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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Laurent Mucchielli, “Recherche sur les homicides: auteurs et victimes”. Un article publié dans la revue Questions pénales, vol. 14, no 1, 2002, pp. 1-4. [M. Laurent Muchielli, sociologue et historien de formation, est chargé de recherche au CNRS et directeur du Centre de recherche sociologique sur le Droit et les institutions pénales au CNRS]. [Autorisation formelle des auteurs accordée le 8 septembre 2005] Texte de l'article
Laurent Mucchielli (2001) À une époque où « La violence » devient une catégorie majeure du débat social français, et où les crimes de sang alimentent régulièrement la chronique médiatique, la rareté des connaissances scientifiques sur les homicides en France surprend. Certes, nombre d’interprétations théoriques sont assez largement admises en psychiatrie légale. Quand bien même on les tiendrait pour acquises, elles ne concernent cependant que certains aspects de processus psychiques sensés déboucher sur des gestes criminels. Il s'agit de la clinique du passage à l’acte, dont il faut reconnaître les limites : quelle force de généralisation ont des notions qui, sur le plan théorique, se fondent encore souvent sur des conceptions a priori de la nature humaine (et de ses pulsions, tendances, instincts) et, sur le plan empirique, sont presque toujours issues d’études de cas individuels ? À la fin des années 1990, la police enregistre chaque année environ un millier d'homicides et de coups et blessures suivis de mort, auxquels s'ajoutent presque autant de tentatives [1]. Voilà une réalité sociale qui est à peu près inconnue. C’est la première raison pour laquelle cette recherche sur les homicides en France a été engagée. Le premier volet de la recherche vient d’être réalisé sur une série d’affaires jugées en cours d’assises, qui ne constitue donc pas un échantillon représentatif à l’échelle nationale (voir l’encadré méthodologique). On en présente ici seulement quelques résultats généraux ayant trait au profil des auteurs et des victimes ainsi qu’aux relations entre ces deux acteurs. D’autres aspects du problème sont présentés dans le rapport publié parallèlement par le CESDIP.
Environ 85 % des personnes jugées sont des hommes, 15 % des femmes. Notre population est modeste mais ce partage des sexes correspond aux données policières et judiciaires nationales. Les statistiques de police et de gendarmerie indiquent en effet que, pour l’ensemble des homicides, des tentatives d’homicides et des coups mortels, la part des femmes s’élève en 1990 à 16 %. Notre étude permet de préciser que la part féminine s’accroît cependant dans deux types d’homicides : les meurtres conjugaux et les infanticides (sans que ce dernier type soit pour autant une spécificité féminine, contrairement à un stéréotype ancien). Le plus jeune des criminels étudiés avait 15 ans au moment des faits, le plus âgé 62 ans. En réalité, une courbe par âge indique une élévation rapide à partir de l’âge de 17 ans, un maximum atteint entre 18 et 30 ans, une légère baisse entre 30 et 40 ans, une remontée entre 40 et 50 ans, enfin une chute progressive après 50 ans. La violence meurtrière est donc avant tout l’affaire de jeunes adultes de sexe masculin. L’implication de mineurs est très rare. Une sur-représentation Dans 18% des cas, nous n’avons pas pu connaître formellement le métier qu’exerçait le chef de ménage dans la famille des criminels. C’est notamment le cas des parents inconnus ou décédés dont les enfants ont été placés par la D.A.S.S. dès leur plus jeune âge. Cela étant, dans la plupart des cas, la mention « milieu populaire » est présente au détour d’un document du dossier et nous pouvons présumer qu’il s’agit dans la plupart des cas de métiers comme ouvrier agricole ou encore petit artisan. La plupart de ces professions inconnues rejoignent ainsi la dominante de l’ensemble pour contribuer à la sur-représentation massive des milieux populaires : 45 % des pères des criminels étaient ouvriers, 14 % employés, 7 % artisans-commerçants, 1 % inactifs. Quant aux professions intermédiaires, il s’agit ici de métiers tels que policier, contremaître et petit représentant de commerce, liés à des niveaux de revenu qui, en réalité, situent les individus dans les fractions supérieures des classes populaires. Ainsi, au moins les trois quarts et sans doute plutôt les quatre cinquièmes des criminels étudiés sont des enfants des milieux populaires. Plus généralement, le phénomène qui domine l’histoire sociale de la famille de ces criminels est la reproduction d’une position sociale inférieure. Tableau 1 : le niveau scolaire
