués. Insistons bien sur le fait que l’on s’intéresse ici aux facteurs déterminants de l’élucidation. Ceci n’exclut pas que des constatations importantes aient été faites à ce stade initial de l’enquête, mais elles ont joué un rôle secondaire dans l’identification du coupable, venant simplement apporter les preuves matérielles du scénario reconstruit par ailleurs, à partir des éléments humains. Ce sont en somme des conditions nécessaires mais non suffisantes dans l’ensemble du dossier, ce que confirmera tout à l’heure, d’une autre façon, l’examen des dossiers d’affaires non élucidées. Il faut cependant nuancer cette observation. Les constatations initiales retrouvent en effet, dans certains cas, une grande importance si l’on complexifie la question initiale en ces termes : « outre les aveux du ou des auteurs, quels éléments ont permis leur mise en accusation au terme de l’instruction, sous le chef d’accusation finalement retenu ? ». La donnée supplémentaire à prendre en considération est la suivante : si dans l’immense majorité des cas les auteurs ne contestent pas les coups mortels qu’ils ont porté, leur défense va souvent consister à nier l’intention de donner la mort. C’est donc la qualification pénale qui est ici en jeu et qui est loin d’être négligeable compte tenu de la lourdeur des peines assorties respectivement au meurtre (passible de 30 ans de réclusion) et aux « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » (passibles de 15 ans de réclusion). On comprend aisément l’intérêt de la ligne de défense d’un accusé. Dès lors, certaines constatations initiales peuvent se révéler parfois essentielles pour établir l’intention de donner la mort. Le même raisonnement vaut pour l’autre dimension de ce que nous appelons les éléments matériels : les investigations techniques qui ont lieu au cours de l’enquête indépendamment de l’enquête de voisinage. Celles-ci ont joué un rôle primordial dans l’enquête dans environ 11 % des cas, chiffre déjà plus élevé que celui des constatations initiales. La gamme des moyens que les enquêteurs peuvent déployer est ici assez vaste, depuis l’utilisation de tous les fichiers disponibles jusqu’aux écoutes téléphoniques, en passant par toutes les saisies et vérifications autorisées dans le cadre des perquisitions. Ces éléments peuvent s’avérer déterminants dans les cas où l’auteur des coups mortels tente d’échapper à la justice en dissimulant sa responsabilité. Lorsque les constatations initiales ne fournissent aucune preuve déterminante, ce dernier peut être confondu par ses relevés d’appels et ses conversations téléphoniques, son compte en banque, des objets ou d’autres indices retrouvés chez lui ou dans sa voiture, des preuves de sa présence à tel endroit et à telle heure, etc. Toutefois, l’on voit que, à nouveau, des indices véritablement déterminants n’ont été obtenus par ce biais que dans une affaire sur dix. Là n’est donc pas l’essentiel, avec toutefois une réserve équivalente à celle énoncée à propos des constatations initiales : le rôle éventuel de ces investigations pour établir non pas la culpabilité d’un auteur mais le chef d’inculpation exact. Comment trouver l’auteur s’il ne se présente pas spontanément ? Le cas des empreintes digitales relevées dont un fichier livrerait immédiatement le porteur est un cas d’école dont nous n’avons pas trouvé trace dans les dossiers ni entendu parler dans nos entretiens, nous le présumons donc rarissime. Le cas des empreintes génétiques est et sera sans doute différent, en particulier dans les homicides liés à des agressions sexuelles. Mais ces dernières sont également rarissimes dans l’ensemble des homicides. Et puis si ces indices sont relevés sur les lieux du crime et s’ils permettent souvent de vérifier plus tard la culpabilité d’un individu interpellé, comment savoir qui suspecter et interpeller lorsque rien ne désigne immédiatement et nommément une ou plusieurs personnes ? Il faut, pour cela, entrer dans la dimension relationnelle de l’affaire, partir de la victime et de son entourage, interroger le voisinage, les sociabilités, les collègues de travail, sur ce qui a été vu, entendu, ce jour là et les précédents, sur qui était la victime, qui elle fréquentait, etc. Alors, progressivement, les pistes se dégagent, les hypothèses se forment, les enquêteurs peuvent supposer des raisons (et commencer ainsi à répondre à la question classique mais toujours aussi fondamentale : « à qui profite le crime ? »), imaginer des enchaînements de faits, vérifier minutieusement chacune de ces pistes et, au bout du compte, suspecter un ou plusieurs individus qui feront