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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Mondher Sfar, Le Coran est-il authentique ? (2010)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Mondher Sfar, Le Coran est-il authentique ? Paris: Les Éditions Sfar, 1er tirage: 2000, 2e tirage: 2006, 3e tirage: 2010, 150 pp. [Autorisation de l'auteur de publier ce livre dans Les Classiques des sciences sociales accordée le 24 décembre 2010.]

[9]

Introduction



S’interroger sur l’authenticité du texte coranique relève aujourd’hui du blasphème, d’un acte particulièrement sacrilège envers un des principaux dogmes de l’Islam, voire le plus important, après la croyance en Dieu et en son Prophète.

Ce tabou qui enveloppe la question de l’histoire du Coran n’a pourtant aucune justification théologique émanant du texte révélé, ni même une raison historique, puisque la Tradition musulmane elle-même rapporte une imposante masse d’informations sur les problèmes fort sérieux qui ont affecté la transmission du texte coranique jusqu’à nous.

Mais le fait le plus étonnant de cette attitude crispée de l’orthodoxie musulmane, c’est qu’elle contredit la doctrine même que le Coran a formulée sur sa propre authenticité. En effet, loin de revendiquer une quelconque authenticité textuelle, le Coran avance une théorie de la révélation qui réfute résolument une telle prétention.

Cette doctrine coranique nous explique que le texte révélé n’est qu’un sous-produit émanant d’un texte premier et authentique se trouvant consigné sur une Table céleste conservée auprès de Dieu et inaccessible au commun des mortels. Le vrai Coran n’est pas celui qui est révélé, mais celui qui est resté au Ciel entre les mains de Dieu seul vrai témoin du texte révélé. En somme, le Coran [10] attribue l’authenticité non pas au texte révélé à travers Muhammad mais seulement à l’original gardé auprès de Dieu.

C’est que le passage de l’original céleste à la copie trahit la lettre du texte transmis. Muhammad n’a pas reçu la révélation selon le mode de la dictée, mais selon le mode de l’inspiration (wahy).

De plus, le texte révélé a été soumis à la loi de l’abrogation et au remaniement divin. De sorte que le Coran n’est pas éternel ni absolu. Il est historique, circonstanciel et relatif. D’autres facteurs l’éloignent du texte authentique céleste : Dieu donne ordre à Satan d’inspirer de fausses révélations par la bouche de Muhammad, puis Il les dénonce. En outre, le Prophète est sujet à certaines défaillances humaines, toujours selon le Coran.

Il est donc important de mettre au jour cette doctrine coranique de l’inauthenticité du texte révélé.

En effet, à la mort du Prophète, le texte de la révélation s’est trouvé consigné sur plusieurs supports : parchemins, os d’omoplates, tessons et autres supports de fortune. De toute évidence, l’idée de rassembler ces textes épars en un seul recueil a été une innovation tardive, inconnue de Muhammad et étrangère à l’esprit du Coran. Seule la mise en forme d’unités textuelles révélées a vu le jour du vivant de Muhammad. Ces unités de révélation ont donné jour aux sourates actuelles selon un processus non encore élucidé, mais qui est partiellement visible à travers les lettres mystérieuses qui ouvrent certains chapitres.

La Tradition musulmane soutient qu’une première collecte du Coran fut effectuée par le premier Calife, Abû Bakr. Une autre collecte fut à nouveau entreprise sous le troisième Calife Othmân. En quoi a consisté cette [11] « collecte » ? En fait les opinions varient à ce sujet et rien de sûr ne nous est parvenu. La situation est d’autant plus obscure qu’une troisième collecte aurait eu lieu sous le règne du Gouverneur omeyyade al-Hajjâj.

Quoiqu’il en soit de ces incohérences dans la doctrine musulmane sur l’histoire du texte coranique, il est clair que l’établissement d’un texte officiel du Coran a été l’aboutissement d’un long cheminement dont les modalités ne peuvent être que déduites approximativement et avec beaucoup de prudence à partir des récits rapportés par la Tradition musulmane.