Cette reproduction s’est jouée d’abord à l’école. Plus de deux criminels sur trois n’ont aucun diplôme. Moins d'un sur cinq a atteint seulement le niveau du CAP. Moins de 7 % dispose du Bac ou d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Même en ajoutant les 2,5 % d’auteurs plus âgés qui décrochèrent à l’époque le certificat d’études, on constate que moins d’un auteur sur dix a connu une carrière scolaire « normale » (conforme à la norme valorisée par l’institution). Tableau 2 : la profession des auteurs
Tableau 3 : la situation des inactifs
Au vu de leur niveau scolaire et compte tenu de la période que nous étudions (les années 1987-1996, marquées par un très fort taux de chômage, en particulier de chômage ouvrier), on est peu surpris de constater que seulement 40 % des auteurs ont un emploi au moment des faits. A contrario, 12 % étaient chômeurs et surtout un peu moins de la moitié étaient inactifs. Soulignons en outre la forte proportion de personnes sans-domicile-fixe parmi ces inactifs (plus d’un sur trois), proportion qui doublerait sans doute sans les solidarités familiales dont certains bénéficient. Parmi la moitié des individus qui travaillaient au moment des faits, l’immense majorité appartient aux milieux populaires. Les catégories ouvrier et employé représentent à elles seules plus de 75 % des actifs. Nous retrouvons là les détenteurs d’un CAP ou d’un Bac, ainsi qu’une partie des personnes sans diplôme. On peut y ajouter les six « chefs d’entreprise-artisans-commerçants » qui sont en réalité tous de petits artisans-commerçants (deux petits restaurateurs, un vendeurs de fruits et légumes sur les marchés, un électricien, un tenancier d’une petite « casse » d’automobile, un ferrailleur). En définitive, on peut donc considérer que 90 % des sujets actifs appartiennent aux milieux populaires et se situent corrélativement dans les plus basses tranches de revenus. L’analyse de l’activité au moment des faits offre une photographie à un instant donné. Mais, cherchant à comprendre des trajectoires biographiques, nous avons collecté des informations sur l’histoire de la relation au travail. Il en ressort que seuls environ 20 % des actifs ont toujours connu le travail et entretiennent avec lui une relation stable. A l’opposé, un quart des inactifs sont de jeunes hommes qui n’ont jamais travaillé. Entre les deux, environ la moitié des inactifs rassemble des sujets dont la relation au travail est marquée du sceau de la précarité, emploi et non-emploi se succédant tout au long de leur vie. Ce bloc central peut être subdivisé à son tour en deux catégories. La première (un individu sur six) est constituée par ceux qui ont travaillé à un moment de leur vie mais qui ont rompu de façon durable leur relation au travail à la suite de problèmes divers (séparation, maladie, accident, licenciement, entrée en alcoolisme chronique ou en toxicomanie lourde, détention). Nous retrouvons là pratiquement tous les SDF et les très mal logés de l’échantillon. Mais une seconde catégorie plus importante (près d’un individu sur quatre) est constituée par les jeunes hommes qui alternent périodes d’emploi et périodes de non-emploi. Nous soupçonnons ici que la part d’entre eux qui vit du travail au noir, de l’économie souterraine et/ou de la délinquance est relativement importante, mais sans pouvoir le mesurer. Quoi qu’il en soit, il s’agit là de personnes pour lesquelles la relation au travail légitime ne constitue pas un élément structurant. Et en ce sens, ils ne sont pas très éloignés de ceux qui n’ont jamais travaillé. Entrant dans le domaine familial, il faut insister sur les difficultés de classification rencontrées. Les histoires familiales sont parfois chaotiques dans ces milieux sociaux très défavorisés.
