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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Matériaux d'une théorie du prolétariat. (1914) Avant-propos, 1914
Une édition électronique réalisée à partir du livre Georges Sorel (1914), Matériaux d'une théorie du prolétariat. Paris-Genève: Slatkine Éditeur, 1981, 452 pp. Collection Ressources . Réimpression de l'édition de 1921.
Ce livre s'adresse aux hommes qui sont habitués de s'intéresser aux efforts de la pensée spéculative. Pour les professionnels de la politique, comme pour les capitalistes, la connaissance du monde se réduit à des recettes qui permettent de changer les données naturelles, pour le plus grand profit des maîtres ; mais il existe aussi des gens pour se demander dans quelle mesure, par quels moyens, sous l'inspiration de quelles hypothèses, l'esprit parvient à rendre convenablement intelligibles le fonctionnement des organismes créés par l'histoire, les tendances des groupes prépondérants, les Idées de réforme qui sont, en quelque sorte, diffuses dans l'atmosphère d'une époque (note 1) ; c'est à leur tribunal que finissent toujours par s'adresser les philosophes éprouvés par l'expérience de la vie. Lorsqu'au milieu de l'année 1910 parut, en italien, l'opuscule où j'expose « mes raisons du syndicalisme », il était précédé d'une courte note annonçant que je renonçais à la littérature socialiste ; les motifs qui me conduisaient alors à prendre cette détermination, n'ont encore rien perdu de leur force depuis ce temps ; j'hésiterais même aujourd'hui à publier ce recueil d'anciens essais, si je supposais qu'on dût m'accuser de vouloir prendre part aux luttes actuelles des factions. J'ai voulu grouper ici des pièces méritant d'être placées sous les yeux des personnes qui observent avec compétence comment procède notre raison quand elle tente de soumettre à ses lois le chaos des phénomènes sociaux.
J'intitule ce volume : « Matériaux d'une théorie du prolétariat », parce qu'au temps où j'écrivais les plus importantes des études qui le composent, je me flattais de pouvoir quelque jour, en utilisant les faits relevés dans les enquêtes récentes, compléter les indications sommaires que Marx et Engels avaient données sur le devenir de la classe ouvrière. Je doute fort maintenant que, dans notre société si embrouillée d'intérêts hétérogènes, si occupée d'intrigues politiques, si peu attentive aux créations de l'esprit libre (Note 2), l'agitation du monde du travail puisse être condensée, même symboliquement, sous l'ordonnance d'une synthèse propre à rendre de sérieux services. Bien que les morceaux de ce recueil soient trop souvent gâtés par des idées chimériques que je me formais sur l'avenir prochain du socialisme, ils renferment cependant assez de réalité pour instruire des lecteurs éclairés qui auraient la volonté d'en tirer profit.
J'avais écrit sur le socialisme avec des intentions fort diverses ; il m'est arrivé de réviser quelques détails des textes anciens réunis ici, pour rendre l'expression plus claire, mais sans jamais atténuer l'esprit de la rédaction primitive (Note 3) ; les dialecticiens peuvent s'amuser à établir doctement que j'ai énoncé, durant une période d'environ dix ans, des opinions peu conciliables sur les moyens qu'il conviendrait d'employer pour résoudre les questions ouvrières. En ne cherchant pas à remanier mes essais pour donner à leur recueil une unité artificielle, j'ai probablement adopté le parti le plus habile ; les gens perspicaces sont habitués de fortement suspecter la sincérité des auteurs qui traitent les problèmes sociaux ; en constatant que je n'ai rien dissimulé des variations de ma pensée, ils ne pourront faire autrement que d'admettre (je l'espère du moins) que j'ai toujours apporté une entière bonne foi dans mes recherches.
Benedetto Croce, dont l'autorité est si considérable comme commentateur critique de l'uvre de Marx, a déclaré, il y a quelques années, que le socialisme est mort (Note 4). Marx avait, suivant lui, rêvé une épopée magnifique qui avait provoqué un légitime enthousiasme ; sur la foi des meilleurs écrivains socialistes, beaucoup de jeunes gens crurent qu'il existait quelque part un prolétariat héroïque, créateur d'un nouveau système de valeurs, appelé à fonder, à très bref délai, sur les ruines de la société capitaliste, une civilisation de producteurs ; en fait l'ouvrier allemand est en train de s'assagir, il s'enrôle dans les troupes de la démocratie et, au lieu de tout sacrifier à l'idée de lutte de classe, il s'occupe, comme les bourgeois, des intérêts généraux de son pays (Note 5). Les lecteurs qui admettent, avec l'éminent philosophe italien, que la révolution annoncée par Marx est chimérique (Note 6), ne pourront pas être choqués en constatant que j'ai éprouvé beaucoup d'incertitudes au temps où je cherchais comment pourrait se réaliser l'essentiel des doctrines marxistes. Les personnes familières avec les investigations psychologiques ne regretteront certainement pas que les circonstances m'aient suggéré de parcourir le champ de l'expérience contemporaine en suivant des voles indépendantes les unes des autres, parce que j'ai eu ainsi l'occasion de saisir bien des détails qui auraient peut-être échappé à un observateur trop unilatéral. La multiplicité des opinions que j'ai successivement adoptées, ne manquera pas d'attirer l'attention des métaphysiciens qui y trouveront la manifestation particulièrement frappante de la liberté dont jouit l'esprit quand il raisonne sur les choses produites par l'histoire.
(Note 1) Cette intelligibilité repose sur des constructions du développement historique, qui renferment toujours une part considérable de subjectivisme ; les historiens les utilisent d'ordinaire sans en connaître parfaitement la signification ; les métaphysiciens doivent chercher quels principes forment l'âme de ces systèmes. On peut faire la même remarque sur les théories évolutionnistes, dont les biologistes ont bien rarement pénétré les secrets.
(Note 2) Suivant la terminologie hégélienne, j'entends par cette formule : l'art, la religion, la philosophie. Il est arrivé, plus d'une fois, que l'une de ces créations a tellement attiré l'attention des hommes qu'elle a pu servir à caractériser une époque.
(Note 3) Chaque fois que j'ai éprouvé quelque doute sur le sens des corrections à faire, J'ai cherché à renforcer cet esprit. - Renan n'a jamais corrigé les essais qu'il réunissait en volume, pour donner au recueil une homogénéité artificielle. (Cf. Études d'histoire religieuse, page III, et Essais de morale et de critique, page IX.)
(Note 4) Dans la Voce (de Florence) du 9 février 1911. - Cette interview a été reproduite en 1914 dans le volume : Cultura e vita morale. Intermezzi polemici, pages 169-179.
(Note 5) BENEDETTO CROCE, op. cit., pages 173-176. - « Le syndicalisme, dit encore Benedetto Croce, était une nouvelle forme du grand rêve de Marx, qui fut une seconde fois rêvé par Georges Sorel» (page 176). - « Le socialisme avait trouvé son dernier refuge dans le syndicalisme ; sous cette forme même, il est mort » (page 178).
(Note 6) Benedetto Croce fait observer que la littérature socialiste peut être maintenant étudiée d'une façon plus impartiale qu'autrefois ; le socialisme étant mort, les livres de ses maîtres ne sont plus des manifestes de parti provoquant la colère. (op. cit., page 174.)
Dernière mise à jour de cette page le Jeudi 15 mai 2003 11:05 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
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