En somme, les premières générations de musulmans ne possédaient pas de texte coranique de référence, puisqu’il n’en a jamais existé. Pour s’en consoler, la Tradition a purement et simplement créé le mythe de l’Archange Gabriel rencontrant Muhammad annuellement pour une mise au point des textes révélés au cours de l’année précédente. C’est ainsi qu’à la mort du prophète le texte coranique s’est trouvé entièrement codifié, structuré et complété selon les volontés divines : les « collectes » qui ont eu lieu ultérieurement n’ont, selon certains récits, apporté rien de nouveau ; elles ont seulement rectifié les altérations survenues durant les premières décennies de l’islam. Telle est la doctrine orthodoxe mythique sur la fiabilité de la transmission du texte révélé.

Parallèlement à cette justification idéaliste, la Tradition musulmane nous a légué des indications fort utiles pour l’historien du texte coranique, à condition bien sûr de savoir les décoder. C’est sur la base de ce matériau que l’étude critique du texte coranique a commencé en Occident à travers une œuvre magistrale et qui reste une référence encore de nos jours, celle de Theodor Nöldeke : Geschichte des Qorans, ou Histoire du Coran, publiée [12] pour la première fois en 1860, et remise à jour en 1909 par Friedrich Schwally, œuvre poursuivie en 1919 pour le tome II et 1938 par Gotthelf Bergsträsser. Elle inspira notamment en 1958 l’excellente Introduction au Coran de Régis Blachère.

A côté de ce courant de critique historique du Coran, une nouvelle orientation de recherche a vu le jour vers le milieu du XXe siècle consacrée à l’étude des genres littéraires employés dans le texte sacré de l’islam. Et c’est encore l’Ecole allemande qui a tracé la voie de cette orientation nouvelle et essentielle inspirée d’une discipline où elle a excellé, celle de la Formgeschichte, dont Rudolf Bultmann (1884-1976) a été une des figures dominantes. Citons la série d’articles publiée en 1950 dans la revue The Muslim World et intitulée « The Qur’ân as Scripture (Le Coran en tant qu’Écriture) » qui préfigure la contribution importante de J. Wansbrough dans ses Quranic Studies. Wansbrough a étudié les schémas du discours coranique, et il les a comparés à la tradition juive. La mise au jour d’un discours solidement structuré suggère en effet qu’il continue une vieille tradition scribale. Le texte du Coran apparaît alors de moins en moins l’œuvre d’une improvisation issue du désert, mais la continuité d’une haute tradition.

Nous allons nous aider de ces techniques scripturaires pour mieux comprendre l’histoire de la composition du texte coranique réalisée par de véritables techniciens de l’écrit inspiré.

Nous terminerons cette étude en insistant sur les mythes créés par la Tradition musulmane pour imposer une représentation de la révélation et de son produit textuel qui, on le verra, est totalement étrangère à l’esprit et au [13] contenu du texte coranique tel qu’il est parvenu jusqu’à nous.

Notre traduction des citations coraniques se réfère en partie à celle de Régis Blachère. Les numéros des versets correspondant aux citations coraniques sont indiqués entre parenthèses dans le texte, précédés du numéro du chapitre.

Le système de translittération adopté dans cet ouvrage a cherché la simplicité. Nous avons utilisé en priorité la forme française des noms propres et des noms communs habituellement utilisés. Pour le reste, nous avons adopté le système suivant pour les lettres arabes ayant des sons qui n’existent pas en français ou ayant une double articulation : d : interdentale spirante sonore vélarisée, ou dâd, ayant la même valeur que le zâ’ (z) ; dh : spirante interdentale, comme le th anglais dans this ; gh : r grasseyé ; h : h aspiré ; kh : vélaire spirante sourde, comme le ch allemand dans buch ; q : occlusive glottale ; r : fortement roulé ; sh : comme dans cheval ; s : s emphatique ; t : t emphatique ; th : comme dans thing anglais ; u : se prononce ou ; w : comme dans ouate ; y : comme dans payer ; z : zâ’ emphatique ; c : signe rendant la fricative laryngale nommée cayn ;  : attaque vocalique forte comme dans assez ! (hamza). Les voyelles longues portent un accent circonflexe.

Enfin, je tiens à remercier tous ceux qui m’ont encouragé dans la poursuite de mes recherches et qui m’ont fait bénéficier de leur aimable assistance. Je remercie particulièrement Jean-François Poirier qui a bien voulu contribuer à la correction des épreuves.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 12 janvier 2011 12:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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