La lecture du tableau 4 permet de constater deux choses. D’abord, les données ne confirment pas le présupposé courant qui incrimine la monoparentalité dans la genèse de la criminalité. Près de deux fois sur trois, les meurtriers ont été élevé durant la majeure partie de leur enfance par un couple parental (originel ou, rarement, recomposé). Les cas de monoparentalité pratiquement constante durant l’enfance de l’auteur sont très rares. Par contre, les cas d’éducation hors de la présence des parents (même d’un seul), ou bien avec un rapport très distant et épisodique avec les parents, sont assez élevés. En définitive, la principale spécificité de notre échantillon réside dans cette forte proportion de situations familiales particulièrement déstructurées. Dans près de 20 % des cas, les auteurs ont vécu plusieurs années en étant élevés par des tiers (tels les grands-parents), par des familles d’accueil de la D.A.S.S. ou bien par des éducateurs dans des foyers d’accueil. Ceci a de lourdes conséquences sur le profil psychologique des auteurs : carences affectives, immaturité et dépressivité sont fortement corrélées au fait de ne pas avoir été élevé durablement par un ou deux parents. Tableau 5 : les relations parents-enfants dans la famille d’origine [2]
Un autre facteur va également dans le sens d’une forte fragilisation des individus mais se cache pourtant derrière des formes familiales d’apparence stables, c’est celui du conflit familial. Il s’agit cependant de données subjectives difficiles à connaître avec précision à travers les dossiers. Les données produites sont donc à prendre avec circonspection. Leurs tendances sont néanmoins assez nettes. Dans 60 % des cas où la nature des relations est connue (soit 59 cas sur 100), les relations entre parents et enfants sont de nature conflictuelle, ce conflit se traduisant dans de la violence physique dans au moins 34 cas. Il s’agit dans au moins 18 cas de la violence du père (ou du beau-père) sur la mère, dans au moins 18 cas également de la violence du père (ou du beau-père) sur les enfants, et dans 4 cas au moins de la violence de la mère (ou de la belle-mère) sur les enfants (certaines situations se cumulent donc). D’autres aspects de l’histoire et de la situation présente des criminels mériteraient l’examen. Retenons simplement ici l’importance de deux facteurs dont le cumul s’avère redoutable : la précarité sociale et les carences familiales.
Le lecture de ce tableau confirme aussi à sa manière que la violence mortelle n’est pas l’apanage des criminels professionnels ni des délinquants récidivistes ; elle est socialement plus banale. Plus de la moitié des auteurs n’ont aucun antécédent judiciaire et la plupart n’ont pas non plus de mauvaise réputation dans leur environnement social (famille, voisinage, employeurs, police). Quant à la petite moitié restante, elle n’est pas constituée par des individus fréquentant des milieux délinquants. Les auteurs dont le casier judiciaire témoigne pas exemple d’une participation au trafic de drogue sont rarissimes (un seul cas). Les récidivistes dans cette catégorie sont tout aussi rares : un seul individu avait déjà été condamné pour meurtre dans notre population. En réalité, la plupart des individus qui composent cette petite moitié d’auteurs déjà signalés ont un casier judiciaire marqué par le vol et le cambriolage et/ou par la bagarre (les coups et blessures sans grande gravité) et/ou par l’ivresse au volant. La relation entre auteurs et victimes Si les femmes ne constituent que 15 % des criminels dans notre population, elles représentent par contre près d’un tiers des victimes. C’est la principale différence entre les deux catégories d'acteurs. Pour le reste, le profil des victimes diffère peu de celui des auteurs : on retrouve la sur-représentation des jeunes adultes, de la précarité sociale et des carences familiales. Ceci introduit la question classique des relations entre auteurs et victimes. Tableau 7 : la nature de la relation auteur-victime au moment des faits