l’objet du maximum d’investigations jusqu’à ce que le faisceau d’indices semble suffisamment probant pour amener la décision d’interpellation, la garde à vue et les interrogatoires. Ces éléments humains sont donc dans bien des cas ceux qui ressortent de l’enquête de voisinage. Mais revenons au tableau 2 et constatons que, bien en amont et venant simplifier tout cela, c’est d’abord la présence de témoins qui a été déterminante. L’élément qui arrivait en dernier dans le discours des professionnels se retrouve en réalité à l’autre bout de la hiérarchie au terme de l’examen des dossiers. Dans environ 45 % des cas, soit dans près d’une affaire sur deux, les enquêteurs ont bénéficié du concours immédiat ou quasi immédiat de témoins oculaires directs ou, très rarement, de témoins indirects. Ensuite, dans environ un tiers des cas, ce sont les témoignages et les informations recueillis dans le cadre de l’enquête de voisinage qui ont apporté des éléments décisifs dans l’orientation de l’enquête (i.e. l’identification du ou des coupables). Ajoutons à cela le fait que, dans environ 5 % des affaires, c’est une dénonciation (anonyme ou pas) qui a mis les enquêteurs sur la piste de l’auteur présumé et concluons que, plus de huit fois sur dix, c’est en somme l’auteur, l’entourage de l’auteur et/ou de la victime, l’assistance ou bien la rumeur publique qui a guidé les enquêteurs vers l’auteur(s) des coups mortels. C’est là un élément majeur, dont le poids pourrait paraître étonnant si l’on ne connaissait pas par ailleurs la relation de proximité (conjugale, familiale, de voisinage, de travail ou d’affaire) qui relie, également dans plus de 80 % des cas, auteurs et victimes (Mucchielli, 2002b) ainsi que les histoires et les contextes rarement anonymes dans lesquels surviennent les coups mortels. 3. Les leçons de la non-élucidation Selon les donnés publiées par le ministère de l’Intérieur, la police et la gendarmerie nationales élucident un peu plus de 80 % des homicides, tentatives d’homicides et coups mortels connus. Ce taux d’élucidation varie cependant considérablement selon la nature des affaires. Il est inférieur à 50 % s’agissant des règlements de compte entre malfaiteurs et presque équivalent à 100 % en matière d’infanticide. L’analyse de 15 dossiers non élucidés (14 retenus ici) permet d’apporter quelques précisions et éléments d’explications pour interpréter ces données très générales. Ce matériel permet de poser à son tour la question des facteurs déterminants de l’inculpation, mais en sens inverse. On s’est demandé ici ce qui avait manqué aux enquêteurs pour inculper un ou plusieurs auteurs (tableau 3).
C’est d’abord sans surprise que l’on relève l’absence d’indices matériels, récoltés sur la scène de crime, mettant directement sur la piste d’une ou plusieurs personnes. Dans deux cas, la présence d’empreintes digitales ou génétiques n’a rien donné, ces dernières étant inconnues des fichiers nationaux. En réalité, nous l’avons déjà vu, ces indices « nominatifs », pourrait-on dire, sont rarissimes. Dans le travail sur la scène de crime, il s’agit en réalité de récolter des indices permettant d’imaginer des scénarios et qui ne prendront valeur de preuves qu’à partir du moment où un scénario sera par ailleurs établi. Ceci confirme d’une autre façon le caractère essentiel mais non déterminant pour l’enquête du travail sur la scène du crime. Reste que, quand ces éléments font totalement défaut, l’enquête est soit bloquée (cas du cadavre non identifié), soit sérieusement contrariée (cas du cadavre identifié au bout d’un an et demi, ce qui rend difficile nombre d’investigations complémentaires ; cas de l’absence de cadavre permettant à l’auteur présumé de nier le crime et d’invoquer d’autres raisons à la disparition des présumées victimes). Ensuite, et a contrario, le tableau fait immédiatement ressortir la prépondérance des éléments humains. Le problème crucial dans ces affaires est l’absence de tout témoin permettant de désigner un ou des suspects. Pas un cas n’a dérogé à cette règle. Ensuite, lorsque le travail des enquêteurs a permis de désigner un ou plusieurs suspects, c’est cette fois l’attitude du suspect qui les contrarie : celui-ci n’avoue pas pendant sa garde à vue, parfois même en dépit d’un très fort faisceau de présomptions, ou bien prend la fuite à l’étranger et demeure introuvable faute de coopération policière européenne efficace. La dimension humaine se retrouve aussi dans les affaires où ce qui a manifestement manqué le plus cruellement à l’enquête c’est soit l’absence de mobile apparent de l’auteur (fait rarissime et qui traduit sans