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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Socialisme utopique et socialisme scientifique (1880):
Introduction
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Friedrich Engels (1880), Socialisme utopique et socialisme scientifique. Traduction française, 1950. INTRODUCTION
a.
b. L'agnosticisme anglais, matérialisme honteux
c. Croissance sociale de la bourgeoisie
d. Émancipation de la bourgeoisie
La réforme protestante La révolution anglaise, naissance du matérialisme Matérialisme du XVIIIe siècle et Révolution française
e. La bourgeoisie anglaise contre le matérialisme et la révolution
f. Apparition du prolétariat anglais
g. Servilité de la bourgeoisie anglaise
h. Il faut une religion pour le peuple
i. Malgré tout, le prolétariat anglais s'affranchira
a) L'ANGLETERRE, BERCEAU DU MATÉRIALISME
Je sais parfaitement que ce travail ne sera pas accueilli favorablement par une partie considérable du public anglais. Mais si nous, continentaux, nous avions prêté la moindre attention aux préjugés de la respectabilité britannique, nous nous trouve-rions dans une position pire que celle où nous sommes. Cette brochure défend ce que nous nommons le «matérialisme historique» et le mot matérialisme écorche les oreilles de l'immense majorité des lecteurs anglais. Agnosticisme serait tolérable, mais matérialisme est absolument inadmissible.
Et cependant le berceau du matérialisme moderne n'est, depuis le XVIIe siècle, nulle part ailleurs... qu'en Angleterre.
Le matérialisme est le vrai fils de la Grande-Bretagne. Déjà son scolastique Duns Scot s'était demandé « si la matière ne pouvait pas penser ».
Pour opérer ce miracle, il eut recours à la toute-puissance de Dieu; autrement dit, il força la théologie elle-même à prêcher le matérialisme. Il était de surcroît nominaliste. Chez les matérialistes anglais, le nominalisme est un élément capital, et il constitue d'une façon générale la première expression du matérialisme.
Le véritable ancêtre du matérialisme anglais et de toute science expérimentale moderne, c'est Bacon. La science basée sur l'expérience de la nature constitue à ses yeux la vraie science, et la physique sensible en est la partie la plus noble. Il se réfère souvent à Anaxagore et ses homoioméries, ainsi qu'à Démocrite et ses atomes. D'après sa doctrine, les sens sont infaillibles et la source de toutes les connaissances. La science est la science de l'expérience et consiste dans l'application d'une méthode rationnelle au donné sensible. Induction, analyse, comparaison, observation, expérimentation, tel-les sont les conditions principales d'une méthode rationnelle. Parmi les propriétés innées de la matière, le mouvement est la première et la plus éminente, non seulement en tant que mouvement mécanique et mathématique, mais plus encore comme instinct, esprit vital, force expansive, tourment de la matière (pour employer l'expression de Jacob Boehme). Les formes primitives de la matière sont des forces essentielles vivantes, individualisantes, inhérentes à elle, et ce sont elles qui produisent les différences spécifiques.
Chez Bacon, son fondateur, le matérialisme recèle encore, de naïve façon, les germes d'un développement multiple. La matière sourit à l'homme total dans l'éclat de sa poétique sensualité ; par contre, la doctrine aphoristique, elle, fourmille encore d'inconséquences théologiques.
Dans la suite de son évolution, le matérialisme devient étroit. C'est Hobbes qui systématise le matérialisme de Bacon. Le monde sensible perd son char-me original et devient le sensible abstrait du géomètre. Le mouvement physique est sacrifié au mouvement mécanique ou mathématique ; la géométrie est proclamée science principale. Le matérialisme se fait misanthrope. Pour pouvoir battre sur son propre terrain l'esprit misanthrope et désincarné, le matérialisme est forcé de mortifier lui-même sa chair et de se faire ascète. Il se présente comme un être de raison, mais développe aussi bien la logique inexorable de l'entendement.
Partant de Bacon, Hobbes procède à la démonstration suivante : si leurs sens fournissent aux hommes toutes leurs connaissances, il en résulte que l'intuition, l'idée, la représentation, etc., ne sont que les fantômes du monde corporel plus ou moins dépouillé de sa forme sensible. Tout ce que la science peut faire, c'est donner un nom à ces fantômes. Un seul et même nom peut être appliqué à plusieurs fantômes. Il peut même y avoir des noms de noms. Mais il serait contradictoire d'affirmer d'une part que toutes les idées ont leur origine dans le monde sensible et de soutenir d'autre part qu'un mot est plus qu'un mot et qu'en dehors des entités représentées, toujours singulières, il existe encore des entités universelles. Au contraire, une substance incorporelle est tout aussi contradictoire qu'un corps incorporel. Corps, être, substance, tout cela est une seule et même idée réelle. On ne peut séparer la pensée d'une matière qui pense. Elle est le sujet de tous les changements. Le mot infini n'a pas de sens, à moins de signifier la capacité de notre esprit d'additionner sans fin. C'est parce que la matérialité seule peut faire l'objet de la perception et du savoir que nous ne savons rien de l'existence de Dieu. Seule est certaine ma propre existence. Toute passion humaine est un mouvement mécanique, qui finit ou commence. Les objets des instincts, voilà le bien. L'homme est soumis aux mêmes lois que la nature. Pouvoir et liberté sont identiques.
Hobbes avait systématisé Bacon, mais sans avoir fondé plus précisément son principe de base, aux termes duquel les connaissances et les idées ont leur origine dans le monde sensible.
C'est Locke qui, dans son Essai sur l'entendement humain, a donné un fondement au principe de Bacon et de Hobbes.
De même que Hobbes anéantissait les préjugés théistes du matérialisme baconien, de même Collins, Dodwell, Coward, Hartley, Priestley, etc., firent tomber la dernière barrière théologique qui entourait le sensualisme de Locke. Pour le matérialiste tout au moins, le théisme n'est qu'un moyen commode et paresseux de se débarrasser de la religion.
Ainsi écrivait Marx à propos de l'origine britannique du matérialisme moderne : si les Anglais d'aujourd'hui ne sont pas particulièrement enchantés de la justice rendue à leurs ancêtres, tant pis pour eux! Il n'en reste pas moins indéniable que Bacon, Hobbes et Locke sont les pères de cette brillante pléiade de matérialistes français qui, en dépit des victoires sur terre et sur mer remportées sur la France par les Anglais et les Allemands, firent du XVIIIe siècle le siècle français par excellence, même avant son couronnement par la Révolution française, dont nous essayons encore en Allemagne et en Angleterre d'acclimater les résultats.
Il n'y a pas à le nier : l'étranger cultivé qui, vers le milieu du siècle, élisait domicile en Angleterre, était frappé d'une chose, et c'était comme il était contraint de le comprendre, la stupidité et la bigoterie religieuse de la « respectable » classe moyenne anglaise. Nous étions à cette époque tous matérialistes ou tout au moins des libres penseurs très avancés et il était inconcevable pour nous que presque tous les gens cultivés pussent ajouter foi à toutes sortes d'impossibles miracles et que même des géologues, comme Buckland et Mantell, déformassent les données de leur science pour qu'elles ne vinssent pas trop en contradiction avec les mythes de la Genèse: tandis que pour rencontrer des hommes osant se servir de leurs facultés intellectuelles en matière religieuse, il fallait aller parmi les gens incultes, les great unwashed, comme on les dénommait, parmi les travailleurs, spécialement parmi les socialistes oweniens .
Dernière mise à jour de cette page le dimanche 14 mai 200620:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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