Le tableau 7 indique d’abord que, plus de huit fois sur dix, la victime et l’auteur se connaissaient. La situation inverse est rare : c’est la bagarre improvisée à la sortie d’un bar, entre jeunes hommes ivres; c’est l’homme qui tue son cambrioleur ou bien l’inverse ; c’est l’homme qui suit une femme inconnue une heure auparavant et la tue parce qu’elle refuse d’avoir des relations sexuelles avec lui ; c’est le crime raciste ; c’est l’individu hors de lui et ivre qui décharge son agressivité sur la première personne qui s’interpose ; c’est même un cas de méprise sur la personne. Dans tous les autres cas, les personnes se connaissaient, parfois même très bien. De manière générale, deux grands types de situations se présentent ici : - le premier est le bloc des affaires qui impliquent des personnes (généralement de sexe opposé) qui ont entre elles, ou bien ont eu dans un passé proche, des relations conjugales (et para-conjugal) ou familiales. Ces relations représentent un petit tiers des cas de notre population, auquel s’ajoutent les cas de relations familiales (qui étaient toutes marquées avant le crime par de l’hostilité). En tout, on trouve ainsi une petite moitié de cas impliquant des personnes qui se connaissent très bien. - le deuxième type de situations est le bloc des affaires impliquant des personnes qui se connaissaient mais sans entretenir des liens conjugaux ou familiaux. Ce sont le plus souvent sinon des voisins directs, du moins des personnes connues en raison de la fréquentation des mêmes lieux privés : lieux d’habitat, lieux de sortie nocturne, débits de boisson, etc. Dans la plupart de ces cas, l’auteur et la victime avaient entre eux une hostilité plus ou moins ancienne. À travers l’étude des trajectoires des criminels et de leurs victimes, nous pouvons entrevoir des facteurs structurels qui contribuent à expliquer le recours à la violence pour traiter des conflits entre des personnes qui, la plupart du temps, se connaissaient depuis longtemps. Des facteurs situationnels entrent également en ligne de compte, au premier rang desquels il faut aujourd’hui comme hier faire une place de choix à l’ivresse (de l’auteur et souvent aussi de la victime). L’étude en cours comporte d’autres aspects et s’efforce de construire une interprétation sociologique et psychosociologique des homicides. Bornons-nous ici au constat majeur qui ressort de ce premier travail : les homicides jugés en cours d’assises sont massivement commis au sein de la fraction la plus déstructurée de la population française sur le triple plan familial, social et économique. Tout se passe un peu comme si ces personnes tuaient d’autant plus facilement que, d’une part elles étaient accoutumées depuis l’enfance à un environnement affectif particulièrement instable et pauvre, voire violent, d’autre part elles n’avaient en somme pas grand chose à perdre dans la vie sociale. Ce constat général demeure toutefois encore relativement imprécis et d’autres volets de la recherche sont en cours. [1] Le chiffrage des homicides pose en réalité une série de problèmes. La comparaison avec les sources statistiques sanitaires (INSERM) peut laisser penser que les statistiques de police surestiment les faits, mais la source sanitaire est elle-même imprécise car comporte de nombreux cas de morts pour des motifs indéterminés. A contrario, certains homicides (commis notamment par des criminels professionnels) ne sont pas élucidés par la police. Toutes ces questions feront l'objet d'un prochain rapport du CESDIP. [2]. Ces données ne sont qu’indicatives. Elles sont en effet constituées sur la base inégalement informative selon les dossiers des déclarations des intéressés, des expertises psychiatriques, des rapports des services sociaux et des divers témoignages recueillis durant l’instruction. Il est probable que les cas de mauvaises relations et de violences sont sous-estimés dans cette tentative de mesure des relations familiales. [3]. Nous ne prenons pas en compte les simples infractions à la législation sur les étrangers, ni le simple usage de cannabis (qui ne concerne par ailleurs que 2 cas dans notre population). [4]. Cette réputation est liée le plus souvent à des comportements violents, notamment lors des états d’ivresse.
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