doute plus souvent la faiblesse de l’enquête que le caractère véritablement incompréhensible des faits), soit l’absence de relation antérieure entre l’auteur et la victime. Ce dernier cas est le plus fréquent, il concerne notamment les crimes commis à l’occasion d’un cambriolage ou d’un braquage. En l’absence de témoins, d’enregistrement vidéo permettant d’identifier un individu, d’indices matériels et de recoupements avec d’autres affaires, ces cas sont assez souvent insolubles, ce que traduisent du reste les données nationales publiées par le ministère de l’Intérieur : le taux d’élucidation de l’ensemble des homicides et tentatives d’homicides à l’occasion ou en vue d’un vol n’est en effet que de 63 % en 2000, soit près de vingt points de moins que le taux général pour les crimes de sang. Le tableau 3 fait ressortir aussi des difficultés de réalisation de certaines investigations complémentaires et indique que, dans la plupart des cas, ces difficultés sont liées à des carences de coopération d’autres services (inclus les deux cas de déficit de coopération policière européenne). Mentionnons ici le problème général évoqué dans de nombreux entretiens de la difficulté à travailler lorsque les faits sont trop anciens et que certaines données (notamment les relevés téléphoniques) ne sont plus disponibles. Last but not least, reste enfin un problème qui surgit à l’examen de quelques affaires non élucidées et que nos interlocuteurs gendarmes ont reconnu sans difficulté : celui du manque de temps qui amène parfois à délaisser une affaire devant l’urgence d’une autre. Parmi les 14 affaires, c’est le cas d’une affaire d’infanticide (pour laquelle la décision d’abandonner l’enquête est manifestement encouragée aussi par le magistrat instructeur) et d’une affaire peut-être familiale concernant une victime totalement isolée et pour laquelle, au terme de la flagrance, les enquêteurs n’avaient aucune piste. La présente étude constitue ainsi une contribution à la sociologie du travail de police judiciaire. Le constat central d’une hiérarchie inversée des facteurs de succès de l’enquête criminelle souligne l’importance des rapports réciproques entre la population civile et les forces de l’ordre, la première étant en réalité la principale informatrice des secondes. Ce constat nous semble primordial. Il explique sans doute en partie les différences de taux d’élucidation selon les territoires. Il invite surtout les professionnels et les pouvoirs publics à considérer que l’amélioration des performances de l’activité policière tient moins à la technicité des outils des enquêteurs qu’à la qualité de la relation qu’ils sont capables d’établir avec la population civile ou, dit autrement, à la légitimité que cette dernière leur confère spontanément. Mucchielli L., 2002a, Les homicides, in Mucchielli L., Robert Ph., dir. Crime et sécurité : l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2002, p. 148-157. Mucchielli L., 2002b, Recherches sur les homicides : auteurs et victimes, Questions pénales, 2002, XIV.1., p. 1-4. Mucchielli L., 2004, Les caractéristiques démographiques et sociales des meurtriers et de leurs victimes. Un test dans la France des années 1990, Population, 2004, 59 (2), p. 203-232. [1] Mucchielli (2002a, 2002b, et surtout 2004). [2] Voir le détail de la méthodologie dans la précédente publication sous ce support : Mucchielli (2002b). [3]. C’est l’occasion de remercier l’ensemble des gendarmes qui m’ont accueilli à la Section de recherche et au Groupement départemental pour leur amabilité, leur disponibilité et la confiance qu’ils m’ont accordées. [4]. La majuscule mise à Auteur signifie que nous comptons ici des affaires et non des personnes, une affaire peut en effet impliquer plusieurs co-auteurs ainsi que des complices. Dans ce dernier cas, nous retenons seulement l’attitude de l’auteur principal. Par exemple, dans une affaire de coups mortels, un auteur se dénonce et dénonce son complice mais ce dernier a pris la fuite avant d’être rapidement arrêté et de reconnaître les faits. Dans ce cas, nous avons seulement retenu l’attitude du premier auteur. Les cas d’attitudes non solidaires entre les auteurs sont toutefois très limités (3 cas dans notre échantillon). [5] En effet, bien que les constatations initiales soient par définition ce par quoi l’on commence et qu’elles établissent généralement la matérialité des faits, cela ne signifie pas qu’elles fournissent des éléments de preuve à charge contre une personne en particulier, donc qu’elles sont décisives dans l’élucidation de l’affaire.
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